Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les auteurs africains en Europe, quarante années d’histoire…. (première partie)
Depuis quarante années, les auteurs africains de bande dessinée publient leurs Å“uvres en France et en Belgique. Si durant longtemps, le public occidental fut peu réceptif à leurs travaux, quelques auteurs ont commencé à avoir du succès au cours des dix dernières années. On peut citer la série « Aya de Yopougon » de la scénariste ivoirienne Marguerite Abouet ou « La Vie de Pahé » du Gabonais Pahé… Pour autant, ces exemples restent rares et la majorité des auteurs sont peu connus du grand public. Dans son ouvrage « Quand la BD d’Afrique s’invite en Europe » paru chez L’harmattan, notre collaborateur Christophe Cassiau-Haurie revient sur ces quarante années et présente la quasi-totalité des ouvrages et auteurs de bande dessinée édités en Europe : en voici l’introduction découpée en trois parties et largement illustrées par nos soins.
Pendant très longtemps les travaux des dessinateurs africains ont été totalement ignorés en Europe. Hormis quelques exceptions comme Barly Baruti, peu d’artistes étaient visibles aux yeux du public français ou belge. De nos jours, la situation a évolué. En effet, depuis 2002, le nombre d’auteurs africains présents sur les marchés francophones du nord est en nette augmentation. On peut compter, aujourd’hui, près d’une vingtaine d’entre eux édités dans différentes maisons d’édition. Cette accumulation, après des décennies de quasi-silence, peut paraître étonnante. Si elle est le résultat d’une évolution certaine de la bande dessinée en Afrique, de plus en plus présente aux yeux du public local, elle a aussi d’autres causes liées au contexte de l’édition française et des rapports nord – sud.
L’édition d’albums de bandes dessinées a, en effet, connu une énorme progression depuis 15 ans. En 2012, l’édition BD est devenu pléthorique : durant le premier semestre de 2012, il est paru autant d’albums qu‘entre la fin du 19ème siècle et 1980. De fait, cette explosion du nombre de titres a eu un effet « appel d’air » pour tous les dessinateurs, y compris ceux originaires de pays étrangers, Afrique comprise.
Un autre phénomène nouveau est l’apparition de scénaristes originaires du continent.
Des auteurs comme Pahé, Chrisany, Didier Randriamanantena, Bertin Amanvi, Fayez Samb, Biyong Djehouty…, dessinent leurs propres scénarios.
D’autres sont exclusivement scénaristes : c’est le cas du Franco-Camerounais Christophe Ngalle Edimo, du Congolais Pie Tshibanda ou, bien sur, de l’Ivoirienne Marguerite Abouet, lauréate, en 2006, du prix du premier album au festival international de la bande dessinée d’Angoulême avec la série « Aya », énorme succès public et critique.
L’apparition d’auteurs africains sur la scène franco-belge s’explique aussi par la faiblesse du marché du livre et de la bande dessinée en Afrique.
En dehors de la BD religieuse (par exemple les éditions Saint Paul divisées entre Mediaspaul et Paulines) et l’illustration de livres pédagogiques (en particulier Les Classiques africains, repris en 2007 par un groupe mauricien), les auteurs africains de BD n’ont souvent que le choix entre la production d’albums de sensibilisation – financé par des organismes de coopération, peu soucieux d’esthétique – et l’édition de brochures de propagande politique au bénéfice du pouvoir ou de l’opposition. Pour beaucoup, l’exil est le seul moyen pour tenter de faire carrière dans ce milieu. Mais les raisons professionnels ne sont pas les seules. Bien des auteurs sont venus demander l’asile politique en Europe. Ce ne sont pas leurs activités dans la BD qui rend leur situation dangereuse mais le fait que beaucoup d’entre eux sont souvent dessinateurs de presse et caricaturistes, métiers peu appréciés par les roitelets en place dans certains pays tropicaux.Cette apparition d’auteurs africains est aussi une bonne chose pour l’image de l’Afrique et des Africains dans la BD occidentale. Sans aller jusqu’à parler de « Tintin au Congo », il est incontestable que ce continent et ses habitants sont rarement présentés sous leur meilleur jour dans les albums se déroulant sur place, albums (quasi-)toujours dessinés par des européens.
