Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Love so Life » T1 par Kaede Kouchi
L’évocation du terme shôjo manga fait inévitablement surgir des clichés de prince charmant et de jeunes filles en fleur. Pourtant, certaines histoires, même si elles collent parfaitement au schéma typique de la romance surannée, arrivent à sortir du lot. Habituée des Å“uvres à message fort, l’équipe d’Akata ne pouvait pas passer à côté d’un titre aussi accrocheur que « Love so Life ». Si le postulat de départ est toujours la rencontre de deux personnes de sexe opposé, il est surtout question de valeurs familiales, de travail, de persévérance et de but à atteindre pour une vie épanouie. Partons à la découverte d’un shôjo atypique malgré son sujet extrêmement banal.
Comme tout bon shôjo, « Love so Life » commence par une rencontre entre une fille et un garçon. Néanmoins, il s’agit exclusivement d’une relation de travail. Shiaru Nakamura est une jeune fille que le destin n’a pas gâté. Orpheline à l’âge de 5 ans, elle prend pourtant la vie du bon côté et se donne les moyens pour réaliser son rêve, devenir puéricultrice. Au début de l’histoire, elle n’a que 16 ans et demi. Elle travaille déjà comme une adulte pour financer ses études. Tous les soirs, après sa journée de classe, elle s’occupe d’enfants en bas âge dans une crèche. Ses pensionnaires l’adorent, notamment les deux jumeaux Akane et Aoi. De nature farouche, avec les personnes qu’ils viennent juste de rencontrer, c’est tout l’inverse avec Shiaru. À tel point qu’ils refusent de quitter la crèche sans elle. Du coup, Seiji Matsunaga, le père supposé, embauche à salaire double la jeune fille afin qu’elle devienne leur baby-sitter attitrée. Sa situation est aisée, il a les moyens financiers pour ce genre d’extravagance puisqu’il est présentateur vedette de la télévision. Il s’avérera, plus tard, qu’il n’est pourtant pas le père de ces enfants. Son frère, au décès de sa femme, a disparu en abandonnant les jumeaux chez lui. Shiaru accepte bien évidemment ce changement de poste : le gain supplémentaire sera un plus indéniable pour ses études.
Vous vous en doutez, Shiaru et Seiji seront inévitablement attirés l’un vers l’autre, mais de nombreux obstacles empêchent cette union. Ils ont presque dix ans d’écart et vu le travail de Seiji, cette relation serait inappropriée. De plus, Shiaru est une jeune fille consciencieuse, son travail est une priorité et elle ne supporterait pas de mettre qui que ce soi dans l’embarras.
Comme je le disais en préambule, ce titre n’est pas qu’un simple shôjo de plus. Il véhicule de vraies valeurs : ambition, valeurs morales, conscience professionnelle… Le tout avec quand même une bonne dose d’humour. L’héroïne souhaite faire un travail qui lui plaît et qu’elle a choisi en se mettant au service des autres. Elle s’en donne les moyens, sans trahir la confiance de son employeur actuel, mais en visant toujours plus haut. C’est une battante, il n’y a pas doute à avoir sur ce sujet. Elle arrive à concilier le suivi de ses cours à l’école et son travaille en soirée. Très mature pour son âge, elle est surtout parfaitement organisée et méthodique, même si elle a ses limites, comme tout être humain. Elle ne se laisse pas abattre facilement et, même si elle est orpheline, elle garde au fond d’elle le souvenir joyeux de ses parents. C’est son moteur : le modèle familial qu’elle a brièvement connu et qu’elle aimerait reproduire à la crèche. Donner de l’amour et de la tendresse à ces enfants comme elle l’avait reçu de ses parents au même âge. Elle espère leur forger d’agréables souvenirs tout en les éduquant avec des mots justes, choisis et réconfortants. Le souci, c’est qu’elle prend ça tellement à cÅ“ur qu’elle occupe peut-être trop de place dans la vie des enfants. Il ne faudrait pas qu’elle remplace leur mère, sans s’en rendre compte.
Seiji, de son côté, est droit et honnête. Il arrive à séparer sa vie publique et sa vie privée tout en étant conscient que l’image qu’il renvoie doit être idyllique. Chez lui, il se laisse aller, non pas, par flemmardise, mais par manque de temps. Il en a bien conscience et Shiaru est d’une aide providentielle. Il sait également refréner ses sentiments, du moins pour le moment. Mais il sait aussi s’occuper de sa famille et la protéger lorsque le besoin s’en fait sentir. Bref, il est présenté comme un très bon parti, à la fois financier et moral : le rêve de beaucoup de jeunes filles héroïnes de shôjos.
« Love so Life » est le premier manga de Kaede Kouchi à être édité en volume relié. D’ailleurs, elle nous le rappelle dans les encarts laissés vacants par la suppression des publicités contenues à l’origine dans le magazine de prépublication Hana to Yume. On sent bien le côté feuilleton de la série. Chaque chapitre commence inévitablement par l’explication de la situation des personnages et pourquoi Shiaru a atterri comme baby-sitter chez Seiji. À la lecture, ces passages sont malheureusement un peu redondants. Pourtant, cette histoire se lit d’une traite. Impossible de ne pas être attendri par cette vie de famille avec cette jeune fille qui sait si bien y faire avec les enfants. Le sujet est banal, maintes fois traité, mais rarement de cette manière. La vie est dure pour chaque protagoniste, mais c’est leur côté jovial et sérieux qui est mis en avant. Personne ne s’apitoie sur son sort. L’humour est omniprésent et il aide à faire passer un message léger et plein de bon sens. L’héroïne est bien évidemment douce et fragile comme dans tout shôjo, mais elle a également un caractère fort et une ténacité rare. Le héros, de son côté, a ses parts d’ombre et son allure de tombeur. Mais c’est aussi un homme intègre, sans excès, et sachant se remettre en question : chose rare. Le dessin rend bien compte de ces deux vies diamétralement opposées, mais au final tellement complémentaires. Les pages sont claires et la lecture n’en est que plus simple.
Même si le postula principal de ce shôjo reste l’amour, c’est plutôt celui de Shiaru vers les jumeaux qui occupe ce premier tome. On se doute bien que la situation risque d’évoluer entre ces deux personnages attentionnés l’un envers l’autre. Mais, pour le moment, la vie de famille et le bien-être des enfants compte avant tout. Une nouvelle approche du mythe de Cendrillon, mais traitée sur un ton joyeux et réaliste et sans méchante belle-mère : de quoi mettre facilement du baume au cÅ“ur en toute circonstance.
Gwenaël JACQUET
« Love so Life » T1 par Kaede Kouchi
Éditions Delcourt – ISBN : 978-2-7560-2723-4 (6,99 €)
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