Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les auteurs africains en Europe, quarante années d’histoire…. (deuxième partie)
Notre collaborateur Christophe Cassiau-Haurie poursuit son panorama complet de ces quarante dernières années où les auteurs africains de bande dessinée ont publié leurs Å“uvres en France et en Belgique. En attendant la troisième et ultime partie qui sera mise en ligne mardi prochain…
Quand l’Afrique s’édite en Europe…
Certains auteurs peuvent également compter sur des petits éditeurs originaires du continent. En 2006 et 2007, Mabiki, une association installée en Belgique et spécialisée dans l’éducation permanente et la coopération au développement avec la RDC, édite 4 numéros de Idologie Plus Plus, une revue de bande dessinée entièrement en lingala et uniquement dessinée par Alain Kojélé.
Celle-ci propose deux séries BD sur l’immigration et le quotidien des Congolais.
Faite avec les moyens du bord, en noir et blanc et de petit format, centrée sur les problèmes quotidiens de la communauté congolaise de Belgique, Idologie Plus Plus n’avait pas pour vocation de séduire un large public.
De la même façon, les malgaches Didier Randriamanantena (avec « Nampoina », une BD historique sur Madagascar publiée de 2003 à 2007) et Alban Ramiandrisoa (en 2008) ont, chacun, dessiné une histoire à suivre dans Madagascar Magazine, un mensuel destiné à la diaspora malgache.
Certains Africains, en particulier les Congolais, éditent également en Europe, des revues en langue africaine, c’est le cas de Pendro Magazine, un bimensuel édité à Londres par Didier Demif, de 2005 à 2011. On y retrouvait des informations politiques, et surtout des nouvelles du show-biz congolais avec des interviews et articles consacrés aux vedettes de la chanson congolaise. Bien illustré, on y lisait également quelques échos sur les activités sociales de la diaspora congolaise au Royaume Uni. Dès le premier de ces 19 numéros, Pendropropose de la bande dessinée en lingala avec « Love Kilawou », une série de 32 pages dessinées, colorisées et scénarisées par Thembo Kash et Didier Demif. Il s’agissait de l’histoire d’un jeune congolais habitant Londres qui décide de faire venir sa fiancée en Angleterre.
Par la suite, il y aura « Lopele », dessinée par Dick Esale et écrite par Didier Demif, série de vulgarisation sur la prévention du Sida dans le milieu de la diaspora africaine. En 2010, deux autres séries apparaissent. La première, intitulée « Ekofo Mukalenga », était dessinée par Jason Kibwisa, encrée par Thembo Kash, colorisée par Asimba Bathy et écrite par Didier Demif. Cette série avait déjà fait son apparition dans le seul numéro d’Africanissimo, une revue BD publiée à Kinshasa en 2000.
Dans un autre genre, plus « numérique », on peut saluer la série du Congolais Alain Kojélé, « Les Aventures de Kamuke Sukali », publiée en deux épisodes sur le site ananzie.net, en 2007 et 2008. Toujours dans le domaine du numérique, on peut souligner le travail de la camerounaise Elyon’s (Joëlle Ebongue), déjà présente dans le numéro de Spirou de 2006, Zam Zam Hebdo, qui depuis plus d’un an a créé une page facebook dénommée « La Vie d’Ébène Duta » dans laquelle elle raconte en planches les aventures sentimentalo-comiques d’une jeune africaine vivant en Europe. La page est suivie, commentée, partagée et appréciée par plus de 1 700 internautes.
En 2001, certains dessinateurs africains se regroupent en association au sein de l’Afrique dessinée.
Constituée, au départ, du Camerounais Simon Pierre Mbumbo, du Franco-camerounais Christophe Ngalle Edimo, du Malgache Didier Randriamanantena, de l’Ivoirien Faustin Titi et du Congolais Pat Masioni, l’association a pour ambition affichée d’unir les talents et les volontés originaires du sud, leur permettre de rester en contact, de se soutenir et de monter des projets communs.
Bien que faisant carrière chacun de leur côté, ils publient un collectif en 2008 : « Une journée dans la vie d’un Africain d’Afrique ».
Essentiellement vendu dans les festivals, celui-ci est épuisé de nos jours. Ce premier titre leur permet de se faire remarquer et d’accumuler de l’expérience.
Depuis, l’Afrique dessinée continue ses activités à travers des ateliers, des salons ainsi que différentes opérations comme celle qui s’est déroulée en 2009 avec l’ONG française Le Mouvement du Nid et qui a permis l’édition d’un album, « Le Secret du manguier ou la jeunesse volée » (scénario de Christophe Ngalle Edimo, dessins de Faustin Titi, couleurs de Didier Randriamanantena).
