Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Le Monde selon François ? par Renaud Collin et Vincent Zabus, ? Un zoo en hiver ? par Jirô Taniguchi et ? Tahya El-Djazaïr T.1 : Du sang sur les mains ? par A. Dan et Laurent Galandon.
- ? Le Monde selon François ? par Renaud Collin et Vincent Zabus – Editions Dupuis (9,03 Euros ou 13,50 Euros)
Si ce troisième tome des aventures fantastico-oniriques d’un petit garçon, confronté aux difficultés de la vie provoquées par le divorce de ses parents, continue de paraître dans un format classique (quoique, finalement, un peu trop petit pour bien mettre en valeur les superbes dessins cartoonesques et sans contours de Renaud Collin) dans la collection ?Punaise?, laquelle s’adresse aux enfants qui commencent à lire tous seuls (donc dès l’âge de six-sept ans), les éditions Dupuis le proposent aussi dans un grand format inhabituel : ce dernier nous permet d’apprécier encore plus cette série qui privilégie, avant tout, l’image et la lisibilité : ceci afin que même les plus petits puissent être capables de comprendre l’histoire, contrairement à ces nombreux albums de bandes dessinées qui véhiculent un langage se rapprochant de la littérature et sont donc, plutôt, destinés aux adolescents ou aux adultes. ?Le monde selon François? s’inscrit donc parfaitement dans cette réflexion sur le rôle essentiel de la bande dessinée pour un lectorat un peu oublié : les enfants en bas âge. Le héros, qui a une imagination débordante et dans lequel la cible visée pourra aisément s’identifier, en a marre que son papa, qui vient de se séparer de sa maman, se noie dans le travail (et éventuellement dans l’alcool). Alors qu’il ne le garde pourtant qu’un week-end sur deux, François ne comprend pas que son géniteur s’occupe si peu de lui : eh oui, c’est dur-dur de concilier vie professionnelle et vie de famille ! Et tout ça, c’est la faute au maître du temps, un vicieux petit bonhomme qui veut faire de son père un homme productif avant tout : mais cela ne va pas se passer comme ça, parole de François ! Voilà un album qui est un régal de simplicité et de sincérité, porté par un trait somptueux, une narration efficace et des couleurs lumineuses : que demander de plus ?
- ? Un zoo en hiver ? par Jirô Taniguchi – Editions Casterman (14 Euros)
Les œuvres personnelles et contemplatives de Jirô Taniguchi sont une formidable passerelle pour inciter le lecteur frileux, ou le strict amateur de bandes dessinées franco-belges, à fourrer son nez dans les mangas. En effet, son trait clair et précis, en parfaite harmonie avec sa narration sensible et efficace très influencée par les techniques européennes, ont permis d’ouvrir les œillères de nombreux lecteurs qui se sont laissé séduire par l’aspect pudique des relations entre ses personnages. Hélas, cette ouverture d’esprit reste quand même assez rare ; et elle l’est encore plus dans l’autre sens : les amateurs de BD asiatiques étant, quant à eux, plutôt du genre monomaniaque… Ceci dit, avec ce beau récit explicitement autobiographique (nous n’avons aucun mal à assimiler les déboires du jeune Hamaguchi, employé d’une société de textile en gros qui va, par hasard, intégrer la communauté des mangakas, aux débuts professionnels de Jirô Taniguchi), le responsable d’œuvres aussi universelles que « Quartier lointain » ou « L’Homme qui marche » confirme son statut d’auteur tout public ! Évidemment, on retrouve son habituelle touche intimiste et nostalgique qui tente, cette fois-ci, de nous faire partager ses réflexions sur son travail et sur ce qui nous pousse à tel ou tel choix ; mais aussi, comme dans ses autres ouvrages, sa vision profonde de la vie et de la mort qui réussit, une fois de plus, à nous faire couler, au bout du conte, une larme au coin de l’œil !
- ? Tahya El-Djazaïr T.1 : Du sang sur les mains ? par A. Dan et Laurent Galandon – Editions Bamboo (12,90 Euros)
Laurent Galandon est vraiment un scénariste à suivre de près ! Après ses superbes « L’Envolée sauvage », « L’Enfant maudit » et « Quand souffle le vent », il nous propose encore un très bon scénario qui mêle histoire d’amour et l’Histoire avec un grand H : un passé récent mais encore bien méconnu (malgré quelques remarquables albums de bandes dessinées qui traitent de ce sujet comme « Carnets d’Orient » ou « Azrayen’ »). La Guerre d’Algérie est donc le thème de cette histoire très bien documentée, écrite par un nouveau talent scénaristique sensibilisé par la différence, la discrimination et le racisme, ainsi que par les zones d’ombre de l’histoire de France. Un jeune instituteur français fraîchement installé à Alger, en 1954, constate la souffrance du peuple algérien et cet ancien résistant succombe doucement aux charmes d’une jeune algéroise progressiste. Ceci alors qu’il découvre que les évènements récents ont amené l’un de ses camarades de combat, toujours engagé dans l’armée française et à qui il reste fidèle, à devenir un tortionnaire… Cette situation cornélienne aborde donc un terrain très glissant avec intelligence et sensibilité, le tout servi par un dessin, certes encore un peu malhabile mais très prometteur, signé A. Dan (pseudonyme de Daniel Alexandre, illustrateur dans le domaine de la nature et du tourisme) dont c’est le premier album de bandes dessinées.
Gilles RATIER