Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...COMIC BOOK HEBDO n°74 (16/05/2009)
Cette semaine : BRYAN TALBOT MAÎTRE DU MONDE !!!
Pour fêter dignement la sortie aux éditions Kymera du troisième et dernier volume d’Au Cœur de l’Empire de Bryan Talbot (que je chroniquerai en fin d’article), Comic Book Hebdo vous propose une interview exclusive de ce grand artiste anglais dont il convient de répéter haut et fort combien son travail fut important dans l’histoire du comic book anglais (même Alan Moore se réclame de lui) et combien il le reste même dans l’histoire du comic book tout court, la lucidité et le talent de cet homme étant plus que jamais nécessaires aujourd’hui.
À l’occasion de la sortie de cet album, Bryan Talbot est en tournée ; vous pourrez le rencontrer lors de séances de dédicaces les 16 et 17 mai au Salon du Livre de Caen, le mardi 19 à la librairie Arkham (Paris), le vendredi 22 à la librairie Forbidden Zone (Bruxelles), et enfin le samedi 23 à la librairie Astro City (Lille).
Dernière chose avant de plonger dans le vif du sujet, Bryan Talbot, l’écume phosphorescente aux lèvres, a honteusement menacé de venir jusque chez moi pour me pendre par les pieds et me torturer par la lecture de best-sellers sur une danse de Saint Guy jusqu’à ce que j’en vomisse de rire et que je sente ma cervelle s’enfoncer dans mes tripes (et si ça ne suffit pas il a juré qu’il ferait appel à certaines milices de l’ombre qui sauraient me faire passer l’envie de ne plus lui faire de publicité) si je ne mettais pas le lien sur le teaser de son prochain album, Grandville, qui sortira cet automne et dont nous parlons dans l’interview. Donc, je vous le dis en toute simplicité, naturellement, comme ça, l’air de rien : CLIQUEZ SUR CE LIEN, J’VOUS EN SUPPLIE, SINON BRYAN VA M’FAIRE LA PEAU !!! Le voici : http://www.youtube.com/v/aqMuf2ejpok&hl=en&fs=1.
Euh… God save Bryan !
L’INTERVIEW
Cette interview a eu lieu le 1er février 2009 pendant le festival d’Angoulême.
McKinley : Bonjour Bryan Talbot. C’est un bonheur immense pour moi de vous rencontrer.
Bryan Talbot : Oh, merci.
McKinley : Avec Neil Gaiman & Dave McKean, ou Warren Ellis pour ne citer qu’eux, vous êtes à mes yeux l’un des plus grands auteurs de bande dessinée britannique. Un de ceux qui, ces trente dernières années, ont apporté quelque chose de totalement neuf et profond dans l’univers des comics US.
Bryan Talbot : Mmm… Le fameux ?Brit Pack? !
McKinley : Oui !… Pour commencer, peut-être pourriez-vous me parler du regard que vous portez sur votre œuvre aujourd’hui, après toutes ces folies que vous avez créées ?
Bryan Talbot : Eh bien, si vous connaissez mon œuvre, je ne vous apprendrai rien en vous disant que je n’ai jamais voulu faire deux fois la même chose. À cet égard, les Beatles et David Bowie m’ont fortement influencé.
McKinley : Ah ? Génial !
Bryan Talbot : Ils se sont constamment réinventés, c’est vrai. Et moi, depuis toujours, quand j’ai fini un ouvrage, je veux chaque fois entamer quelque chose de différent. Je viens de terminer un graphic novel intitulé Grandville, du nom de l’illustrateur français du XIXème siècle célèbre pour ses personnages anthropomorphiques. C’est en regardant l’un de ses livres – que j’ai depuis des années – que m’est venue l’idée de ce thriller avec des animaux, un thriller policier steampunk situé à Paris, durant la Belle Époque. Un Paris steampunk, avec des automates, des dirigeables, des voitures à deux roues tirées par des machines à vapeur. Pour la première fois de ma vie, j’aimerais faire une petite série d’ouvrages avec le personnage de ce roman graphique : l’inspecteur de police principal LeBrock de Scotland Yard, un grand blaireau issu de la classe ouvrière ayant les capacités déductives d’un Sherlock Holmes, mais aussi celle de tabasser quiconque le temps qu’il faut pour lui sortir les vers du nez. En bref, un Sherlock Holmes vu par Quentin Valentino ! (Rire : Doux Jésus !) Oui, j’aimerais faire une série de romans ?Grandville?, parce que je n’ai encore jamais fait ça, ni fait de livre avec des animaux, un comic anthropomorphique.
