Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Spécial 75 ans de Spirou : « Les Aventures de Spirou et Fantasio » T51 (« Alerte aux Zorkons ») par Yoann et Fabien Vehlmann
51ème titre de la série « Spirou et Fantasio », l’album « Alerte aux Zorkons » a fait entrer la saga dans une nouvelle ère lors de sa parution en septembre 2010. Signé par Fabien Velhmann et dessiné par Yoann, cette aventure est un hommage aux origines et en particulier à Franquin. En remettant en scène le comte et les habitants du village de Champignac, Zorglub ou des monstres dignes des « Idées noires » les auteurs s’inscrivent dans une postmodernité active : préserver et démolir pour mieux reconstruire…
Au tournant du 50ème album (« Spirou aux sources du Z » par Jean-David Morvan et Jose Luis Munuera, 2008), une profonde réflexion semblait avoir été engagée sur le fond comme la forme de la série : qui est au juste Spirou et dans quel cadre agit-il ? Cette prétention philosophique ou expérimentale, largement visible dans la série dérivée « Spirou vu par… » (concept initié par les éditions Dupuis avec l’ouvrage de Vehlmann et Yoann, « Les Géants pétrifiés », dès 2006), ne dénote pas dans la série principale où nombre de titres auront finalement joué avec les codes et les attentes des spectateurs… dès leurs couvertures (voir « Le Réveil du Z », « Le Rayon noir » ou « Machine qui rêve », pour ne citer que la période Tome & Janry).
Prépublié dans le magazine Spirou dès le 16 juin 2010 (n° 3766), « Alerte aux Zorkons » était à l’évidence fortement attendu : la couverture du périodique, annonçant ironiquement de « molles aventures », avait essentiellement pour but de déjouer le propos médiatique. Sans se dégonfler, le héros (devenu une baudruche publicitaire), se devait de relancer son propre intérêt au sein des bulles (ou des ballons…) mais telle une sage piqûre de rappel ! Le récit annoncé est en apparence assez simple : Spirou et Fantasio sont entrés par la voie des airs dans la zone interdite d’accès qu’est devenu le village de Champignac. Là, les deux héros vont observer avec stupeur que la nature est devenue folle et que de drôles de monstres, plus ou moins agressifs, se sont emparés des environs…
Cet album fut initialement promu sous le titre de travail référentiel « Il y a des monstres à Champignac » : outre le renvoi franquinien (« Il y a un sorcier à Champignac »en 1951, mais aussi « Le Voyageur du Mésozoïque » en 1960), l’album engageait nécessairement la réflexion sur le point suivant : le monstre, n’est-ce pas Spirou lui-même, tant sa figuration, sa panoplie et son éternelle adolescence renvoient au genre fantastique/science-fiction (mythe du superhéros notamment) ? Le titre finalisé, dont le mot insolite de « Zorkons », renvoient également aux mêmes champs de réflexion : d’une part parce que la lettre « Z » (opposée au « S ») est, comme le « V », un signifiant majeur de l’adversité dans la série (Zantafio et Zorglub en étant les vecteurs principaux), et d’autre part parce que le terme « Zorkons » peut être retrouvé dans la série « Calvin et Hobbes » (par Bill Watterson, de 1985 à 1995). Lorsque le héros Calvin se met à rêver, il s’imagine parfois être un astronaute luttant aux confins de l’univers contre d’affreux aliens semblablement nommés. Les Zorkons selon Velhmann et Yoann, aussi dangereux soient-ils, ne sont donc qu’une projection onirique, des monstres de papier mêlant cauchemar et onirisme, dignes d’« Alice au Pays des merveilles » (L. Carrol, 1865).