Mais rien n’est simple et ces auteurs africains sont comme leurs confrères occidentaux : ils ne portent pas leur nationalité en bandoulière ! Beaucoup d’entre eux revendiquent la possibilité de s’intéresser à d’autres sujets que celui de leurs origines et souhaitent aborder une diversité de thèmes. Le lecteur pourra le constater dans « Quand la BD d’Afrique s’invite en Europe ».L’objectif de cet ouvrage paru chez L’harmattan est donc de faire découvrir l’ensemble de la production des bédéistes africains en Europe, leur parcours (y compris dans leur pays), et d’avoir une vision de la production disponible. De fait, il se veut un outil pour les organisateurs de salon, les médiathécaires et documentalistes, les journalistes, les amateurs…. : le classement étant thématique, puis album par album. Mais avant cela, s’impose un survol historique de la présence d’auteurs africains en Europe.
Dans la presse BD généraliste : il est difficile de dater les débuts des auteurs africains dans la presse spécialisée occidentale.
En 2007, le festival Yambi, initié par la coopération belge sur l’importance des arts en RDC, avait présenté une planche envoyée par un jeune lecteur congolais, resté anonyme, au journal Le Petit Vingtième, dans les années 1930. Celle-ci reprenait une histoire de « Tintin » traduite en lingala (une des langues nationales de la RDC). On pourrait donc dater de cette tentative, les prémices de la présence africaine dans la presse européenne. Cependant, les débuts réels remontent beaucoup plus tard, à la fin de la décennie 70. Cela peut paraître étonnant car, jusqu’à la fin des années 90, la presse spécialisée a constitué, en Europe, le principal support de diffusion du 9e art.
En 1978, le couple d’artistes-peintres malgaches Xhi et Maa publient des récits courts dans trois numéros de Charlie Mensuel. Ils font même la couverture du n°117 d’octobre 78, une première pour des dessinateurs africains.
Vingt ans plus tard, en 1998, ils publient un album chez l’éditeur réunionnais, Grand océan (« Fol amour »), avant de se consacrer définitivement à la peinture.
En 1980, le Zaïrois Mongo Sisé fait une apparition dans l’encart L’École de la BD du n°2188 de Spirou, avant de revenir deux ans plus tard dans le même journal et publier une histoire de 4 pages dans le n°2314 (la série « Mata Mata et Pili Pili »).
Il est imité, la même année, par Barly Baruti, qui, toujours dans Spirou, publie également dans L’École de la BD (n° 2286).
Il n’y aura plus de créateurs africains dans Spirou jusqu’à l’année 2006 où, dans son n°3565 du 9 août, le mensuel sort un supplément intitulé Zam Zam, orchestré par Éric Warnauts, et qui présente les travaux d’une équipe d’artistes camerounais de l’association Trait Noir : Bibi Benzo, Almo the Best….
Enfin, en 1983, les Algériens Mansour Amouri (dessin) et Mahfoud Aïder (scénario) publient une histoire courte (6 pages), « La Route de l’espoir », dans le n°755 de Pif Gadget.
Ces quelques exemples sont quasiment les seuls pour la presse spécialisée BD, hormis quelques fanzines de faible diffusion. On peut noter par exemple, en Bretagne, Le Cri du Menhir qui accueille le Congolais Sambu Kondi dans quelques numéros, au milieu des années 2000. On peut également citer Lazer Artzine qui en fait de même avec Jérémie Nsingi (RDC, également) dans son numéro 11 de janvier 2010.Une édition de diaspora
Les premiers auteurs africains à avoir tenté leur chance auprès de maisons d’édition en Europe n’y ont pas non plus rencontré un accueil très favorable. Leurs projets, souvent inspirés de leur histoire et de leur culture, n’ont en effet guère rencontré d’enthousiasme. C’était avant l’effet « Aya de Yopougon », qui, avec les 250 000 exemplaires écoulés pour les 6 titres de la série, a permis de démontrer qu’une histoire raconté par un auteur du sud et ayant comme principaux protagonistes des africains pouvait avoir du succès.
Cette difficulté à se montrer ont entraîné une stratégie alternative de la part des acteurs du 9e art africain. Afin de briser certains tabous existants, plusieurs Africains installés en France ou en Belgique ont en effet décidé de faire entendre leur voix en montant leur propre structure éditoriale.
Ce phénomène s’est particulièrement développé dans les années 90, tant en matière d’albums que de revues.