McKinley : C’est une excellente idée !
Bryan Talbot : Je vous montrerai le premier, après l’interview, si vous voulez.
McKinley : Oh oui, avec plaisir !
Bryan Talbot : J’envisage donc de faire Grandville durant les trois ou quatre, voire les cinq années à venir. Le titre du deuxième volume sera Grandville, Mon Amour !
McKinley : Grandville était un merveilleux dessinateur.
Bryan Talbot : Oui. Il a beaucoup influencé John Tenniel, l’illustrateur des Aventures d’Alice Au Pays Des Merveilles.
McKinley : On sent que vous avez une réelle culture, un réel amour de l’image, de la littérature, de la poésie… Votre esprit semble totalement immergé dans un univers artistique complexe. La première chose dont vous m’ayez parlé, c’est des Beatles et de David Bowie ! Comment faites-vous pour articuler, mêler, exprimer tous ces genres dans un même ouvrage ? Je veux dire… Luther Arkwright, par exemple… Voilà une des bandes dessinées les plus surprenantes que j’aie jamais vu. Avec une dimension politique et satirique… C’est complètement dingue !
Bryan Talbot : Ça faisait très longtemps que je voulais faire un graphic novel, bien avant que le terme lui-même ne soit utilisé. L’idée de cette histoire a germé dans ma tête durant l’ère punk, en réaction contre la fadeur des comics américains et anglais de la fin des années 70. Si un personnage se recevait une balle, par exemple, il ne saignait jamais. Personne ne jurait, vomissait ni pétait. Il n’y avait pas de sexe ! On ne pouvait voir ce genre de choses que dans les romans en prose ou les films. Jamais dans les comics. Quand Arkwright tire une balle dans une tête, on voit l’arrière du crâne exploser, nom d’une pipe ! Dans les comics grand public de l’époque, on parlait très peu de politique, de religion, de philosophie, d’érotisme, de choses qui intéressent les adultes, en fait. Alors j’ai voulu aborder tous ces thèmes dans Les Aventures de Luther Arkwright. De nombreux films contemporains m’ont également influencé, comme ceux de Nic Roeg, Sergio Leone, Sam Peckinpah… Je voulais faire quelque chose d’aussi riche qu’un roman en prose, une histoire d’aventure intelligente pour adultes. Tournée en même temps contre la montée des Conservateurs, avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement Thatcher, et celle du Front National fasciste britannique. À cette époque-là, je faisais des illustrations pour la ligue Anti-Nazi. L’histoire d’Arkwright est donc résolument une véritable déclaration anti-fasciste.
McKinley : Il est évident que votre travail est un cri de résistance contre la médiocrité, la violence physique et mentale de nos sociétés, de notre système. Pour moi, ce que vous faites est essentiel et, ce, de plus en plus. Car vous êtes un esprit libre et révolté. Avez-vous eu des difficultés à faire éditer tout ce que vous aviez envie de dire ou de dénoncer ?
Bryan Talbot : Heu… Non. Pas vraiment. Pas sur le long terme. Au début, par contre, j’ai eu beaucoup de mal à faire publier Alice In Sunderland. À la différence des autres, ce graphic novel est tellement complexe à décrire que les éditeurs étaient tout simplement dans l’incapacité absolue d’imaginer le produit fini, le résultat final. J’en suis par conséquent venu à le dessiner entièrement afin de pouvoir le montrer. C’est ainsi que Jonathan Cape (de la grande maison d’édition Random House Britain) et puis Dark Horse aux USA me l’ont pris.
McKinley : Pensez-vous pouvoir aller encore plus loin, aujourd’hui ?
Bryan Talbot : Je l’espère bien !
McKinley : Vous jonglez, dans une même histoire, avec des choses complètement différentes : l’aventure, la science-fiction, l’humour…
Bryan Talbot : J’adore faire de l’humour.
