Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Whaligoë » T1 par Virginie Augustin et Yann
L’Ecosse fait partie de ces contrées qui inspirent les auteurs. Il y a là un potentiel graphique et atmosphérique évident (« atmosphère, atmosphère »…), surtout quand on situe son projet au XIXème siècle, ce que viennent de faire les auteurs de « Whalingoë », une histoire prévue en deux tomes.
Alors que la couverture dévoile une femme endormie dans un cimetière bleu nuit, morte peut-être, en tout cas évanescent et diaphane comme peut l’être un fantôme, les premières pages sont autrement plus rugueuses, et tant mieux ! Tout commence par un combat de coqs, métaphore probable de ce qui va s’ensuivre, comme l’est aussi ce « funnel », sorte d’entonnoir destiné à couper la tête aux volatiles perdants. Là , en 1815, dans cette bourgade nommée Whaligoë, non loin de falaises vertigineuses, deux jeunes bravent les superstitions gaéliques, afin de s’engager pour toujours. Lui est fils de fossoyeur…
C’est aussi là , dans ce village, que débarque 12 ans plus tard, un couple élégant et détonnant, deux aristocrates londoniens : lord Douglas Dogson, un écrivain qui a eu son heure de gloire mais dont l’inspiration semble-t-il s’est tarie, et Speranza, sa muse et maîtresse. Ils sont tous les deux épuisés par trois jours de calèche, l’écrivain fuyant des dettes et une sombre affaire de mÅ“urs. Speranza est très remontée contre ce Douglas qu’on devine très « démonté ». L’un a perdu son talent – il déprime sévèrement – l’autre, sa beauté – elle se shoote au laudanum pour l’oublier – et comme le dit la dulcinée : ils touchent le fond ! C’est là que réapparaît la jeune fille fantomatique de la couverture, un spectre improbable qui pousse l’Anglais à décider de s’installer un peu, alors que sa compagne découvre que dans ce village séjourne Ellis Bell, un écrivain mystérieux, un vrai, un bon, l’auteur de « La grouse des bruyères ». Tout un programme ! Evidemment, vous ignorez ce qu’est une grouse ! Ce n’est qu’une « sorte de petit coq de bruyère d’origine écossaise », un de ces gibiers à plumes qui peuplent les alentours de Whalingoë… où la mort commence à rôder plus qu’il n’est naturel !
S’il n’est pas douteux que Yann va nous concocter une intrigue surprenante (du moins, on l’espère, d’autant qu’il revient à ses imbroglios celtico-ruraux comme il l’a fait déjà dans « Le Sang des Porphyre »), constatons surtout que c’est pour Virginie Augustin une nouvelle expérience éditoriale avec un scénariste de renom. Dans son précédent « Voyage aux Ombres », sur scénario d’Arleston (et Alwett), elle se surpassait et donnait à ce récit oriental (un univers peuplé des créatures les plus variées : zombies, succubes, vampires, fantômes, momies…) une puissance étonnante. C’était à la fois sec, efficace, vivant, bref un one-shot nourri de mondes légendaires joliment mis en scène. Comparativement, Virginie Augustin a très nettement simplifié son trait, épuré ses cases, mais c’est toujours aussi expressif.
Alors, bon voyage…
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Whaligoë » T1 par Virginie Augustin et Yann
Éditions Casterman (XX €) – ISBN : 978-2-203-06089-0