Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« No Longer Heroine » T1 par Momoko Kôda
Il est rare de lire un manga écrit à la première personne. D’entendre l’héroïne jouer un rôle et l’assumer. C’est pourtant le parti pris de « No Longer Heroine ». Pourtant, le personnage se trouve rapidement dépossédé de son titre d’héroïne au profit d’une autre. Jalousie et malentendus, accompagnés d’une pointe d’humour malgré le côté tragique de la situation, voilà de quoi faire un titre prometteur.
Hatori vit une belle histoire d’amour avec Rita, et ce depuis l’école primaire. Sauf que Rita n’est pas au courant. Ils sont amis, c’est indéniable, mais rien de plus. Hatori, de son côté, s’imagine un futur tout tracé et ne voit pas les amourettes de Rita avec d’autres comme un obstacle, bien au contraire. Elle s’invente un monde où elle est l’héroïne d’un Shôjo manga, et où Rita tombera fou amoureux d’elle.
Tout doit se passer comme elle l’a prévu, impossible qu’il en soit autrement. Pourtant, lorsqu’une jeune intello binoclarde déboule dans la vie de Rita, tout bascule. Elle est quelconque, mais très intelligente. Elle anticipe les actions d’Hatori. Elle sait se mettre en valeur et se faire aimer, sans que cela sente la manipulation. Elle remporte la mise et Rita succombe à ses charmes.
Comme vous pouvez vous en douter, le monde d’Hatori s’écroule. Son plan génial ne fonctionne plus. Elle vient de se faire voler le premier rôle de sa propre histoire. Elle n’est plus l’héroïne de son manga, mais compte bien reprendre sa place, coûte que coûte.
Sous ses airs de shôjo bien classique racontant une amitié se transformant en histoire d’amour, « No longer heroine » cache en fait une construction scénaristique innovante. Tout est raconté du point de vue de l’héroïne, car oui, Hatori est bien l’héroïne de ce manga du début à la fin. C’est elle la narratrice et c’est son point de vue qu’elle partage avec nous, lecteurs. C’est amusant et agréable à lire. Cette plongée au cÅ“ur de l’histoire est réellement novatrice. Partant d’une trame extrêmement classique, l’histoire évolue au fil des gaffes à répétition de son personnage principal. Le fait qu’elle ne semble pas se rendre compte de son côté pathétique la rend attachante… Quand la télé-réalité rencontre le manga… On suit cette jeune fille, on lit ses pensées. Ses actions à côté de la plaque nous semblent complètement inappropriées. Le lecteur décontenancé est obligé de réagir, on se prend à vouloir lui donner des conseils. On s’attendrit sur son sort et, au final, on aimerait bien que Rita finisse par succomber à son charme.
Graphiquement, cela ressemble à beaucoup de manga pour jeunes filles. Mais il y a un petit côté travaillé supplémentaire. Et surtout, les changements d’attitude sont accompagnés d’un changement de graphisme. Tout est bien soigné afin que le lecteur ne se perde pas.
On sent clairement le désarroi d’Hatori lorsqu’elle se fait voler la vedette. Les sentiments et les humeurs sont bien représentés. On passe facilement d’une case joyeuse remplie d’étoiles et de bons sentiments à une autre, troublée de brouillard et de nuages dérangeants.
Il est intéressant de voir les nombreuses références que l’auteur, Momoko Kôda, a glissées tout au long de son Å“uvre. Des références graphiques où les méchants ressemblent à ceux de « Ken le survivant », mais aussi énormément d’emprunts scénaristiques à différents personnages populaires du Japon. De ce point de vue, le travail éditorial de l’équipe d’Akata est exemplaire. Chaque citation est replacée dans son contexte par une petite note explicative en dessous des cases concernées. Même le lecteur n’ayant pas la culture japonaise requise peut comprendre. Ceux qui savent seront pour leur part ravis de tous ces petits clins d’Å“il.
« No longer heroine » utilise à fond le sempiternel cliché du shôjo manga où l’héroïne tombe amoureuse d’un garçon de sa classe. Ceci afin de mieux enfoncer les portes ouvertes, pour notre plus grand plaisir. Il est amusant de voir Hatori se débattre alors qu’elle coule petit à petit à cause de sa passivité. Le monde tourne autour d’elle et elle ne s’en rend pas compte. Une lecture appréciable pour se remettre en cause, se rendre compte de la portée de ses actes ou de son immobilisme.
Gwenaël JACQUET
« No Longer Heroine » T1 par Momoko Kôda
Éditions Delecourt (6,99 €) – ISBN : 978-2-7560-3505-5
HEROINE SHIKKAKU © 2010 by Momoko Koda / SHUEISHA Inc.
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