McKinley : … plusieurs techniques de narration aussi, et j’en passe… Quel est le vrai Talbot ? Le révolté ? Le ?rigolard? ? Celui qui rit pour ne pas pleurer ?
Bryan Talbot : Je ne sais pas.
McKinley : Un mélange de tout ça ?
Bryan Talbot : Oui. Pourquoi pas ?
McKinley : Est-ce que vous choisissez l’esprit général de l’histoire à venir, ou bien tenez-vous à continuer à mélanger les genres ?
Bryan Talbot : Le tout dépend du type d’histoire que je raconte. Ayant tendance à écrire des histoires pour adultes, je veux qu’elles soient denses, complexes, tout en profondeur. Mais il m’est arrivé de faire une ou deux histoires pour enfants autrefois, un jeu aussi, un comic de jeu de rôle : c’était alors obligatoirement plus simple.
McKinley : Comment travaillez-vous vos histoires ?
Bryan Talbot : En ce qui concerne Grandville, j’ai travaillé d’une façon tout à fait inhabituelle. Je l’ai écrit très vite, dès que j’en ai eu l’idée. D’ordinaire, je pense à mes histoires plusieurs années durant, avant de les réaliser. Tenez, par exemple, cela va faire douze, voire quinze ans, que j’ai en tête une histoire de fantasy. Il se peut que je ne la fasse jamais !
McKinley : En effet, c’est ce qui s’appelle un projet à très long terme ! Votre travail est donc plutôt un ?work in progress », un travail qui a besoin d’une véritable nidation pour aboutir ?
Bryan Talbot : Oui. Je suis quelqu’un en perpétuel apprentissage, et j’apprends lentement. Je suis encore à la recherche d’un niveau d’écriture et de dessin qui me satisfasse entièrement. Avant de commencer Alice In Sunderland, j’avais réfléchi au projet pendant 2 ou 3 ans et fait un travail monstrueux de recherches, tout en travaillant sur d’autres livres… Et durant les 3 ou 4 ans que m’ont pris l’écriture et les dessins de l’album, je n’en ai pas pour autant abandonné mes recherches ! Comme si je préparais un Doctorat ! (Rire) Au dos du livre, il y a toute la liste de mes sources.
(Note de la traductrice : Bryan ne croyait pas si bien dire à l’époque, puisqu’entre temps il s’est vu décerner, par l’Université de Sunderland, un Doctorat en Arts pour son travail sur cet ouvrage !!!)
McKinley : Vous pensez beaucoup à tous les différents aspects de vos livres. Beaucoup de réflexion, de documentation… C’est un choix de votre part, de travailler ainsi ?
Bryan Talbot : Ce n’est pas un choix, je travaille ainsi. Je connais beaucoup d’auteurs qui travaillent sur des bandes dessinées commerciales. Ils peuvent travailler sur une mini-série l’après-midi, et écrire des nouvelles le matin, par exemple. Ils sont très prolifiques et tapent directement. C’est une sorte de formule, au fond. Moi, je n’aime pas travailler selon une formule. Chaque histoire a mûri longuement dans ma tête avant que je ne la démarre. Excepté pour Grandville, comme je l’ai déjà dit : là, quand l’idée m’est venue, j’y ai réfléchi un mois environ. Après, j’ai bâti la structure fondamentale, ai entamé la frappe de la première ébauche, et toute l’histoire m’est venue en l’espace d’une semaine. Comme si j’étais sous une dictée ! Je voyais chaque page défiler devant moi, au fur et à mesure que je tapais. Toutes les fois précédentes, pour faire un graphic novel, je travaillais simultanément avec les ébauches de croquis, les mises en page et les dialogues, jusqu’à ce que toute la maquette du livre soit faite, et alors seulement je tapais la première ébauche.
McKinley : Votre travail et votre vie s’imbriquent étroitement l’un dans l’autre, j’imagine ?
