Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...Spécial 75 ans de Spirou : « Spirou et Fantasio » T22 (« L’Abbaye truquée») par Jean-Claude Fournier
Ayant accepté en 1968 de reprendre après Franquin la série « Spirou et Fantasio », Fournier y instaure peu à peu son propre imaginaire. Après avoir réalisé « Le Faiseur d’or » (1970) puis « Du glucose pour Noémie » (1971), Fournier initie ce qui deviendra en 1971 la 77ème histoire du groom et de son facétieux compère. Sous un titre parfaitement étrange et amusé, « L’Abbaye truquée », nos héros se lancent sur la trace des ravisseurs du magicien nippon Itoh Kata, victime de l’organisation criminelle nommée Le Triangle…
La couverture de « L’Abbaye truquée » s’inscrit, comme souvent dans la saga Spirou, à la frontière de plusieurs genres : l’aventure – telle que marquée en en-tête – se devine dans l’idée de voyage et dans la quête des personnages, ces derniers étant à l’évidence venus en voiture de sport pour rechercher quelque chose ou quelqu’un, comme le suggère leurs postures et leurs regards. Les lieux sont inconnus des lecteurs habituels, puisque la traditionnelle demeure ancienne n’est pas cette fois-ci le château du comte de Champignac mais une intrigante abbaye. Contrairement à la promesse contenue dans le titre de l’album, cette dernière ne semble pourtant rien dévoiler de surprenant, sa façade délabrée mise à part : le « trucage » est donc ailleurs, invisible, dans une atmosphère qui renverra donc tout autant au genre historique et fantastique qu’au double champ lexical de la prestidigitation et du cinéma.
La présence de la Honda S800 (dessinée pour la 1ère fois par Franquin dans « Panade à Champignac » en 1967 inscrit les personnages dans une époque et rompt avec l’histoire du site : le duel supposé entre mécaniques contre vieilles pierres en annonce un autre, celui entre le passé et le présent, le visible et l’invisible. Comme souvent chez Fournier, la facétie se fait discrète : l’immatriculation en « ahha » annonce un monde miroir où l’humour comme la tonalité plus sérieuse se répondent sens cesse. Les stèles et sarcophages gallo-romains ou médiévaux présents à l’avant-plan dévoilent un texte latin totalement loufoque et digne des calembours de Goscinny dans la série « Astérix » : « Cesar legato alacrem eorom » !
La composition générale de cette couverture est également symptomatique de la « manière de faire » de Fournier : par un effet entraînement lié à la présence d’un véhicule sur le coté gauche du visuel, les personnages comme les lecteurs vont au devant du danger ou de l’effet de sidération attendu. On retrouvera ainsi cette composition et cet appel à l’aventure (formule héritée d’Hergé : cf. « L’Île noire » ou « Objectif Lune ») dans les couvertures ultérieures de « Tora Torapa » (tome 23, 1973) et, de manière inversée (véhicules et personnages viennent en direction des lecteurs), sur le 1er plat de « Des haricots partout » (tome 29, 1980).
« L’Abbaye truquée » fut initialement publiée pour la première fois dans Spirou, du n° 1743 (09 septembre 1971) au n° 1766 (17 février 1972) : la couverture de l’album finalisé est une reprise partielle d’un dessin paru pour sa part en une de Spirou n° 1751 (04 novembre 1971). Ce visuel sera également repris comme élément de couverture du tome 9 de la récente « Intégrale Spirou & Fantasio », publiée en février 2010 par Dupuis. Dans ce dessin initial n’apparaissait aucun véhicule de sport ni stèle ancienne mais diverses herbes hautes et champignons, signaux d’une nature exubérante ayant envahi des lieux à priori abandonnés, ainsi qu’une croix celtique, que l’on associera au folklore breton cher à l’auteur. L’inventaire des lieux, et donc celui des potentiels mystères de l’abbaye, procède du fait de vouloir pousser plus loin notre curiosité de lecteurs-enquêteurs : le paisible ciel bleu et la verdeur naturelle camouflent-elles d’obscurs dangers ? C’est en tout cas ce que semblera nous signifier une couverture qui se joue – par le mot et le dessin – des trucs et astuces liés aux codes visuels : en ruines, l’abbaye ne se dévoile que partiellement comme le suggère la zone d’ombre se dressant sous les colonnades et les ogives dessinées à l’arrière-plan, sur le futur chemin des héros…
Le trucage de cette « Abbaye truquée », c’est le procédé consistant ici à désamorcer le gag : comme l’indique la bombe prête à exploser, telle que présentée en amorce de l’annonce de la prépublication dans Spirou n°1743, le lecteur ne doit pas savoir dans quel optique se cantonner : le rire, le sourire, la surprise, la peur enfantine voire l’effroi ? Voici mis en scène tout l’art d’un magicien nommé Fournier.
Philippe TOMBLAINE
« Spirou et Fantasio » T22 (« L’Abbaye truquée») par Jean-Claude Fournier
Dupuis, 1ère édition en 1972 (10,60 €) – ISBN : 978-2800100241
Merci pour cette analyse très intéressante.
J’apprécie beaucoup les premiers albums de Fournier, qui affirment sa propre identité graphique et narrative tout en restant encore dans l’élan impulsé par Franquin. Je note qu’à chaque époque, Spirou et Fantasio ont possédé des voitures qui leur sont restées indissociablement associées, sauf dans les 2 dernières reprises. Et c’est bien dommage…
C’est surtout à l’époque des Turbotractions de Franquin que Spirou avait des voitures emblématiques et mythiques. Ensuite, Franquin a eu la volonté de désembourgeoiser ses héros et la Honda était un intermédiaire entre la dream car et la voiture purement utilitaire. En plus à partir de Fournier, l’image de la voiture a changé dans la société, ce n’est plus l’instrument de libération et de rêve des années 50 mais un outil qui peut être dangereux pour la santé et qui consomme beaucoup d’énergie.
On voit très bien cette évolution de la perception de la voiture dans l’oeuvre de Franquin, de Spirou aux idées noires en passant par Gaston
Et la R5 de l’époque Tome & Janry continue dans cette voie!