Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Oublier Tian’Anmen » par Davide Reviati et « La Vengeance de Masheng » par Zhang Xiaoyu
Les lieux des drames historiques, guerres ou combats de rue pour la liberté et la dignité des hommes, valent qu’on ne les piétine pas innocemment. Ils appartiennent à une catégorie de voyage mémoriel bien à part, surtout quand ceux qui en foulent les pavés, le goudron ou la terre sont de ceux qui reviennent, sur leurs pas, sur leurs passés. Le personnage de Davide Reviati n’est pas de ceux-là , pas tout à fait…
« Oublier Tian’Anmen » met en scène Dario, un journaliste italien, qui décide de se rendre à Pékin pour faire un reportage, trouver témoins et acteurs, mais surtout pour faire honneur à une promesse faite à un amour de jeunesse, Fu-Chi, qu’il a connue en Italie mais dont la famille avait fui la Chine peu après les massacres de 1989, année où dans un coin d’Europe on abattait les murs et où, en Chine, on fortifiait l’intolérance politique.
Au fil des pages et de l’errance visuelle, captant un élément de décor, un visage, une scène de rue, un monument, une porte, un brûle-parfum, un pont de marbre, un mur de Cité interdite, la place célèbre bien évidemment, l’Italien construit, reconstruit les événements et la répression, mêlant l’intime sentimental et l’histoire nationale, imbriquant l’amour et l’horreur, ponctuant son observation de pensées philosophiques, de réflexions sur la Chine nouvelle ou de citations chinoises.
Davide Reviati est un graphiste du noir et blanc égrainant au fil de pages BD nombre d’illustrations très expressives, par deux ou trois, qui ralentissent la narration, la suspendent souvent, rendant le voyage contemplatif, son pinceau stylisant les contours, modelant les surfaces en des vues sans ciel, ni arrière-plans le plus souvent. Quelques pages se rehaussent de couleurs, comme un sursaut. On a, ici-même, présenté le premier album traduit de Reviati : « Etat de veille », consacré à son Italie industrieuse et polluante sacrifiant l’air et la santé de ses habitants. On soulignait alors le trait qui oscillait entre Baru et Mattotti. Cette fois, on pense davantage à Baudoin.
Puisqu’il est question de la Chine, profitons-en pour évoquer « La Vengeance de Masheng » de l’auteur chinois Zhang Xiaoyu, que les éditions Mosquito publient ce mois. Masheng y est un personnage atypique et marginal puisque ce colporteur infirme (borgne, manchot et unijambiste !), alcoolique et miséreux qui plus est, vend sur les marchés des figurines en pâte à pain qu’il réalise lui-même. Mais Masheng n’est-il que ce paria ? Le titre de l’album répond déjà à la question. Notons que le dessin de Xiaoyu qui alterne les très gros plans et d’exceptionnels panoramiques (la vision quasi verticale de plusieurs scènes de rue force l’admiration) est extrêmement séduisant et que la narration vue par les yeux d’un enfant ne manque pas d’intérêt dramatique.
Enfin, Chine oblige, signalons le « Gatsby le Magnifique » que Melchior-Durand et Bachelier viennent d’adapter. Ils ont transposé le personnage mythique de Scott-Fitzgerald (le récit date de 1925 et se situait à New York) dans la Shanghai d’aujourd’hui, montrant au passage la duplicité de cette ville hyper moderne qui recèle encore des quartiers à l’ancienne où se terre une population aisée, notamment ce jeune millionnaire timide organisant dans sa luxueuse villa des fêtes somptueuses… Le dessin Benjamin Bachelier est doux, délicat, travaillant la couleur en esquisses, quelquefois naïvement, ce qui ne manque pas de charme. Les auteurs, malgré la transposition géographique, restent fidèles à l’atmosphère bourgeoise et guindée de ce microcosme qui se complait dans les relations superficielles et les tourments amoureux sans fin.
Alors bons voyages,
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Oublier Tian’Anmen » par Davide Reviati
Éditions Cambourakis (20 €) – ISBN : 978-2-36624-024-5
« La vengeance de Masheng » par Zhang Xiaoyu
Éditions Mosquito (13 €) – ISBN : 2-35283-086-9
« Gatsby le Magnifique » de Benjamin Bachelier et Stéphane Melchior-Durand
Éditions Gallimard / Fétiche (18 €) – ISBN : 978-2-07-064706-4
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