Bryan Talbot : La bande dessinée est un mode de vie, pour moi. Les murs de ma maison sont couverts d’illustrations de bandes dessinées. J’ai lu des comics toute ma vie. Parfois, la vie réelle m’est même apparue sous forme de cases. Alors qu’en Angleterre je me promenais au Lake District, par exemple, un oiseau s’est envolé de derrière les arbres, et j’ai aussitôt vu la scène séquencée en cases dans ma tête. Je m’en suis inspiré dans Luther Arkwright. Je l’ai dessinée telle que je l’ai vue. Dans mes rêves, je suis souvent à mon travail, dessinant des comics, colorisant des pages sur mon ordinateur, ou essayant de résoudre quelque problème imaginaire de couleur, ou des choses de ce genre, ce qui montre à quel point mon travail me remplit l’esprit.
McKinley : On devine, dans votre travail, une véritable science de la narration. Dans Arkwright, on voit les mots et les images construire différents niveaux de narration et de conscience, c’est un laboratoire. Que recherchez-vous dans ce processus ? À exprimer les choses par plusieurs procédés ?
Bryan Talbot : Avec Luther Arkwright, ma démarche était expérimentale. Je voulais faire des choses qu’on n’avait jamais vues auparavant dans une bande dessinée. Il y a une séquence de 6 secondes dans Arkwright que j’ai étalée sur 72 cases, une autre de 20 pages racontée uniquement par collages d’images et de gros pavés de texte, et il y a aussi des sections où j’ai essayé d’adapter le montage de films d’avant-garde contemporains à la forme de la bande dessinée. Je cherche à faire quelque chose de différent avec ce médium, à y introduire quelque chose de nouveau. J’ai sorti l’an dernier un graphic novel très expérimental, intitulé Metronome. Dans le cadre de mon expérience, je l’ai lancé sous le nom de plume de ?Véronique Tanaka?. Le lectorat ne devait pas avoir de préjugé quelconque en voyant mon nom sur la couverture. Le livre se présente dans un format carré, il comporte 16 cases par page (4 fois 4), et il se lit de la dernière à la première page, en partant du bas gauche de la page verso pour continuer sur le haut droit de la page recto. Il s’agit d’une histoire d’amour vouée à l’échec entre une fille et un musicien, racontée sur un rythme à 4 temps. Tout n’est que ?silence?. La narration se fait par symboles et images récurrents, de telle sorte qu’on lise : un-deux-trois-quatre, un-deux-trois-quatre, un-deux-trois-quatre… J’aime en parler comme d’un ?manga existentiel? ! Il m’a été inspiré par La Plage, un morceau d’écriture existentialiste d’Alain Robbe-Grillet. Dans cette œuvre, il n’y a pas d’histoire. Des enfants marchent le long d’une plage. Ils laissent leurs empreintes de pas dans le sable. Des mouettes s’envolent à leur passage, tournoient, puis atterrissent devant eux. Une cloche d’église sonne au loin. C’est tout. Les enfants marchent, les vagues arrivent, les oiseaux s’envolent, la cloche sonne. Chaque chose se répète, comme si cet instant allait durer éternellement. Le moment est à la fois figé dans le temps et sorti hors du temps pour exister dans son propre espace. L’atmosphère est absolument fantastique. Voilà ce qui m’a inspiré Metronome, une histoire racontée par images répétées. Des images qui, à première vue, semblent aléatoires, mais prennent tout leur sens au fur et à mesure que l’on tourne les pages. C’est NBM, aux USA, qui a publié le livre. L’éditeur est Terry Nantier, un Français. Il est ici, à Angoulême, pour le festival. On parlait ensemble hier soir, et il disait que le livre se vendrait peut-être mieux si je le mettais sous mon vrai nom. Je vais donc faire mon coming out !
McKinley : Vous êtes un grand auteur. J’ai réellement découvert Luther Arkwright grâce aux Éditions Kymera. C’est une véritable chance, car Kymera, bien que très très grande par l’esprit, est une petite structure éditoriale, et sans la passion d’Éric Bufkens, nous ne pourrions pas lire d’œuvres comme celle-là. Les « grands » éditeurs ne publient pas ce genre de choses : trop difficile, trop intellectuel… Et je crains qu’un titre comme Signal To Noise de Neil Gaiman et Dave McKean ne soit jamais publié en France, malgré son importance.