Un nouvel album piloté par l’association, ayant pour sujet les 20 ans qui ont suivi la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, est sorti en octobre 2011 : « Thembi et Jetje, des tisseuses de l’arc en ciel », chez L’Harmattan.
La création de Sary 92, à Nanterre (France), en 2006, par le Malgache Luc Razakarivony obéit à une démarche similaire à la différence que celui-ci, dessinateur d’origine, n’a jamais publié ses propres productions en Europe. L’essentiel de son catalogue (7 titres) était constitué de reprises de séries célèbres à Madagascar (Avotra, Malaso, Habiba, Vazimba….). De nos jours, Sary 92 a cessé ses activités. Enfin, on peut souligner le cas spécifique du franco-congolais (Brazzaville) Marc Koutekissa, fondateur de Cyr éditions qui a scénarisé, en se servant de souvenirs familiaux, son unique bande dessinée : « La Colonisation selon Sarko 1er », en réaction au fameux discours de Dakar du président de la République. Une expérience qui, du fait de son contexte, ne sera peut-être pas renouvelée, Koutekissa se considérant plus comme homme de lettres que scénariste.
Mabiki n’édite pas uniquement la revue Idologie plus plus. Bienvenu Sene Mongaba (RDC), le directeur, publie également des recueils de poèmes, des romans et des essais politiques, aussi bien en français qu’en lingala. L’une de ses productions est la trilogie du peintre Andrazzi Mbala (RDC), « Les Voleurs de mort ». Ces albums racontent la lutte d’un village contre l’esprit de son chef revenu se venger après sa mort. Une histoire de sorcellerie complètement imprégnée de traditions congolaises.
Dans le milieu de la BD congolaise fortement influencée le style graphique de la ligne claire, Andrazzi s’en démarque avec des dessins directement inspirés de la BD populaire qui a émergé au début des années 90 lors des débuts de la contestation de Mobutu. Il récidivera en 2011 avec un album sur Mickaël Jackson, chez le même éditeur.
Mabiki a également publié « Zamadrogo » (2006), un album en noir et blanc du congolais Alain Kojélé qui constitue une assez juste évocation de la vie kinoise, tout en respectant beaucoup plus le style graphique « dit européen ».
Robert Wazi (RDC) a créé à Rouen les éditions Mandala BD au début des années 2000. Il n’a, jusque-là , publié que la trilogie de Serge Diantantu sur la vie du prophète Simon Kimbangu, fondateur d’une église chrétienne complètement africaine, ainsi qu’une autre bande dessinée du même auteur, « L’Amour sous les palmiers », qui traite du SIDA et des MST en Afrique. La prochaine publication de Mandala BD sera une réédition d’un album publié en RDC par Séraphin Kajibwami, Les Trois derniers jours de Monseigneur Munzihirwa qui évoque un sujet peu connu : les débuts de la guerre du Congo, en 1996. Cette maison est, par ailleurs, liée à l’éditeur kimbanguiste EKI – édition, installé dans la même ville.
Pour d’autres éditeurs africains, la bande dessinée n’est qu’un domaine parmi d’autres. C’est le cas de Dagan éditions qui, au milieu d’albums pour la jeunesse, de romans et d’essais, a édité plusieurs albums. C’est le cas, en 2009, de l’album de la Camerounaise Joelle Esso, « Petit Joss », où elle parle de son enfance à Douala au début des années 1970, ainsi que deux albums d’auteurs antillais : « Suupa Kokujin », un manga du jeune Yhno en 2010 et, l’année suivante, de « Milo tigasson », une BD musicale de Michel Bagoé et Edwin Largier.
En 2012, Dagan a également publié « Alum Ndong Minko » des auteurs gabonais Ngomo et Obiang ainsi que Abraham Petrovitch de Milena Kano. Enfin, en décembre 2012, sort le tome 1 de l’autobiographie du footballeur Samuel Eto’o : « Eto’o fils, Naissance d’un champion » dessiné par Joelle Esso, sur un scénario du footballeur lui même.
Ménaibuc éditions, qui publie énormément sur l’Afrique et le monde noir, n’a édité qu’un seul album de BD, celui du camerounais Biyong Djehouty : « Soundjata, la bataille de Kirina », sur l’empereur du Mali Soundjata Keita, deux ans après que celui-ci ait édité sa biographie de « Chaka »,le « napoléon sud-africain »chez Bes créations.
