COMIC BOOK HEBDO n°48 (01/11/2008).

Cette semaine, GOTHAM CENTRAL, WORMWOOD, FLASH et GREEN ARROW…

GOTHAM CENTRAL : EXTINCTION (Panini Comics, Vertigo Big Books)

Enfin ! Enfin enfin enfin ! Les fans de l’excellentissime série Gotham Central vont enfin pouvoir lire les derniers épisodes de cette œuvre aussi intelligente que talentueuse ! Oui, Gotham Central est une série magnifique, et après un parcours un peu aléatoire (d’abord deux tomes parus chez Semic en 2004 et 2005 puis à nouveau deux volumes sortis chez Panini Comics en 2006 et 2007 dans la collection DC Heroes), la boucle est enfin bouclée : ouf ! Certains commençaient à se faire des cheveux blancs quant à l’opportunité de pouvoir lire un jour l’intégralité de la chose ! C’est chose faite avec ce volumineux ouvrage de plus de 330 pages (c’est-à-dire à peu près l’équivalent de ce qui a été édité avant en quatre volumes) qui nous dévoile enfin la suite des événements, jusqu’à leur conclusion toute relative. Car il y aurait encore tant à créer dans ce concept passionnant : 40 numéros, c’était vraiment pas assez !
Pour ceux qui ne connaissent pas cette œuvre, Gotham Central prend le contre-pied du récit super-héroïque pour se pencher sur la vie des flics du commissariat central de la ville de Gotham. Idée aussi géniale que simple : nous faire plonger dans le quotidien de ces policiers qui doivent défendre Gotham City en prenant en compte la corruption existant dans ses propres rangs, mais aussi l’existence de Batman comme justicier solitaire présent et bien présent. La cohabitation n’est pas forcément évidente, loin de là, et c’est bien ce que nous raconte Gotham Central, dans la lignée de ces récits se portant sur les simples citoyens vivant néanmoins dans une société où les super-costumés existent bel et bien. Ainsi, si vous avez aimé Marvels ou Civil War : Embedded, par exemple, vous adorerez ce petit bijou qui bénéficie du talent de deux scénaristes reconnus pour leur humanité et la justesse des sentiments qu’ils insufflent à leurs œuvres souvent noires : Ed Brubaker et Greg Rucka. Cerise sur le gâteau, les dessinateurs Michael Mark, Stefano Gaudiano, Kano et Steve Lieber nous offrent un travail d’une remarquable homogénéité, dans un style contrasté, brut, simple, humain, très beau…
Remarquons au passage que ce sont Brubaker, Lark et Gaudiano qui ont repris le flambeau de Bendis et Maleev sur Daredevil (vous pouvez suivre ces épisodes dans la collection 100% Marvel depuis le volume 14). Remarquons aussi que Brubaker, Rucka et Lark ont bossé récemment ensemble sur Daredevil : Cruel and unusual, encore dans un style très sombre. « On ne change pas une équipe qui gagne », comme le disait mon pote Théophile. Et effectivement, les associations de ces talents qui tendent à ne pas tricher mais à exprimer une certaine moelle de l’existence dans une ambiance de film noir font merveille, que ce soit sur Gotham Central ou Daredevil (la relève de l’après Bendis/Maleev est assurée : le résultat est des plus réussis, je vous en reparlerai ici très prochainement). Mais laissons Hell’s Kitchen pour le moment et revenons à Gotham.