Bryan Talbot : Mais pourquoi ? Neil Gaiman est un très grand nom…
McKinley : Parce que la narration est trop étrange. Si je vous dis ça, c’est que j’aimerais savoir si vous pensez que la créativité, la créativité réelle, est encore possible de nos jours ? Nous vivons à l’ère de la communication, mais les gens ne savent plus communiquer, lire, écouter, recevoir, comprendre. C’est de plus en plus difficile. C’est terrible, tout de même, pour la création…
Bryan Talbot : Et les éditeurs (comme les producteurs de films) ne veulent faire que du commercial. Tout ce qui est différent les effraie. Je crois cependant que ceci s’applique davantage à Hollywood qu’à la France. Les films indépendants demeurent encore prisés chez vous.
McKinley : Pensez-vous que des auteurs comme vous puissent continuer à créer dans une totale liberté ?
Bryan Talbot : Absolument. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, dans toute l’histoire de l’industrie de la BD, je pense qu’il n’y a jamais eu de meilleurs comics et de meilleurs graphic novels qu’il y en a à l’heure actuelle. En fait, s’il devient de plus en plus difficile d’écrire et de dessiner des graphic novels, c’est que la barre qualitative est de plus en plus haute. Il y a d’excellentes œuvres qui sortent en Grande-Bretagne. Comme Tamara Drewe de Posy Simmonds ou encore Britten & Brulightly d’Hannah Berry. Ces deux auteures ont été publiées en France. Hannah n’a que 25 ans, mais son livre est surprenant de maturité.
McKinley : Le regard que vous portez sur le monde actuel de la BD est donc optimiste ?
Bryan Talbot : Définitivement. Il y a 20 ans, le graphic novel a connu un grand boom en Grande-Bretagne. Tout d’un coup, les comics, c’était cool. Les Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons, le Dark Knight de Frank Miller, et le Maus d’Art Spiegelman avaient ouvert la voie. Les journaux et les magazines annonçaient ?Hey ! Les comics, c’est plus pour les enfants !? Cela n’a pas duré, hélas, faute d’un nombre suffisant d’œuvres de qualité. Ce qui s’est passé, c’est que des sociétés comme Marvel ont aussitôt bondi dans le train en marche des graphic novels et relié par 6 des épisodes de super-héros pour que le résultat ait l’apparence d’un graphic novel. Les lecteurs de Watchmen et autres se sont alors précipités sur un de ces supposés ?graphic novels? (Spiderman par exemple), s’attendant à y trouver le même niveau de sophistication. Quand ils ont découvert, bien sûr, que ce n’était qu’un gros tas de merde, cela n’a fait que renforcer leurs préjugés antérieurs sur les comics. Heureusement, nous connaissons aujourd’hui un second boom. Il y a un réel regain d’intérêt de la part du public, et de sacrées bonnes œuvres en nombre très suffisant pour soutenir le décollage, cette fois. Nous disposons désormais d’une gamme énorme de genres différents (science-fiction, policier, aventure, documentaire, reportage, autobiographie), tous issus d’auteurs talentueux. Aujourd’hui, en Grande-Bretagne, on peut trouver un espace consacré aux romans graphiques dans toutes les bibliothèques et toutes les librairies. Il y a 10 ou 15 ans, cela n’existait pas. Aujourd’hui, les éditeurs grand public, comme Jonathan Cape, se sont impliqués. Autrefois, ils n’éditaient que des comics de super-héros. Donc, oui je suis optimiste. Depuis 2 ou 3 ans, je suis invité dans les festivals de littérature mainstream, et non plus seulement dans les festivals de BD. Preuve que le medium est pour la première fois considéré très sérieusement en Grande-Bretagne.
McKinley : Avez-vous de bonnes relations avec les autres auteurs ? Y a-t-il un esprit commun, une mouvance, entre vous ?
Bryan Talbot : La Grande-Bretagne est un petit pays, vous savez. Nous nous connaissons pratiquement tous. Nous avons tenu des séances de dédicaces ensemble dans les festivals, et nous nous rencontrons dans des endroits comme la Bristol Comic Expo et le San Diego Comic Con. J’ai récemment collaboré avec Mark Stafford sur Cherubs (Les Chérubins). J’ai écrit le scénario, il a fait les dessins. Mark Stafford est probablement le meilleur artiste britannique Indie du moment. Regardez !
McKinley : Introduction par Mel Gibson ?!?