Félix Anagonou a créé Esprit libre junior, en 2009. Au départ, cet entrepreneur de spectacle ne souhaitait pas devenir éditeur. Mais, séduit par le talent et la personnalité du dessinateur guinéen Camara Anzoumana et face à l’indifférence des maisons d’édition traditionnelles, il décide de sortir lui-même en décembre 2010, sa très belle adaptation de « L’Enfant noir » de Camara Laye. Camara Anzoumana, qui a fait l’essentiel de sa carrière en Côte-d’Ivoire, prépare un autre album à paraître prochainement.
Cependant, ce phénomène n’est pas nouveau, le zaïrois Mongo Sise avait déjà publié un album avec l’éditeur belge Eur-af au début des années 80 : « Le Boy », dans la série « Mata mata et Pili pili ». Cet album était destiné à être diffusé au Zaïre et n’a que peu touché le lectorat européen.
L’ensemble de ces Å“uvres s’explique par l’origine géographique des éditeurs, et participe plus d’une prise de conscience associative communautaire que d’une percée particulière d’un genre que l’on pourrait appeler « BD africaine ». On peut surtout y voir une prise en compte de l’histoire spécifique de l’Afrique et la nécessité de valoriser ses propres mythes.
Une édition de ghetto ?
La tentation est grande de voir dans l’ensemble de ces démarches une édition de ghetto. Faite par des Africains, celle-ci ne s’adresserait qu’à des Africains. Il est incontestable que pour un lecteur européen, il est toujours nécessaire de faire un effort pour y accéder. Mais en réalité, la situation est bien plus complexe. Ces éditeurs et auteurs se défendent de ce type d’approche. Si l’envie de faire mieux connaître son travail ou la culture du continent est très prégnante dans leur démarche, l’idée de s’adresser exclusivement à un seul type de public qui serait la diaspora afro-antillaise n’effleure personne.
Il est vrai que le système de diffusion propre aux territoires francophones du nord (entre les mains des principaux éditeurs qui imposent leurs règles, en particulier sur les marges de vente) contraint, de fait, tous ces micro-éditeurs à une diffusion en dehors des canaux classiques, ce qui peut laisser penser que le grand public n’est pas visé. En effet, la diffusion de l’édition africaine de BD est souvent une diffusion directe, sans intermédiaire, soit par les sites et blogs de ces acteurs du livre, soit lors d’ateliers de formation tenus par les auteurs (c’est le cas d’Alix Fuilu et Serge Diantantu) soit par l’intermédiaire des salons et festivals que ces auteurs écument avec courage et pugnacité. Tout cela se fait sans l’appui des médias et critiques classiques de BD, peu désireux de parler de ce courant si minoritaire noyé dans la masse de titres qui sort chaque année dans l’hexagone.
Les chiffres de vente démontrent cependant que le public touché est plus vaste que la simple communauté afro-antillaise. Là où la moyenne de vente d’un titre de BD se situe aux alentours de 4 500 exemplaires, certains titres de Serge Diantantu dépassent allègrement les 10 000 exemplaires : « Petit Joss » a été réimprimé plusieurs fois et « Une journée dans la vie d’un africain d’Afrique » était déjà épuisé l’année suivant sa sortie.
De plus, ces éditeurs sont tous prêts à publier des artistes non originaires d’Afrique. C’est le cas d’Afro-bulles qui a sorti « Corne et ivoire » dessiné par le français Ström et qui a toujours laissé la place à des dessinateurs de toutes origines dans ces collectifs. D’autres éditeurs, comme L’Afrique dessinée ou Dagan (qui a sorti l’album de Milena Kano), ont exactement la même démarche.
Nous sommes donc loin d’une volonté d’isolement… Si les parcours de chacun restent individuels, les motivations différentes selon les uns et les autres et aucun portrait-type possible, l’objectif reste le même pour tous ces acteurs de la BD d’Afrique : publier pour faire entendre sa voix, publier pour se faire connaître et exister aux yeux du monde.
Les Dom Tom, escale éditoriale privilégiée pour les bédéistes africains
Si la France métropolitaine a longtemps été fermée aux auteurs africains, les départements et collectivités d’Outre-mer français ont souvent hébergé leurs productions. Près d’une dizaine de dessinateurs y ont été édités. Certains y ont même démarré leur carrière avant de continuer en Métropole. Deux zones de l’Outre-mer sont particulièrement concernés : l’Océan Indien (Mayotte et La Réunion) et les Caraïbes (Guadeloupe, Martinique et Guyane française).
Curieusement, ces cinq territoires abritent des populations majoritairement d’origine africaine. Peut-on y voir la conséquence d’une solidarité entre artistes de même origine géographique ? Peut-être… Cependant, les raisons de la présence de bédéistes africains diffèrent selon les territoires et démontrent qu’elles sont beaucoup plus complexes et prosaïques qu’une forme d’hommage de la diaspora à la « terre nourricière ».
