« S.O.S. Lusitania » T1 (« La Croisière des orgueilleux ») par Jack Manini, Patrice Ordas et Patrick Cothias

Avec ceux de La Méduse (juillet 1816), du Titanic (avril 1912) et de l’Amoco Cadiz (mars 1978), le naufrage du paquebot Lusitania fait sans doute partie des catastrophes maritimes les plus connues de l’Histoire. Dans le premier tome (« La Croisière des orgueilleux ») de ce nouveau triptyque, publié dans la collection Grand angle des éditions Bamboo, les scénaristes Patrice Ordas et Patrick Cothias reprennent la trame de leur propre roman, « R.M.S. Lusitania », initialement paru en mars 2012. Alors que la Première Guerre mondiale débute, tous les protagonistes s’y livrent à un jeu stratégique et politique risqué, qui mènera au torpillage du navire par un sous-marin allemand, le 07 mai 1915, au mépris de la vie des 1 200 passagers…

Visuel du roman (éd. Bamboo)

Le titre donnée à la série place le récit en situation d’alerte immédiate : dans ce « S.O.S. » (code Morse international du signal de détresse adopté en 1906), il est difficile pour un lecteur actuel de ne pas lire en filigrane un renvoi direct au Titanic. Les opérateurs de ce navire maudit furent du reste parmi les premiers au monde à devoir utiliser le tragique « Save Our Souls » (« Sauvez nos âmes »), lorsque leur paquebot heurta un iceberg le 14 avril 1912. Visuellement, la couverture de « S.O.S. Lusitania » T1 ne montre rien du drame à venir mais suggère le conflit entre homme et machine : une humanité réduite à quelques infimes silhouettes sombres admire ou salue un « immeuble flottant », majestueux mais orgueilleux navire de luxe (voir le titre) qui deviendra un gigantesque tombeau. A l’inverse de ce spectaculaire décor inaugural, les visuels des albums suivants mettront directement en scène les phases du naufrage (tome 2) et des nombreux noyés. Seule concession à la réalité, en couverture du tome 1, les cheminées du Lusitania sont encore peintes en rouge, au profit d’une gamme chromatique volontiers « guerrière » qui alterne donc les verts, les rouges, les noirs et les gris. On pourra également relire cette thématique violente dans la conjonction des matériaux illustrés : l’homme, le ciment l’acier, la fumée et l’eau, symbiose de la fin de la Deuxième révolution industrielle (1880 à 1914). La typographie de la série s’inscrit dans cette optique « Belle Époque » ; rappelons aussi que le choix du terme « Lusitania » pour ce transatlantique de type RMS (Royal Mail ship, soit un label de ponctualité et de vitesse pour les navires acheminant le courrier de la poste britannique) provient de celui de la province romaine de Lusitanie, le Portugal actuel. Le Lusitania était le navire-jumeau (sistership) des paquebots Mauretania et Aquitania.

L'annonce du naufrage du Lusitania en une du New York Times Newspaper

Lusitania à la fin de son voyage inaugural (1907)

Dès le début de la Première guerre mondiale en août 1914, la grande majorité des paquebots est réquisitionnée par le gouvernement britannique et la Royal Navy pour être transformée en transport de troupes, à l’exception notable du Lusitania qui sera autorisé à continuer ses traversées en dépit des dangers. Si les eaux continentales sont en « zone de guerre », on estime alors – inversement donc aux couleurs de cette couverture -, pour une sécurité bien que relative, qu’il est préférable que les traditionnelles cheminées rouges soient peintes en gris foncé, moins visibles de loin.

Le naufrage du Lusitania, survenu le 07 mai 1915 à 14 h 25 (la séquence sera illustrée dans le tome 2, à paraitre au printemps 2014), ne manque pas de mystères : non protégé – comme il aurait dû l’être – par le croiseur britannique Juno, probablement convoyeur de plusieurs milliers d’obus et de munitions (cargaison secrète sans doute repérée par les espions allemands) et alors que son commandant était informé de la présence d’un sous-marin, le paquebot fut, de l’avis de beaucoup, une proie offerte à l’ennemi, afin de faire basculer l’opinion américaine. Hasardeux ou prémédité, toujours est-il que ce naufrage souleva un sentiment d’indignation profond au États-Unis, et facilitera en 1917 l’engagement décisif du pays dans la Première Guerre mondiale. Rappelons que ce drame reste présent dans les discussions tout au long de la guerre : selon la légende, en 1918, le Kaiser Guillaume II aurait demandé « Combien de navire a-t-il fallu pour amener autant de soldats américains ? ». Son aide de camp lui aurait répondu : « Un seul, le Lusitania ».

World War I Irish recruitment poster (1915)

Sollicité pour cette analyse de couverture, le dessinateur Jack Manini a aimablement accepté d’illustrer cet article avec ses propres recherches visuelles, accompagnées de précieuses explications. Nous lui laissons donc la parole, en le remerciant de nouveau :

« La définition d’une bonne couverture est très simple, c’est lorsqu’elle séduit un grand nombre de lecteurs qu’elle est réussie. L’ennui, c’est que l’on ne peut être sûr du résultat qu’une fois l’album paru. D’où l’angoisse de la page blanche pendant la réalisation…
Lorsque je planche sur une nouvelle histoire, je réfléchis dès le début à la couverture. Je réalise des esquisses rapides pour récolter quelques avis, en particulier celui de l’éditeur.
(cf. T1a +T1b).

Hervé Richez le rédacteur de la collection « Grand Angle » n’est alors pas convaincu et me propose de faire appel à un ami dessinateur, Laurent Hirn, pour éventuellement rebondir sur ses idées (voir T1c+T1d).

Je suis séduit par sa proposition de petit personnage silhouetté et l’ambiance verdâtre qui laisse présager une traversée mouvementée.

Je décide alors de plancher sur les couvertures des trois tomes en même temps !

La principale difficulté de la couverture du tome 1 consiste à rendre la démesure du paquebot tout en positionnant la silhouette au bon endroit. J’accentue donc la perspective du bateau et cale le personnage sur le quai en bas à droite, pour arrêter l’œil sur une masse sombre.

Je réalise à ce stade la couverture quasi définitive du tome 1 (voir T1e + T1f).

Je fais deux propositions pour le tome 2 (voir T2a +T2b) et une pour le tome 3.

Je rencontre mon éditeur au festival de St Malo qui est emballé par la couverture du tome 1, apprécie les deux propositions concernant le tome 2 mais rejette celle du tome 3 sous prétexte qu’elle ne lui paraît pas claire dans l’intention. J’argumente, je pleure, je menace, rien n’y fait, l’éditeur reste de marbre !

C’est alors que je lui propose d’utiliser une des deux idées du tome 2 comme couverture du 3. Comme ceci, les trois couvertures forment une sorte de plan séquence, le 1, le départ du Lusitania, le 2, le naufrage et le 3, l’intérieur du bateau englouti. J’encre les crayonnés (voir T2c+T3b) des tomes 2 et 3, et finalise la mise en couleur à l’ordinateur.

Les 3 couvertures ainsi que l’année de parution figurent au dos du tome 1 (Voir couverture finale + T.2d + T3c) »

Philippe Tomblaine

« S.O.S. Lusitania » T1 (« La Croisière des orgueilleux ») par Jack Manini, Patrice Ordas et Patrick Cothias

Bamboo Grand Angle (13,90 €) – ISBN : 978-2-81892-306-1

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