La couverture d’« Alerte aux Zorkons » semblera de fait également protéiforme : outre la version classique, où Spirou et Fantasio tentent tant bien que mal d’échapper à leurs inquiétants et invisibles agresseurs en montant à une liane, ce visuel aura connu une version alternative distribuée uniquement par l’enseigne des supermarchés Leclerc. Dans cette version limitée à 2000 exemplaires, la scène est la même mais la situation est modifiée : accrochés à un lampadaire où figure le nom de la localité « Champignac-en-Cambrousse », les héros se défendent résolument contre des adversaires encore plus nombreux. L’arrière-plan de la forêt/jungle, sensiblement plus visible, inscrit les personnages dans une double tentation/répulsion vis-à-vis de l’espace naturel, cette évocation n’étant pas sans renvoyer à la réflexion déjà proposée par des œuvres littéraires et filmiques telles « L’Enfant sauvage » (F. Truffaut, 1969) ou « La Planète des singes » (roman de Pierre Boulle en 1963 ; film de F. J. Schaffner en 1968). Le visuel proposé en 2010 s’inscrit également dans une « métamorphose » des concepts successifs déjà avancés pour d’anciennes couvertures dans la série : « Il y a un sorcier à Champignac », « Spirou et les héritiers » (Franquin, 1952) puis, surtout, « L’Homme qui ne voulait pas mourir » (Morvan et Munuera, 2005). L’ensemble de cette phase réflexive et introspective sur un Spirou mutant nous semblera trouvera son actuel dénouement dans la couverture (postérieure) du 52ème album, « La Face cachée du Z » (2011) : Spirou y devient un être digne de Frankenstein et de Dr Jekyll/Mr Hyde réunis, à la mesure d’un personnage il est vrai sans cesse transformé depuis 75 ans par ses pères adoptifs successifs, de Rob-Vel jusqu’au duo Vehlmann/Yoann.
Autre version de la couverture d’« Alerte aux Zorkons » : celle du tirage de tête proposé par les éditions Khani (octobre 2010), où l’angoissante scène d’action du 1er plat traditionnel cède la place à la vision plus sereine de Spirou et Fantasio retrouvant – au hasard de leur pérégrination forestière – le paisible dinosaure herbivore issu du Mésozoïque. D’autres recherches de couvertures (reproduites dans ce tirage de luxe) avaient emmené Yoann à dessiner la redécouverte d’un village de Champignac monstrueusement métamorphosé tel le préhistorique « Monde perdu » romanesque de Conan Doyle (1912). Notons que le village de Champignac comme la présence du Comte, absents du 1er plat de ce tirage de tête, sont néanmoins signifiés par le dessin de champignons géants : cette véritable allégorie visuelle suffira à indiquer aux connaisseurs de la série le lieu de l’action, les personnages impliqués dans l’histoire et le genre du récit (aux frontières du fantastique et du merveilleux).
La saga Spirou et Fantasio, univers de codes et de références, est une spirale où s’inscrivent en permanence deux mondes antagonistes : l’humanité face au bestiaire, le Bien confronté à la criminalité, le réalisme contre l’onirisme, la science et la science-fiction, l’humour et la gravité, les temps de guerre et de paix… La 1ère comme la 4ème de couverture d’« Alerte aux Zorkons » indiqueront aux lecteurs que les personnages, parfaitement conscients de leurs propres aventures (et de leurs publications !), ne sont pas dupes. En renvoyant principalement aux époques illustrées par Franquin, Fournier et Tome et Janry, l’album devient un jeu de rôle où les règles sont toujours traditionnelles : découvrir le terrain, franchir les obstacles et arriver vivant au terme de sa quête. Et ce jeu, fondamentalement héroïque et digne du récit d’apprentissage, n’est pas qu’espièglerie…
Car dans Spirou coexistent ce qu’on nous « monstre », et ce qui demeure caché.
Philippe Tomblaine
« Les Aventures de Spirou et Fantasio » T51 (« Alerte aux Zorkons ») par Yoann et Fabien Vehlmann
Dupuis 2010 (10, 60 €) – ISBN : 978-2-8001-4481-8
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