Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Hellboy » T13 (« L’Ultime Tempête ») par Duncan Fegredo et Mike Mignola
Il y a quelques semaines, je vous parlais du tome 11 de « B.P.R.D. » qui clôturait le premier cycle de cette série. Aujourd’hui, la sortie du tome 13 d’« Hellboy » participe de ce même processus, « L’Ultime Tempête » constituant la conclusion des premières aventures du fameux héros de Mignola avant de revenir bientôt dans un deuxième cycle où Hellboy se retrouvera en enfer (et où Mignola reviendra enfin au dessin !). Un volume crucial.
Les 4èmes de couvertures des albums regorgent souvent de commentaires éditoriaux faisant les louanges de l’œuvre afin d’appâter le lecteur. Un lieu où – souvent – toute objectivité se perd, où tout devient « génial », « éblouissant », « inégalé »… Ici, il est écrit qu’« avec cet album, Mike Mignola et Duncan Fegredo clôturent magistralement le premier cycle des aventures d’Hellboy ». Eh bien force est de constater après la lecture de cet opus que ce commentaire est loin d’être mensonger, les deux hommes (auxquels on peut ajouter le coloriste Dave Stewart) ayant effectivement signé là une très belle conclusion à ce premier cycle, impressionnante, d’une grande puissance d’évocation. Ce qui est fou (ou remarquable, ou les deux), c’est qu’il ne se passe pas grand-chose, dans ces 160 pages fatidiques ; Mignola n’a pas multiplié les événements au dernier moment pour aller dans la surenchère et offrir un final faisant feu de tout bois, histoire de galvaniser le lecteur. Non, il a au contraire pris le temps de raconter la conclusion de son récit en traitant comme il se doit les états d’âme des protagonistes, en installant des atmosphères significatives (sublimement mises en images par Fegredo et Stewart), sans faire l’impasse sur de « petits moments » qui n’ont l’air de rien mais qui participent amplement à donner le ton dramatique de ce dénouement.
C’est avec un immense plaisir que l’on parcourt cet album, à la fois pris aux tripes par le récit fort et inspiré de Mignola et épaté par la maestria avec laquelle Fegredo s’est emparé de « l’esthétique Hellboy » pour nous offrir là un final à la hauteur de toutes les attentes. Dave Stewart, lui, continue d’alterner phosphorescences, tons crus et rabattus pour magnifier les dessins de Fegredo et donner toute sa dimension à l’atmosphère contrastée de l’œuvre. C’est une vraie réussite, où personne ne singe ni ne triche, explorant avec passion et envie le contexte et l’univers graphique de Mignola. Avec cet opus, Fegredo démontre une nouvelle et dernière fois qu’il est possible (mais pas donné à tout le monde) de s’approprier un style fort, aux codes très spécifiques, pour en tirer des œuvres qui ne soient pas des pâles imitations de l’original mais bien une suite légitime et talentueuse. Cela démontre aussi surtout combien le style de Mignola est unique et reconnaissable entre tous, si puissamment spécifique qu’il semble avoir sa propre grammaire visuelle, sa logique et son identité narrative, esthétique. On sent ici (comme jamais ?) combien Fegredo a compris l’essence même du style de Mignola, et combien il arrive à le faire vivre sans truchements, sans procédés ostentatoires, avec une sorte de naturel assez bluffant. Quoi qu’il en soit, le résultat est tout simplement magnifique… Nombreuses sont les images qui nous frappent la rétine par leur dimension incroyable, comme l’apparition de ce hérisson transformé en guerrier en armure, débarquant épée à la patte sur une petite route anglaise. On retiendra aussi les visages aux orbites vides des chevaliers anglais morts depuis des siècles et qui attendent leur roi, sous la pluie, en pleine nuit, sans bouger : des images fortes, mais dont Mignola et Fegredo n’abusent pas, sachant doser l’espace de chaque scène avec une retenue qui pousse à aller à l’essentiel.
L’Angleterre est en train de vivre – sans le savoir – un drame apocalyptique qui pourrait plonger la planète dans les ténèbres. Face aux armées des ombres et à la sorcière Nimué – qui semble de plus en plus puissante –, il faut un roi pour conduire une armée salvatrice. Hellboy sera-t-il ce roi ? Qu’il le soit ou non, comment pourra-t-il combattre cette menace quasi omnipotente où un ancien dragon œuvre pour déclencher la fin des temps afin de régner sur un ordre nouveau ? C’est une sorte d’ultime combat, pour Hellboy, qui est revenu aider l’humanité après un exil solitaire. À ses côtés, il y a Alice, qui l’aime et qu’il aime, mais des choses trop importantes sont en jeu pour que la vie « normale » puisse s’établir. À quelques moments du récit, le narrateur revient sur des périodes de la vie d’Hellboy, continuant à nous dévoiler ses blessures et ses facettes cachées à moitié oubliées. La fantasmatique spectaculaire de l’action finale n’étouffe donc pas l’humanité des personnages, l’auteur tenant à rendre compte du drame de chacun à l’intérieur du drame global. Ainsi, « Hellboy » ne perd jamais en humanité, alternant horrifique et une certaine psychologie compassionnelle pour dresser l’ensemble de son histoire. Entre mystique et horreur, la série garde une constante humaine qui fait d’elle bien plus qu’une simple saga post-gothique. Même si l’esthétique de l’univers de Mignola est stylisée jusqu’à l’épure, elle exprime néanmoins une véritable dimension psychologique (proche du tendre, étrangement) en s’appuyant sur un propos résolument humaniste – mais exacerbé dans une sorte de dramaturgie désespérée où l’humour n’est pas excommunié. Bref, une univers aussi profond et complexe que son identité visuelle semble « simple ».
Il y a une réelle émotion, dans cet ultime tome du premier cycle des aventures d’Hellboy. Évidemment, le dénouement est tragique. Évidemment on attend de lire la suite. Surtout lorsqu’on sait que Mignola va reprendre du service en dessinant à nouveau son « garçon de l’enfer » chéri. Un classique contemporain au succès mérité et dont la réputation n’est pas surfaite. Beau et poignant.
Cecil McKINLEY
« Hellboy » T13 (« L’Ultime Tempête ») par Duncan Fegredo et Mike Mignola Éditions Delcourt (35,00€) – ISBN : 978-2-7560-3583-3
À la fin, Hellboy casse la gueule au méchant, non ? J’en ai lu une tripotée et je me suis lassé. L’impression que la structure était toujours la même…
Bonjour Li-An, merci de votre commentaire.
Hé hé, eh non: à la fin, Hellboy ne s’en sort pas aussi « bien » que vous le pensez; justement, Mignola a rendu les choses plus nuancées, et le cassage de gueule n’équivaut pas à une victoire éclatante du gentil sur le méchant…
Bien à vous,
Cecil McKinley