Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« XIII Mystery » T5 (« Steve Rowland ») par Richard Guérineau et Fabien Nury
Les idées les plus simples sont parfois les plus complexes à représenter, et notamment lorsqu’il s’agit d’une couverture de livre ; nombre d’auteurs de bande dessinée en auront sans doute fait l’amère expérience en réalisant une kyrielle de croquis et d’essais pour enfin « accoucher » du bon concept, celui qui plaira autant à eux-mêmes qu’à l’éditeur et, finalement, à des lecteurs pourtant le plus souvent laissés dans l’ignorance de ce long cheminement… D’où l’intérêt de la rubrique « L’Art de… », qui s’attache cette semaine à la genèse du dernier opus de la saga « XIII mystery » (éditions Dargaud) ainsi qu’au personnage de Steve Rowland.
Initiée en 1984 par Jean Van Hamme et William Vance, la série « XIII » est un thriller à grand succès, dont l’intrigue plausible, déroulée pendant 19 albums jusqu’en 2007, aura permis de clôturer la quête identitaire du héros. Outre la relance de la série sous la plume d’Yves Sente et le crayon de Youri Jigounov (deux nouveaux albums à ce jour), le public assistera à la naissance d’une série dérivée (spin-off) appelée « XIII Mystery », éditée depuis octobre 2008 au rythme régulier d’un titre par an. Écrite et dessinée par différents auteurs, cette nouvelle série propose d’explorer le passé de certains personnages clés de « l’univers XIII ».
Dans « XIII Mystery T5 » (« Steve Rowland »), le scénariste Fabien Nury et le dessinateur Richard Guérineau retracent le parcours d’un adolescent américain entraîné dans une spirale de violence. Les lecteurs de la série principale le connaissent en effet comme étant devenu successivement une brillante recrue des SPADS (unité militaire d’élite) puis le numéro XIII, treizième homme d’une conspiration politique aux objectifs terrifiants et finalement l’assassin du président des États-Unis. Cet album explique comment un petit garçon, né d’un père violent et raciste et d’une mère perdue et alcoolique, deviendra un homme impitoyable… Et ce malgré Kim, celle qu’il aime.
Dans ce canevas inspiré par plusieurs romans de Robert Ludlum (dont « Le Cercle bleu des Matarèse » (1979) et « La Mémoire dans la peau » (1980 ; adapté au cinéma en 2002)), on comprendra naturellement que récit et dessins s’appuient également sur l’assassinat du président américain John Fitzgerald Kennedy à Dallas en 1963 (voir l’affiche de « JFK » par Oliver Stone en 1991).
La couverture se focalise sur les éléments les plus directs : Rowland est le tueur, armé d’un fusil à lunette et habillé (vêtements et gants noirs) comme il se doit, et la cible désigné est l’homme politique garant des valeurs américaines. Ce dernier est en train de saluer la foule, lors d’un meeting ou d’un cortège et l’on distingue le drapeau « Stars and Stripes » et quelques serpentins dignes des « ticker-tape parades » : initiés le 29 octobre 1886 pour l’inauguration de la Statue de la Liberté, ces grands défilés populaires célèbrent sur Broadway les victoires et les exploits. On y lance habituellement de très grandes quantités de morceaux de papier, de confettis et de serpentins en papier (d’où leur nom anglais) depuis les fenêtres donnant sur l’avenue, créant ainsi un effet triomphal. C’est précisément après l’assassinat de 1963 que ce style de festivités commença à se raréfier…
La cible visant la tête (et le cerveau) de sa victime nous renvoie à un effet bien connu du champ-contrechamp, ou le lecteur/spectateur pourra visionner en deux plans d’abord « qui regarde » puis « ce qui est vu », généralement aux travers de jumelles ou d’un appareil photo, et un plus rarement (sauf au cinéma…) via une lunette de visée télescopique ! Ici, l’effet d’opposition, accentué à l’extrême entre le tueur et sa proie, créé un sentiment de malaise souvent utilisé dans les films d’angoisse puisque le procédé contribue à isoler chacun des personnages dans leur relation à l’autre. Outre le jeu de l’effet miroir faussé entre les deux personnages, pourtant également représentés en contre-plongée, on lira dans l’emploi des teintes noires et bleues foncées environnantes un rappel de l’ambiance thriller donnée à l’ensemble de la saga « XIII ». Cette même noirceur se retrouve incarnée par le caractère et la silhouette de Steve Rowland, dont le corps tourné vers la gauche du visuel (en opposition au parcours vers la droite du souriant président) sur-indique la fausse route : en bande dessinée, aller vers la gauche, c’est être en contresens du parcours habituel de lecture, et donc faire un retour en arrière, butter contre des obstacles ou effectuer un cheminement « négatif » contraint.
Constatons aussi qu’avec l’évolution des couvertures, Steve Rowland, devenu gaucher, tient désormais son arme du bras droit. Les habitués de la série n’auront pas manqué de comparer ce détail avec l’image de référence (le film que le colonel Amos montre au héros XIII dans le tome 1, « Le Jour du soleil noir » (1984), planche 39 case 6 ; voir la planche proposée)… où le tireur est bien droitier !
Si le visuel de cet épisode de « XIII Mystery » évoque les affiches de films, on ne trouvera pourtant qu’assez rarement une mise en images similaire, le ciblage marketing ne s’appuyant alors presque jamais sur la représentation directe du « bad guy » dans le cas du film d’action ou du film politique. On donnera en guise d’exemples relativement proches les visuels créés pour les films « Jeux de guerre » (Phillip Noyce, 1992 ; adaptation du roman de Tom Clancy) et « Shooter, tireur d’élite » (Antoine Fuqua, 2007) qui reprennent également la même veine gamme chromatique. À l’inverse, certains visuels inscrits dans la série des « XIII Mystery » auront mis à l’honneur les figures les plus sombres, dont les tueurs à gages « La Mangouste » (tome 1 par Xavier Dorison et Ralph Meyer en 2008) et « Irina » (tome 2 par Corbeyran et Philippe Berthet en 2009).
Ce « XIII Mystery T5 » (« Steve Rowland ») offre au regard du lecteur un sujet grave, tendu, où la fatalité des destins semble déjà inscrite dans une histoire américaine particulièrement trouble : dans ce cadre scénaristique où le suspense et le complot politique sont les rois d’une partie d’échec internationale, les enjeux démocratiques sont redevenus un combat sans fin. Ne faites décidément confiance à personne…
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« XIII Mystery » T5 (« Steve Rowland ») par Richard Guerineau et Fabien Nury
Éditions Dargaud (11, 99 €) – ISBN : 978-2-505-01343-3
Merci cette analyse très intéressante. Cela fait plaisir de lire des articles de fond un peu différents comme celui-ci.