Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Droit du sol ? par Charles Masson, ? Damoclès T.2 : La Rançon impossible ? par Alain Henriet et Joël Callède, et ? Le Rêveur ? par Will Eisner.
? Droit du sol ? par Charles Masson – Editions Casterman (24 Euros)
Après ses deux précédents et remarquables ouvrages dans la même collection « Écritures » (« Soupe froide » et « Bonne santé », deux romans graphiques basés sur ces expériences dans le secteur de la santé, l’auteur étant médecin ORL) et son plus anecdotique mais très intéressant « Boules vitales » (scénario de Sylvain Ricard chez Futuropolis), Charles Masson nous a concocté un épais livre de 430 pages sur la condition des clandestins à Mayotte : une petite île française de l’Océan indien qui fait partie des Comores et que notre narrateur graphique connaît bien puisqu’il y allait travailler deux mois par an. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il nous met, comme il le dit lui-même, « un coup-de-poing dans le foie » ! Rajoutant pour l’occasion : « Que cela ne vous empêche pas de vous lever pour vous bouger » ! En effet, dans cet ouvrage humaniste, nous découvrons les conditions souvent misérables et inhumaines dans lesquelles vivent les candidats à la nationalité française qui y affluent chaque jour (en 1976, Mayotte s’est prononcée pour le maintien de l’île dans le cadre français) : et c’est vrai que cela doit faire réagir quand on voit à quoi sont prêtes ces jeunes Malgaches pour changer de vie, dissimulant sous un perpétuel sourire les souffrances qu’elles subissent. Le trait jeté et légèrement caricatural de Charles Masson collant parfaitement à son scénario bien documenté, lequel évite tout misérabilisme : un grand bouquin !
? Damoclès T.2 : La Rançon impossible ? par Alain Henriet et Joël Callède – Editions Dupuis (10,40 Euros)
Lors de la sortie du tome 1 de « Damocles », nous prédisions que la collection « Repérages » des éditions Dupuis pourrait bien tenir là un nouveau « Largo Winch » ! Même si le succès n’est pas encore comparable, nous ne nous sommes guère trompés car le 2ème épisode de ce thriller efficace, situé dans un futur proche (où le gouvernement britannique, appuyé par l’union européenne, permet le développement de sociétés de sécurité privées devant la recrudescence des enlèvements contre rançon), confirme tout le bien que nous en pensions… L’agence de protection rapprochée Damoclès fait dans le haut de gamme et vient de mettre ses meilleurs agents (dont la charmante et très professionnelle Ely) à la disposition d’un industriel ayant bâti son empire sur le commerce des armes : son fils, un habitué des boîtes branchées et des longues nuits de débauches, est menacé par une organisation qui exige l’abandon total et radical des programmes menaçant l’écologie ou la paix. Le scénario palpitant et maîtrisé de Joël Callède s’attarde aussi sur les psychologies complexes des principaux personnages et sur leurs relations qui ne sont pas toujours simples. Quant au dessin classique et soigné d’Alain Henriet, il remplit parfaitement son office, perpétuant avec élégance la solide tradition de la bande dessinée d’aventure.
? Le Rêveur ? par Will Eisner – Editions Delcourt (12,90 Euros)
Dans ce roman (autobio) graphique datant de 1986, le mythique créateur du « Spirit » revient sur les débuts de son immense carrière, au temps où, jeune idéaliste, il s’acoquinait avec d’autres dessinateurs de super-héros et futurs monstres sacrés du genre : tels Bob Kane (le créateur de « Batman »), Jack Kirby (« Captain America », « The Fantastic Four », « Thor », « The Avengers », « Hulk », « The X-Men »…), Lou Fine (« The Black Condor ») ou Gil Kane (« Green Lantern », « Conan », « Daredevil », « Star Hawks », « Tarzan », « Superman »…). Ce véritable témoignage, légèrement romancé, sur l’époque révolue des comics du Golden Age est très représentatif de la mise en scène théâtrale du Will Eisner de la grande époque : un homme qui oeuvra énormément pour que la bande dessinée devienne mature et soit reconnue comme telle. L’ouvrage (qui bénéficie d’une nouvelle traduction d’Anne Capuron), agrémenté d’une postface émouvante de Scott McCloud et de notes explicatives bien utiles dues à Denis Kitchen, contient aussi une courte nouvelle, réalisée plus tardivement, sur le même sujet (« Le Jour où je suis devenu pro », de 2003) et un autre récit du même acabit « Crépuscule à Sunshine City » (réalisé en 1985). A noter que cette dernière histoire était déjà au sommaire du troisième volume de « Big City » (« Soleil d’automne à Sunshine City ») publié par Comics USA, en 1986. Si cet ouvrage « Spécial USA », alors traduit par Janine Bharucha (l’épouse de Fershid Bharucha, le directeur de cette collection) reprenait aussi « Le Rêveur » et deux autres récits restés, sauf erreur de notre part, encore inédits chez Delcourt (« Conscience professionnelle » et « Gagner »), il ne contenait pas les quatre pages de 2003 : donc, un incunable à conserver précieusement, en attendant que l’éditeur de Chris Ware et des « Blagues de Toto » les ajoutent à l’un des autres livres de Will Eisner qu’il prévoit de rééditer…
Gilles RATIER