Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Les Quatre coins du monde » T2 par Hugues Labiano
S’il est des hommes qui voyagent, ce sont bien les colonisateurs, et plus précisément les militaires au service des puissances coloniales, s’installant de par le monde pour y plaquer les valeurs occidentales supposées supérieures ou pour aider à exploiter les richesses locales, en redistribuant parcimonieusement les dividendes sous forme de routes, d’écoles, d’hôpitaux… Mais dans le désert, celui du grand sud algérien qui sert de décor aux « Quatre coins du monde », tout est différent !
Nous vous le disions à propos de « Sur les bords du monde », chroniqué ici-même : « Si les déserts des glaces vous congèlent l’esprit et si vous préférez les déserts de sable, alors nous vous conseillons le Sahara avec le premier tome des « Quatre coins du monde ». Dans le premier volume de ce diptyque dont il est scénariste et dessinateur, Hugues Labiano mettait en scène des méharistes patrouillant dans le sud-algérien pour y maintenir l’ordre. Alors que les spahis sont des régiments mêlant fantassins et cavaliers (à cheval ou dromadaire), les méharistes (par définition : un méhari est un dromadaire en arabe) vaquent à dos de dromadaire et les officiers y encadrent des troupes indigènes. C’est le cas, en cette année 1919, de Dupuy et Barentin, le premier recherchant le second et sa patrouille n’ayant plus donné signe de vie depuis plus de 15 jours.
Là , en plein Massif du Hoggar, Dupuy est accompagné d’un Dewaere fraîchement débarqué apprenant à connaître les liens qui se sont tissés entre les Sahariens (dont les compagnies sont installées à El-Goléa et Ouargla) et les hommes du désert, Touaregs berbères ou Chaambas arabes. C’est le cas entre le capitaine Barentin et son fidèle Afellan, un nomade pure souche, dont l’histoire commune remonte à 1913 quand Dupuy rencontre Barentin à Tidiyen. Dès lors, le trio ne se sépare plus, pas même quand en août 1914 un courrier du Ministère de la guerre renvoie ces individus pétris de sable et de soleil vers les boues puantes des tranchées, ce qu’évoque le second tome (après un raccord « landais », probablement inutile). Après avoir ensemble réglé le compte de Maures reguibats, des pirates des sables pratiquant alors rezzou (razzia) et esclavage, ils rejoignent finalement l’Artois et ses combats. La rupture est effarante mais la détermination reste sans faille, les trois amis continuant de s’épauler dans une guerre impitoyable et glaciale pour qui vient du Sahara. Dans ce bourbier immonde, qui plus est, « tirailleurs algériens, sénégalais, zouaves ou légionnaires » sont « les premiers à monter à l’assaut, les premiers à essuyer rafales et obus, les premiers à franchir les lignes boches, les premiers, toujours… ».
Le deuxième tome clôt l’histoire de cette fratrie involontaire, en 1919, quelque part au-delà de la palmeraie d’El Golea, au pied de kasbah en pisé. Il faut d’ailleurs insister sur ce qui, au-delà du récit guerrier et chargé d’émotion, fait le charme de ces pages : les décors du Hoggar si habilement, si minutieusement dessinés. Les nuits froides au coin d’un feu ou la chaleur accablante des oasis, les campements ou les méharées sont en effet de très belle facture, le tout valorisé par les couleurs exceptionnelles de Jérôme Maffre. Il y a des cases qui arrêtent la lecture et qui méritent qu’on y campe. Après tout, dessiner le désert n’est pas chose aisée car il faut se renouveler constamment. Ce désert n’est cependant pas fait que de dunes et sa rocaille diversifiée fait visuellement le bonheur du dessinateur. Labiano s’est offert, en outre, deux couvertures qui dressent face à face dunes et tranchées pour ne constituer qu’un décor où soleil implacable et feux de guerre s’opposent.
Si cette histoire ne nous mène pas aux « quatre coins du monde », comme le prétend le titre, elle sait souligner de ce monde les écarts, les extrêmes, les paradoxes, ses luttes acharnées, sa barbarie constante, dans lesquelles s’immiscent des histoires d’hommes, de cœur et des petits bouts d’espoir…
Alors, bons voyages,
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Les Quatre coins du monde » T2 par Hugues Labiano
Éditions  Dargaud (14,99 €) – ISBN : 978-2205-07016-3