Extinction, il s’agit bien sûr de celle du signal installé sur le toit du commissariat central et qui projette par un faisceau lumineux le fameux logo de la chauve-souris dans les airs lorsque la police a besoin de l’aide de Batman… Toute une institution ! Et c’est cette institution, ce symbole primordial de la mythologie du personnage qui s’éteint ici, dans des pages au découpage assez solennel. La décision a été prise de démonter carrément le signal du toit pour le ranger aux oubliettes. Comment en est-on arrivés là ? Comme je l’ai esquissé plus haut, depuis un certain temps les rapports entre la police de Gotham et Batman ne sont plus au beau fixe. Du tout, du tout, du tout… À cause de certaines méthodes employées par le Chevalier Noir qui ont eu des conséquences désastreuses, trop de flics sont morts, trop de blessés pour que les policiers dans leur grande majorité continuent d’accepter une collaboration avec ce fameux Batman qui dit être de leur côté tout en usant de stratagèmes semblant les mépriser, court-circuiter leurs efforts ou même les mettre en danger. On peut les comprendre… Malgré tout, certains (surtout certaines, quand on y réfléchit bien) continuent de croire que cette collaboration avec l’homme habillé en chauve-souris est toujours nécessaire face à des dangers trop dingues pour que la police puisse les endiguer avec ses seuls moyens. Et puis il y a déjà tellement de criminels de basse souche qui arpentent les ruelles sombres à l’affût de victimes de toutes sortes, de petits ou plus gros chefs de la pègre, la violence quotidienne et quelques psychopathes… alors quand c’est un super-vilain qui débarque, il est peut-être bon d’être en relation avec un super-héros tout beau, non ? La question ne semble désormais plus d’actualité puisque contre toute attente le signal a bel et bien été dévissé, démonté, subissant même quelques dommages au passage. La police de Gotham veut s’émanciper de Batman et se reprendre totalement en mains. Le problème, c’est qu’au sein de l’effectif du commissariat on trouve aussi des flics ripoux, des manipulateurs, des mecs pas nets et des nénettes pas claires, et que le combat est aussi interne, ne facilitant pas la tâche pour trouver une réelle position face au Chevalier Noir.

Les différentes histoires de cet ouvrage nous font donc à nouveau entrer dans le quotidien professionnel mais aussi personnel de quelques figures de ce commissariat. La plupart d’entre vous les connaissent : les inspecteurs Renée Montoya (je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas parler de Montoya depuis le début de cet article, je suis fan, grave) et Crispus Allen, principalement, mais aussi Maggie, Marcus, Esperenza, Stacy (un personnage très touchant)… Les auteurs ont su donner à tout ce petit monde une cohérence et un naturel qui font de la lecture de ce comic un vrai moment d’émotion et de réflexion, quelque chose de rare, une lecture qui laisse des traces, dont on se souvient longtemps. C’est encore une fois la justesse de ton, l’intelligence, la compréhension du caractère humain de la part des auteurs – et bien sûr les dessins réalistes mais sensibles des artistes qui ont donné vie à ces caractères – qui rendent cette belle alchimie possible, à la croisée des genres, s’écartant de la narration super-héroïque pour disséquer la normalité dans des chroniques âpres et lucides. Le petit miracle de Gotham Central, c’est justement que ces chroniques se dégagent d’un genre très balisé sans que le lecteur ait pour autant la possibilité d’oublier que nous sommes bien dans la réalité de Batman et autres gugusses en costumes. Mais ceux-ci sont présents en échos, sans que la narration ne s’arrache un seul instant du vécu de ces hommes et de ces femmes dénués de super-pouvoirs.
Au fil des pages, vous découvrirez comment les magouilles d’un sale flic comme Jimmy Corrigan (non non, vous ne rêvez pas, mais il ne s’agit pas du smartest kid on Earth) vont mettre en danger l’inspecteur Allen et plonger Renée Montoya dans une descente aux enfers assez musclée. Pauvre Renée… Elle boit, elle fume, est lesbienne, son équipier est noir, bref, elle accumule ce qu’une certaine autorité moral tolère mal, et malgré une fausse approbation silencieuse, elle sait bien que tout ça, ça fait beaucoup de pression pour ses épaules plus petites qu’elle ne veut bien l’admettre, surtout quand son père continue de ne plus vouloir la voir, surtout quand sa copine commence à flipper. La vie est bien compliquée… Oh, je ne vais pas vous mentir, tout ça va très mal finir, mais les choses ne s’arrêtent pas là : ceux qui aiment Montoya savent que ces épisodes sont antérieurs à 52 où nous avons eu le plaisir immense de la retrouver, même si elle y vit encore bien des malheurs, la pauvre. Non mais vous allez arrêter de l’embêter, messieurs les scénaristes ? Rhôôô… C’est vrai, quoi, m… alors !
Il y aura aussi une angoissante histoire de pompier irradié par des produits dangereux qui vont le changer en monstre, ainsi que ce récit fort et surprenant où la police découvre des corps d’adolescents qu’on a assassinés puis habillés en Robin. Je pourrais aussi vous parler de l’ambiguïté de Simon Lippman, ou bien du cas de figure de cette policière caractérielle, Romy Chandler (!!!), mais vous avez bien mieux à faire qu’à m’écouter déblatérer mes trucs, comme d’aller vous acheter cet album afin de vous plonger dedans comme des petits fous… Je vous envie!