La Réunion est, actuellement, la seule île de l’Outre-mer français où la bande dessinée a pris de l’ampleur. Elle se situe également dans une région très dynamique dans le domaine de la BD. En effet, Madagascar a une longue tradition remontant au tout début des années 60, Maurice a produit d’excellents bédéistes comme Laval Ng ou Éric Koo Sin Lin et Les Seychelles abritent de bons caricaturistes.
La conjugaison de ces paramètres a donc entraîné des contacts étroits entre dessinateurs de la sous-région. Des auteurs malgaches et mauriciens ont systématiquement été invités aux différentes éditions du Festival de Saint Denis : « Cyclone BD ». Des auteurs réunionnais (Appollo et Huo-Chao-Si) ont déjà encadré une formation à Tananarive (en 2004) et sont à la base de l’album « BD Africa : Les Africains dessinent l’Afrique » paru chez Albin Michel, dans lequel apparaissent cinq malgaches.
En matière d’édition, le fanzine Le Cri du Margouillat a été un élément déclencheur important dans la création de liens avec les pays environnants. Dès ses débuts (1986), les responsables ont souhaité se situer pleinement dans la région, en rupture complète avec le parisianisme dominant de l’édition française. De fait, plusieurs auteurs de la région ont été publiés dans différents numéros : Aimé Razafy, Roddy (Madagascar), Laval Ng, Marc Randabel, Deven Teevenragodum (ÃŽle Maurice) et surtout les auteurs sud-africains de Bitterkomix bien avant que ceux-ci ne se fassent remarquer par des éditeurs comme L’Association ou Cornélius. Le franco-comorien Moniri (de son vrai nom Moniri M’bae) a également dessiné une série, « Little Momo », dans les numéros 18 à 28 du journal. En 1999, Centre du monde éditions, petite structure éditoriale créée par l’équipe du Margouillat, publie même « Retour d’Afrique » du Malgache Anselme Razafindrainibe, reprise de toutes ses histoires publiées au fil des années dans Le Cri du Margouillat. Par la suite, Centre du monde éditions a publié plusieurs collectifs (« Marmites créoles », « Musiques créoles », « Légendes créoles ») dans lesquelles apparaissent des dessinateurs de la région : Pov, Laval Ng, Evan Sohun, Thierry Permal, Dwa….
Les auteurs de l’Océan Indien peuvent également se retrouver sur des thèmes communs. C’est le cas du mythe de la Lémurie forgé par le poète et homme politique Jules Hermann dans un ouvrage posthume de 1927 : « Les Révélations du Grand Océan ». Tout en reposant sur des observations géologiques, l’ouvrage propose une rêverie sur l’existence d’un continent primitif appelé Lémurie.
Berceau de toutes les civilisations, il aurait été englouti après une catastrophe cosmique. Madagascar et les Mascareignes en seraient les derniers vestiges et les Hauts de La Réunion symboliseraient les traces laissées par de prodigieux sculpteurs géants. Hermann voit par ailleurs dans le malgache l’origine de toutes les langues, y compris le français et le créole réunionnais.
Le mythe lémurien inverse ainsi la perspective traditionnelle et fait des îles australes le centre du monde. Le Mauricien Malcom de Chazal sera parmi les premiers à prolonger l’Å“uvre d’Hermann par ses propres constructions poétiques sur Maurice. C’est dans ce cadre que peut s’expliquer le choix de l’éditeur réunionnais Grand Océan (dont le nom n’a pas été choisi par hasard) de publier « Fol Amour », du couple de dessinateurs malgaches Xhy & M’aa, en 1997 dont l’univers délirant est proche de ces théories. Par la suite, Grand Océan récidive avec deux autres ouvrages écrits et illustrés par ces mêmes artistes.
L’association ARS Terres créoles est une association sans but lucratif qui vise à valoriser le patrimoine historique et littéraire de la région. En 2006, ils éditent un recueil de dessins humoristiques du Seychellois Peter Marc Lalande. Celui-ci récidive début 2011, en sortant un nouvel ouvrage à la Réunion, chez l’éditeur Des bulles dans l’océan : « Humour des Seychelles ». Cette maison publie cette même année, un album de deux auteurs malgaches : « Mégacomplots à Tananarive » (Pov et Dwa) qui sera présenté au festival d’Angoulême en 2012. Le tome 2 est déjà prévu pour la fin d’année 2013. Dans ces deux derniers cas, la motivation de l’éditeur reste la même : rendre compte de la créativité artistique des artistes de la région.
