Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre petite sélection de la semaine? : ? Les Épées de verre T.1 : Yama ? par Laura Zuccheri et Sylviane Corgiat, ? Le Petit rien tout neuf avec un ventre jaune ? par Pascal Rabaté et ? Jean-Jacques ? par Bruno Rocco, Makyo et Frédéric Richaud.
- ? Les Épées de verre T.1 : Yama ? par Laura Zuccheri et Sylviane Corgiat – Éditions Les Humanoïdes associés (12,90 Euros)
Certes, la fantasy n’est pas vraiment notre tasse de thé mais, quand nous tombons sur des récits plutôt bien menés et bien dessinés, nous sommes tout à fait capables de reconnaître la qualité et le talent de leurs auteurs. C’est le cas ici avec cette histoire d’épée magique tombée des cieux pour finir solidement plantée dans un rocher sacré et dont seul un élu peut s’en saisir : même si ses parentés tellement évidentes avec la légende d’Arthur et d’Excalibur, et ceci dès les premières pages, auraient pu nous dissuader d’en continuer la lecture. Pourtant, cet air de déjà-vu est immédiatement gommé par la maestria scénaristique de l’écrivain Sylviane Corgiat qui s’amuse à multiplier les retournements de situations, tout en mettant sur pieds un univers complexe et cohérent fort bien orchestré, notamment grâce à quelques flash-back savamment dosés. D’autant plus que l’histoire de la jeune Yama, dotée d’une mystérieuse faculté qu’elle apprend à maîtriser, est mise en valeur par un graphisme souvent époustouflant (malgré, là aussi, des cases un peu trop référentielles aux univers de Léo et à ses récits d’anticipation, aux dessins animés Waltdisneyiens, aux films de la saga « Star Wars » ou même aux sous-bois « naturalistes » de Jean-Claude Servais) : une spectaculaire mise en images due à Laura Zuccheri. Á noter que cette formidable dessinatrice italienne découverte par les Humanos est issue, comme Corrado Mastantuono l’étonnant partenaire graphique de Sylviane Corgiat sur sa précédente série (« Elias le maudit », du giron des fumettis populaires de Bonelli : une manne graphique que cet éditeur ne semble pas dédaigner !
- ? Le Petit rien tout neuf avec un ventre jaune ? par Pascal Rabaté – Éditions Futuropolis (18 Euros)
En reposant ce beau livre publié par Futuropolis, on pourrait se dire que ce journal d’un dépressif n’a peut-être pas la force d’un « Ibicus », des « Petits ruisseaux » (que Pascal Rabaté est en train de tourner pour un long-métrage dont il est le propre réalisateur) ou même du plus méconnu mais pourtant déjà très méritoire « Un ver dans le fruit » ! Cependant, il faut bien reconnaître que cela ne doit pas être facile de pondre des chefs-d’œuvre à tous les coups ! Ceci dit, cet émouvant « Petit rien tout neuf avec un ventre jaune » est nettement au-dessus du lot de la plupart des bandes dessinées qui sont publiées aujourd’hui, même s’il y manque ce petit quelque chose qui fait qu’on en ressort totalement bouleversé. Pourtant, la narration est impeccable, les dialogues sont percutants et le dessin, de plus en plus dépouillé, sert au mieux l’histoire, l’ambiance et le fond. Alors, finalement, comme Pascal Rabaté a vraiment beaucoup de talent, faites fi de mes remarques mi-figue mi-raisin d’introduction à cette chronique et jetez-vous sur cette nouvelle chronique provinciale douce-amère qui nous raconte un amour plutôt improbable : celui entre un propriétaire d’un magasin de farce et attrapes, triste à mourir, et une jolie acrobate de cirque, de passage en ville… Finies les idées noires et les pulsions suicidaires, place à l’inventivité et aux plaisirs partagés ! Oui, mais… Pour combien de temps encore ?
- ? Jean-Jacques ? par Bruno Rocco, Makyo et Frédéric Richaud – Éditions Delcourt (14,95 Euros)
En adaptant un roman de son complice l’écrivain Frédéric Richaud, avec lequel il avait déjà co-écrit le très beau « Maître de peinture » illustré par Michel Faure chez Glénat, le scénariste (mais aussi excellent mais trop rare dessinateur) Pierre Makyo dynamise ce récit historique en imaginant une intrigue secondaire : il fait ainsi résonner, à nouveau, les questions philosophiques, inhérentes au principe de toute quête, qu’il se pose régulièrement. Cette évocation des frères Jean et Jacques Chapelet, personnages exubérants et un brin simplets qui vouent une admiration aussi totale qu’absurde au philosophe Jean-Jacques Rousseau (une sorte de « peopolisation » extrême avant l’heure), par un jeune médecin amoureux d’une religieuse, en devient d’autant plus dynamique et créative. Par ailleurs, cet album très cocasse, où l’humour se fait de plus en plus noir au fil des pages, permet également d’apprécier, à sa juste valeur, le graphisme pétillant et burlesque de Bruno Rocco (qui se situe entre celui de Christian Rossi et celui du regretté Franz) : dessinateur injustement sous-estimé qui, il est vrai, n’avait peut-être pas encore prouvé toute l’étendue de son talent. Il se rattrape largement ici, avec une véritable démystification des protagonistes : accentuant, avec habileté, leur gestuelle dans un registre quasi théâtral ! Encore une réussite à mettre au crédit de la collection « Histoire & histoires » dirigée par Grégoire Seguin chez Delcourt !
Gilles RATIER