WORMWOOD tome 1 : GENTLEMAN ZOMBIE (Delcourt, collection Contrebande)

C’est toujours très énervant de penser que Ben Templesmith n’a que 30 ans quand on voit les images géniales qu’il nous sort, dans un style qui n’appartient qu’à lui, au point qu’on pourrait dire qu’il y a une Templesmith touch. L’énervement passé, on ne peut que se réjouir de lire et de regarder ce que fait ce dessinateur incroyable, dans un délire de clairs-obscurs incandescents où les couleurs deviennent lumière. Subtil travail où l’informatique transcende le matériau original avec un beau culot. Le résultat de la cuisine graphique de Templesmith est souvent à couper le souffle, offrant des visions proches d’un Ashley Wood qui aurait avalé des néons. Le style assez caricatural de Templesmith en fait un dessinateur un peu à part dans le milieu des comics (il n’est pas le seul, bien sûr, mais il a une réelle originalité qui va plus loin que la seule originalité : il y a de la substance, derrière, un vrai univers, proche du Grand Guignol). Ses visages exagérés, ses corps simplifiés, ses perspectives réinterprétées, lui donnent accès à d’autres narrations, à d’autres récits où le délire est possible, comme l’a si bien compris ce dingue de Sam Keith. Certes, le génie graphique ne fait pas tout (le deuxième volume de 30 Jours de nuit était assez décevant à cause d’un scénario un peu faiblard de Steve Niles qui a bien tiré sur la ficelle), mais avec Wormwood, Ben Templesmith (qui signe aussi le scénario) a visiblement été bien inspiré, et ces premiers épisodes sont tout simplement savoureux à lire… C’est drôle, horrible, décalé, bête et intelligent à la fois, bref, c’est bien chouette !

Dans Wormwood, Templesmith continue d’explorer ce qui lui a pour l’instant souri et réussi : l’horreur décalée tendant vers l’humour noir. Wormwood est un ver (oui, un vrai ver) doué de parole et doté d’un sacré caractère. Ce ver a investi le corps d’un cadavre qu’il trimballe à sa guise, ou plutôt qu’il « pilote », corps putréfié mais caustique qui lui permet d’être « incarné » au sein de notre monde humain. Wormwood a une sale gueule, avec son ver dans l’orbite droite, mais il a une classe folle. C’est un zombie gentleman qui se bat du bon côté de la barrière, combattant les attaques de démons belliqueux et sans aucun scrupule. Des scrupules, ça tombe bien, Wormwood n’en a pas tant que ça. Accompagné de Monsieur Pendulum (un vieillard-robot surpuissant mais sans organes génitaux), de Medusa (la strip-teaseuse tenancière du bar « La Ruelle Sombre » ouvert aux âmes en peine) et protégé par Phébée (son assistante revêche), il affronte l’adversité avec un sacré aplomb, voire une certaine légèreté. Lui qui est gaulé comme un petit homme chétif, sa détermination et son assurance font mouche (et nous font souvent rire) avec d’autant plus d’efficacité. L’album se compose de deux récits, l’un introduisant le personnage et le contexte dans un récit court, l’autre étant une aventure plus longue en quatre chapitres. Le tout est assez délirant. La première histoire nous montre comment un barman qui fait pipi dans le robinet de bière infeste des clients dont le corps est envahi de tentacules, et le second récit nous apprend comment Wormwood va venir à bout d’une invasion de démons qui se servent du corps des personnes prenant un médicament améliorant les prouesses sexuelles pour enfanter ses légions d’envahisseurs dévastateurs… Le goût prononcé de Templesmith pour l’absurde rend ces histoires jouissives par le décalage qu’elles proposent au sein d’un genre très difficile à transmuter – du moins à faire évoluer sans tomber dans des panneaux difficilement évitables. Oui, c’est aussi drôle qu’horrible, et l’incandescence visuelle toute en nuances qui traverse une nouvelle fois l’œuvre de ce talentueux artiste australien ne cesse de nous émerveiller par sa beauté impeccable. La classe, quoi…