Pour certains artistes, l’auto-édition a semblé la solution la meilleure, en particulier pour l’édition de revues BD. En 2001, en Belgique, Albert Tshisuaka (RDC) créée Sagafrica en 2001.
Ce bimensuel ne dure que deux numéros, le temps, pour cet auteur, de reprendre une série qu’il avait commencé quinze ans auparavant dans Afrobédé, revue congolaise de BD fondée par Mongo Sisé. Depuis Tshisuaka travaille régulièrement pour Joker, une maison d’édition belge spécialisée dans la BD.
Le Congolais Serge Diantantu, après le succès d’estime de son premier album, « Les Aventures de Mara : Attention Sida » en 1994 (aujourd’hui épuisé), poursuit en lançant, en 1997 et 1998, un journal de BD nommé La Cloche, qu’il dessine seul et qui lui permet de montrer ses propres travaux et planches. La Clochene dure que trois numéros et s’arrête en juillet 1998, en pleine coupe du monde. C’est l’occasion pour Diantantu de démarrer les premières pages de sa future trilogie sur Simon Kimbangu – dont le premier tome sera édité quatre ans plus tard –, ainsi que de créer une héroïne, la petite Djily, qui fera l’objet d’un album sur l’enfance maltraitée qu’il auto – éditera en 2008 (« La Petite Djily et mère Mamou »).
En 2006 et 2007, Bernard Mayo, grand ancien du 9e art congolais, installé en Allemagne depuis la fin des années 70, sort la revue BD Suka Époque, entièrement en lingala, avec l’aide de son complice Suma Lukombo, autre ex-dessinateur de la revue zaïroise des années 70 : Jeunes pour Jeunes. Mais Suka Époque ne connaîtra que trois numéros.
Depuis, Bernard Mayo a repris sa carrière de musicien et de chanteur, s’essayant également au dessin animé.
Même si ces revues ont eu une durée de vie limitée, elles ont servi de « laboratoire » à des auteurs, en leur permettant de s’exprimer, se frotter au milieu et se faire connaître dans quelques festivals. Ce fut encore le cas avec le N°0 de Toom mag, lancé par Simon-Pierre Mbumbo fin 2011, sans qu’il n’y ait d’autres numéros par la suite.
Le phénomène ne se limite d’ailleurs pas aux revues puisque certains auteurs n’hésitent pas à auto-produire des albums.
Alix Fuilu en est un parfait exemple. Après avoir commencé sa carrière en lançant la revue Le Kinois, en 1996, et publié plusieurs albums collectifs de sensibilisation (« Boulevard SIDA », « Du shit au zen » sur la drogue, « Routes dingues » sur la prévention routière…) pour le Conseil général du Nord et la DDASS, il voit la plupart de ses projets refusés par les éditeurs classiques, car considérés comme « trop afro-centrés ».
Lassé par ces échecs, il crée sa propre structure, Afro-bulles, en 2001. Celle-ci se fait remarquer en sortant la série éponyme Afro-bulles, à mi-chemin entre le collectif et la revue, deux albums collectifs : « Vies volées » (mars 2008) et « Sur les berges du Congo » (mars 2011) et un album individuel, « Corne et ivoire », le seul où Fuilu n’apparaît pas.
La démarche de Serge Diantantu est différente. Celui-ci n’a pas besoin de s’auto-éditer pour être publié, car il est régulièrement publié dans plusieurs petites maisons d’éditions (Mandala-BD, Caraibéditions, MYK consulting à Brazzaville, des collectifs comme « Dupa grave », en 2009…).
Cependant, le fait de recourir régulièrement à sa propre maison d’édition lui permet de traiter les sujets qu’il désire : c’est le cas, par exemple, avec « Femmes noires, je te salue » qui est un hommage aux femmes de couleur, mais aussi avec, on l’a vu, « La Petite Djily », une dénonciation de l’enfance maltraitée.
En outre, il parvient à vivre de son art grâce aux ventes en direct qu’il fait dans les salons et festivals où il est invité. Enfin, sa société lui permet également de réaliser des expositions, des cartes postales, des affiches, des illustrations et d’encadrer des stages.
L’édition d’albums n’est que le prolongement logique de cet ensemble d’activités.
À suivre…
Christophe CASSIAU-HAURIE
Avec un tout petit peu de Gilles RATIER pour l’iconographie et la mise en page !
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