Bryan Talbot : Eh oui ! Le livre aborde un thème religieux. Donc ? Mel Gibson ! La… La merde ! Mel Gibson !… (Rire) Chapeau bas pour Mel Gibson ! (Rire) Allez, c’est une blague. Mel Gibson est une de mes amies. C’est une experte en comics, chez nous, en Grande-Bretagne. Eh oui ! Mel Gibson est une femme ! Vous connaissez l’artiste américain Paul Pope ? Il m’a dit qu’il ferait l’introduction du prochain volume, pour pouvoir mettre en couverture ?Introduction by THE (Paul) POPE? (?Introduction par le Pape?) !!! (Rire) Cherubs est une comédie d’aventure surnaturelle qui tourne autour d’une bande de chérubins en cavale dans Manhattan, à la veille de l’Apocalypse.
McKinley : Vous avez toujours de nouvelles idées, comme ça ?
Bryan Talbot : Oui ! Et j’en ai déjà des dossiers entiers ! Toute idée valable qui me vient à l’esprit, je la note, et je la glisse dans un de ces dossiers. Chaque dossier contient des notes pour d’éventuels futurs bouquins, dont je ne sais jamais quel sera le prochain.
McKinley : Ça ne vous effraie pas, toutes ces idées en attente ?
Bryan Talbot : Certaines n’aboutiront jamais, vous savez. Comme cette histoire de fantasy que j’évoquais… Il y a déjà bien trop de livres de ce genre, et tout semble déjà avoir été fait. Le public est gavé de sorciers et de dragons…
McKinley : Entre vos tout débuts et aujourd’hui, comment voyez-vous l’évolution de votre travail, de vos idées, de votre dessin ?
Bryan Talbot : Mon dessin s’améliore, je pense. Comme je vous le disais, je suis un perpétuel apprenti et j’apprends lentement. Mais dès leurs débuts dans la profession, des gens comme Dave Gibbons ou Steve Ditko, par exemple, avaient déjà un style bien à eux, et qui n’a guère changé au fil des années. En ce qui me concerne, si vous jetez un œil à mes premières œuvres underground, vous constaterez que ce n’est pas très bon. Mais mon style s’est amélioré ces 30 dernières années ! (Rire). Vous avez vu le livre The Art Of Bryan Talbot paru chez NBM ? C’est un recueil de mes illustrations depuis mes tout débuts jusqu’à l’an dernier. On y perçoit très bien l’évolution de mon style. Il a énormément changé.
McKinley : Vous savez, nous sommes nombreux, en France, à admirer votre travail.
Bryan Talbot : Merci ! Je ne suis pas encore très connu chez vous, pourtant. Mais en Italie, en République Tchèque et en Grèce, par contre…
Tenez. Vous vouliez voir mon Grandville ? Regardez…
McKinley : Wouah ! Génial ! Et c’est vous qui avez fait les couleurs ? C’est splendide !
Bryan Talbot : J’ai fait les traits sur ma planche à dessin, mais colorisé le tout sur l’ordinateur.
McKinley : Superbe… Vous croyez qu’on pourra le lire bientôt en France ?
Bryan Talbot : J’espère. Casterman, Delcourt, et Le Lombard sont tous les trois intéressés. Et cet après-midi, je dois rencontrer Denoël. Les trois premiers éditeurs ont vu le livre, il leur a beaucoup plu, mais ils veulent le lire avant de prendre une décision. Je leur enverrai donc un PDF, dès que j’aurai entièrement finalisé les couleurs. J’avoue que cette colorisation m’a pris bien plus de temps que les crayonnés et les encres. L’ordinateur qui fait gagner du temps, ce n’est qu’un mythe. J’aurais été beaucoup plus rapide si je l’avais peint !
McKinley : Que pensent les autres auteurs de votre travail ?
Bryan Talbot : Beaucoup semblent apprécier. On fait souvent appel à moi. Et Neil Gaiman s’est montré très élogieux dans son introduction de L’Art de Bryan Talbot. Hé ! Pas fou !… Je lui avais glissé un billet de cinq livres !
McKinley : (Rire) Merci de m’avoir consacré tout ce temps, Bryan.
Bryan Talbot : Mais ce fut un plaisir !