FLASH vol.1 : LES WEST SAUVAGES et GREEN ARROW vol.1 : LA GENÈSE (Panini Comics, DC Heroes)

Voici des albums qui marquent le renouveau de deux super-héros emblématiques de l’univers DC : j’ai nommé Flash et Green Arrow. On le sait, depuis quelque temps, la « remise à niveau » de certains héros s’accélère chez DC comme chez Marvel, réécrivant l’histoire dans un contexte plus actuel, ou bien faisant basculer l’univers d’un personnage dans une nouvelle ère. Je sais bien, ça a toujours existé. Mais comme je vous l’ai dit, ça s’accélère, signe que l’univers des comic books, se rendant compte de l’importance qu’il prend de plus en plus dans le paysage éditorial, tente de ne pas vieillir et de s’adapter constamment au roulement des générations, au feeling de l’époque. Parfois ces choix sont heureux et amènent une réelle évolution constructive pour la mythologie du super-héros, parfois on peut être plus dubitatif quant à la véritable nécessité de trifouiller quelque chose qui marche et qui n’a rien demandé à personne, demandant seulement à évoluer sans tout recommencer. Il faut dire que chez DC, les évolutions sont presque toujours des révolutions par défaut, tentant de remettre de l’ordre dans ses rangs un peu dispersés par la frénésie de frapper un grand coup. Chez Marvel, la culture de l’évolution du contexte et des personnages se fait plus naturellement, et même lorsqu’un séisme comme Civil War touche les fondations de plein fouet, la cohérence de longue date engendrée par le fort pouvoir d’identification de ces super-héros rend les choses plus aisées. Ce qui ne veut pas dire que Marvel ne se plante pas parfois et que DC ne réussit pas à évoluer de belle manière (52 est un magnifique exemple de réussite sur bien des points) ! Mais bref…

C’est donc un nouveau départ pour nos deux super-héros plus que mythiques puisque apparaissant au début des années 40, c’est-à-dire en plein âge d’or (1940 pour Flash, et 1941 pour Green Arrow) : eh oui les jeunes, du temps de Papy aussi y avait des super-gugusses en slip fluo qui faisaient des trucs de ouf. Mais aujourd’hui, au XXIe siècle, faut qu’ça bouge, nom de d’là !
Pour Flash, Mark Waid a décidé de redonner une réelle impulsion au Flash incarné par Wally West, nous remettant en perspective l’étendue de la longue lignée des Flash jusqu’à regarder vers le futur, puisque les enfants de Wally West sont deux petites pestes dotées de super-pouvoirs déjà bien développés. Comment Flash va-t-il venger la mémoire de Bart Allen tout en gérant sa super-progéniture, c’est ce que vous saurez en lisant cette aventure bon enfant. L’album se termine sur Générations, un épisode à la très belle esthétique, dessiné par Doug Braithwaite. Les autres artistes présents dans cet album sont Freddie E. Williams II, Daniel Acuña, Karl Kerschl, Manuel Garcia et Joe Bennett.
Pour Green Arrow, c’est Andy Diggle qui reprend le personnage pour le relancer en revenant sur ses origines – qui ont été quelque peu revues au goût du jour, avouons-le. Si le scénario de Diggle est peu passionnant car trop basique, les dessins de Jock et les couleurs de David Baron nous offrent par contre souvent de belles images, grâce auxquelles l’ouvrage se lit avec plaisir. Sympathique, mais on aurait aimé un peu plus de profondeur… à moins que ce soit moi qui me fasse trop vieux pour ce genre de choses… mais bon… quand on a tant admiré ce qu’avaient fait Denny O’Neil et Neal Adams sur ce personnage, par exemple, on ne peut qu’être un peu interdit devant cet album qui reste néanmoins un très bon moyen pour les jeunes générations de faire connaissance avec ce personnage séculaire (qui a dit comme moi ?).

Cecil McKinley

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