Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Billy Brouillard T.1 ? par Guillaume Bianco, ? Paroles d’illétrisme ? collectif scénarisé par Luc Brunschwig, et ? La belle vie ? par Frédéric Bézian.
? Billy Brouillard T.1 ? par Guillaume Bianco – Editions Soleil (22 Euros)
Bandes dessinées aux accents gothiques et romans graphiques influencés par les univers des films de Tim Burton (ou par les romans style « Harry Potter ») sont au rendez-vous de la nouvelle collection « Métamorphose » des éditions Soleil. En marge de la production habituelle de cet éditeur plus connu pour ses séries d’heroic-fantasy Lanfeustiennes, ces albums indépendants aux styles hybrides sont concoctés sous la houlette de Clotilde Vu et de Barbara Canepa, l’une des auteurs de la série d’anticipation « Sky Doll ». Mélangeant habilement histoires courtes, poèmes, gazettes occultes et bestiaires, cette première livraison est une excellente surprise. Tout d’abord, l’objet est beau : pas moins de 142 pages sont reliées agréablement sous une couverture référentielle pas du tout « tape-à -l’œil ». Ensuite, « Billy Brouillard » est émouvant ! Guillaume Bianco a pourtant osé associer l’enfance à de sinistres souvenirs, comme celui de la mort d’un chat que l’enfant, qu’il a sûrement été, a lui-même occis par accident : en effet, ce nouveau rejeton de la famille Addams croit posséder «le don de trouble vue» qui lui permet de distinguer un monde parallèle ; mais comme il aurait besoin de lunettes adaptées, il multiplie les catastrophes, nageant en plein brouillard. Le côté morbide du récit est contrebalancé par un graphisme décontracté, bien éloigné des autres bandes dessinées grand public de Guillaume Bianco, comme « Kegoyo & Klamédia », « Hot Dog » ou même « Gloupik », un strip qui sera bientôt republié dans le quotidien L’Echo du Centre. Enfin, l’ambiance glauque (et ce trait noir tramé qui ressemble un peu à ce que faisait l’étonnant illustrateur américain Edward Gorey), tout comme la narration efficace et décalée, risque d’interpeller le jeune lectorat sur nombre de questions existentielles : en tout cas, tout cela fait de cet ouvrage, un essentiel de la production riche et variée de cette fin d’année !
? Paroles d’illettrisme ? collectif scénarisé par Luc Brunschwig – Editions Futuropolis-BD Boum (13,95 Euros)
Tous les ans, l’association « BD Boum » (organisatrice du festival bandes dessinées de Blois) propose un collectif intelligent réalisé à partir de témoignages, sur un thème social et humaniste, recueillis et adaptés par un scénariste en vue : après Corbeyran ou Philippe Thirault, c’est au tour de Luc Brunschwig (l’auteur du « Pouvoir des innocents », de « L’esprit de Warren », de « La mémoire dans les poches » ou du « Sourire du clown ») de s’y coller pour parler d’un phénomène peu médiatisé et qui est pourtant l’une des raisons principales de l’ignorance, de la violence et de la bêtise de certaines personnes défavorisées, dans le monde entier. Grâce à ces huit récits « vrais », on découvre que c’est souvent face à l’adversité que ces hommes et ces femmes, souvent malchanceux, n’ont pu terminer leurs études ou suivre un cursus normal. Ce handicap qui les marginalise, et qui est parfois nourri de regrets, est bien assimilé par le scénariste et par ses complices dessinateurs, lesquels ne sont pas toujours très connus ce qui ne les empêche pas de donner ici le meilleur d’eux-mêmes : que ce soit Simon Hureau, Benjamin Flao, Brüno, Eddy Vaccaro, Phicil, Bandini, Ralph Meyer ou Laurent Astier. Du vraiment bon boulot !
? La belle vie ? par Frédéric Bézian – Editions Delcourt (13,95 Euros)
Le trait anguleux et acéré du talentueux Frédéric Bézian ne se prête pas uniquement à ses habituels récits sombres, torturés et angoissants (mais toujours originaux) où son obsession de la mort et de la déliquescence transparaît systématiquement. La preuve, il a été chargé, il y a quelques années, d’assurer la direction artistique et la bible graphique de l’adaptation en dessins animés de « Belphégor », où son graphisme devenait curieusement plus proche de la ligne claire, après le traitement des studios d’animations coréens. Ce petit recueil de courtes histoires plus ou moins autobiographiques, d’une à six planches chacune, est un nouveau pavé dans la mare pour ceux qui voulaient, à tout prix, lui coller une étiquette. Utilisant un dessin plus lâché rehaussé par de douces bichromies, l’auteur de « Adam Sarlech » et des « Gardes fous » nous propose, cette fois-ci, un cahier de route plutôt amusant où il a consigné différentes pérégrinations de sa vie quotidienne de créateur de bandes dessinées, sans ordre précis : une vision (souvent ironique) sans fard, ni grandeur, de ce qu’il a pu voir, entendre ou vivre… Le propos n’est donc pas aussi léger qu’il parait (même s’il bascule habilement dans le burlesque et le comique de situation) puisqu’il est très souvent question de la place accordée à l’individu dans notre société. Et comme le tout est asséné par une narration on ne peut plus efficace, l’ouvrage devient rapidement indispensable et pourrait même donner des leçons à certains bloggueurs dont les recueils imprimés sur le même sujet sont souvent beaucoup plus empreints de banalité !
Gilles RATIER