(Transcription et traduction de l’interview : Françoise EFFOSSE-ROCHE)
AU CŒUR DE L’EMPIRE tome 3 (éditions Kymera)
Merci, Éric Bufkens, d’aller jusqu’au bout de vos passions. Grâce à Kymera, nous pouvons enfin lire l’intégralité d’Au Cœur de l’Empire, cette suite haute en couleurs des Aventures de Luther Arkwright que cette maison d’édition avait édité en 2006. Au lieu de revenir à la charge en vous exposant à nouveau tout le toutim (et si vous ne connaissez pas encore cette œuvre majeure de Talbot), je vous invite plutôt à cliquer sur le lien ci-après qui vous permettra de lire l’article que j’avais consacré à Talbot et Arkwright : http://bdzoom.com/spip.php?article3461.
Pour ce qui est de la fin tant attendue de cette saga étonnante, que vous dire ici sans dévoiler la trame du dénouement de ce récit..? Impossible, tant Talbot a resserré l’intrigue dans un entrelacs d’événements se télescopant de plus en plus rapidement dans le temps, se rejoignant dans une spirale d’angoisse semblant inéluctable… Car oui, je vous le rappelle, l’univers entier risque de nous exploser à la figure à cause d’une horrible menace, et lorsque débute cet album, il ne nous reste plus guère que 5 heures à vivre avant la fin des temps. Le compte à rebours s’égrène tout au long du récit, avec une célérité grandissante, et s’il n’y avait l’humour ravageur de Talbot pour nous apaiser un peu, bien peu de lecteurs pourraient aller jusqu’au bout de l’ouvrage sans succomber à une crise cardiaque ! C’est justement – et encore une fois – ce mélange des genres si cher à Talbot qui fait de cette œuvre bien plus qu’une simple aventure fantastique : derrière les apparences, en sous-jacence dans les faits les plus « anodins » se cachent toujours une pensée de l’auteur, une attention, une intention. Intention de dire, d’agir, de créer pour dire quelque chose, mais jamais comme on pourrait l’attendre. Complètement décalé, Talbot l’est. Complètement déjanté, Au Cœur de l’Empire l’est. Mais rarement folie est plus lucide, plus juste, plus pertinente, que dans les ouvrages de ce grand auteur anglais. Entre une terreur folle de mourir et un accès de pétomanie, entre un équilibre cosmique et l’éclat d’un argot bien choisi, nous naviguons dans un contexte où nos repères habituels sont quelque peu secoués, et c’est parfait ainsi !
Onirique et sarcastique, grandiose et grotesque, colérique et humaniste, Au Cœur de l’Empire s’inscrit bien dans l’esprit de Talbot, abordant des sujets importants dans un délire présumé. Avec des pointes qui ne trompent pas, comme Luther Arkwright qui – à la fin de l’album – répondra avec véhémence à un monsieur comme il faut : « Montrez-moi un pays en attente d’un leader fort et je vous montrerai une nation de moutons ! » Vous retrouverez dans cet album tous les personnages de la saga : Fairfax, Luther, Vickie, Angela, Hiram, Gabriel, Anne, et Barberini, ce moine fou et destructeur… Luther devra apprendre à sa fille Victoria à se servir de ses pouvoirs psioniques ; Angela et Hiram vont se rendre compte à quel point le pouvoir en place et ses sbires ne veulent engendrer que violence envers le peuple ; Fairfax, Nelly et quelques combattants de la liberté vont tenir tête à l’oppression ; et dans le complexe Wotan, Rose et ses équipiers vont avoir bien du mal à sauvegarder l’équilibre cosmique au fur et mesure que l’Apocalypse se rapproche… Quant à Henry, le fils assassiné de Luther, cette histoire nous montre combien les enfants sont source de bien des problèmes pour leurs parents… Le style de Talbot, ici avec ses cernés gras et ses traits internes fins se rapprochant de la logique esthétique de l’Art Nouveau et des vitraux, génère des images fortes et expressives, sublimement mises en couleurs par Angus McKie. Je pourrais vous parler encore des heures et des heures de Bryan Talbot et de ses œuvres, mais à un moment il faut savoir s’arrêter, et laisser les lecteurs découvrir par eux-mêmes ce qui donne aux comics leurs lettres de noblesse. Noblesse punk, évidemment… isn’t it, Bryan ?
Cecil McKINLEY