La situation n’est pas la même dans les autres départements et territoires d’Outre-mer qui ont accueilli des bédéistes africains et où la BD n’a qu’un développement limité. À Mayotte, jusqu’en 2000, le dessinateur malgache Luc Razakarivony installé sur place, a produit plusieurs histoires. En 1993, il dessine « La Dame au chapeau » dans le journal Makisard (scénario de Carole Lemonnier du Roncheray). En 1995 et 1996, paraissent deux tomes des aventures de « Greg et Abdou » scénarisés par le Mahorais Abdou Salam. Enfin, en 2000, est édité en collaboration avec le Mahorais Nassur Attoumani, « Le Turban et la capote », bande dessinée inspirée d’une pièce de théâtre du même auteur éditée chez Grand Océan, en 1997. Une réédition devrait bientôt sortir dans la collection L’Harmattan BD.
En Guyane française en 1978, le Béninois Jules Niago, professeur de sciences économiques au lycée de Cayenne, et le Guyanais Maurice Tiouka publient, à compte d’auteur « Candia, la petite oyapockoise ». Ce titre est la première BD publiée dans ce département où les quelques éditeurs locaux se sont peu investis dans ce secteur (on n’y compte que deux ou trois titres). Aux Antilles (Guadeloupe et Martinique), malgré des éditeurs très impliqués dans la défense de l’identité caribéenne, le 9e art reste insignifiant, jusqu’au milieu des années 2000. Cependant, quelques dessinateurs africains ont pu s’y faire remarquer. Le Camerounais Mayval participe à l’aventure du journal satirique Le Griot des Antilles ainsi qu’à un numéro de la revue de bandes dessinées Kreyon noir. Par la suite, il participe au magazine Madjoumbé, créé à Paris par l’Antillais Merkh.
C’est également le cas de son compatriote Achille Nzoda, qui démarre sa carrière européenne dans des journaux de Martinique. On peut ajouter le Congolais (RDC) Augustin Nge Simety, dessinateur de trois albums illustrant les aventures d’un petit garçon antillais (« Ti Niko ») sur un scénario de l’Antillais Blaise Bourgeois et publiés par Orphie,éditeur installé à La Réunion et qui fait l’essentiel de son chiffre d’affaires dans les Dom Tom. Dans tous ces cas, les dessinateurs africains occupent un espace laissé vacant. Au milieu des années 2000, Florent Charbonnier fonde une maison d’édition : Caraïbéditions. Celle-ci se spécialise dans la bande dessinée et réédite plusieurs classiques franco-belges (« Tintin », « Asterix », « Titeuf »…) en créole antillais et créole réunionnais (en partenariat avec Des bulles dans l’océan). Par la suite, Caraïbéditions sort des Å“uvres originales : des mangas (« Les ÃŽles du vent » en deux tomes, « Waldo papaye »…) mais aussi des récits historiques comme « La légion Saint-Georges » de Roland Monpierre (qui traite du chevalier de Saint-Georges)
et un cycle de 6 tomes sur l’esclavage avec « Mémoire de l’esclavage » de Serge Diantantu (RDC) et dont les trois superbes premiers tomes sont déjà sortis : « Bulambemba », « En naviguant vers les Indes », « L’Embarquement de bois d’ébène ».
Malheureusement l’Outre-mer français n’est perçu que comme un moyen d’accéder au « Nord » et non comme une fin en soi. Les tirages des éditeurs locaux ne permettent d’ailleurs pas des salaires conséquents aux dessinateurs qui travaillent pour eux. Pour autant, le marché métropolitain du livre leur est quasiment aussi fermé qu’il ne l’est pour les éditeurs étrangers (Canadien, Suisse, Libanais, Belge et…. Africain). Lutter contre un marché à deux vitesses est un combat commun à l’ensemble des francophones et l’existence de relations entre l’Afrique et l’Outre-mer français permettra peut-être, à terme, de faire sauter certains verrous.
 À suivre…
 Christophe CASSIAU-HAURIE
Avec un tout petit peu de Gilles RATIER pour l’iconographie et la mise en page !
Le sujet sur la BD africaine est très intéressant, et je tiens à féliciter l’initiative de cet article.
Une petite remarque et une erreur: L’ Auteur malgache Didier Mada alias Didier Randriamanantena n’a jamais appartenu à l’association Sary92. Il est plutôt membre de bureau de deux associations l’Afrique dessinée et mada bd.
C’est corrigé, merci ! Didier Mada nous a même prévenu, lui-même, de cette petite confusion.
Bien cordialement
Gilles Ratier