Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Super-héros & philo » par Simon Merle
En grande partie grâce au cinéma, les super-héros ont décidément le vent en poupe, depuis le début de ce nouveau siècle. Outre la publication de leurs aventures en albums et fascicules sortent de plus en plus d’encyclopédies, essais et autres guides… Longtemps considérés comme une sous-sous-culture, les comics super-héroïques ont fini par gagner leurs lettres de noblesse grâce à de grands auteurs qu’il serait indécent de ne plus prendre en compte. Malgré cela, quelques-uns s’étrangleront encore en voyant les termes « super-héros » et « philo » accolés dans le même ouvrage, et pourtant c’est bien ce qui arrive avec le livre de Simon Merle qui réussit à proposer un essai cohérent et intéressant, évitant bien des écueils.
Certes, en un peu plus de 100 pages, ce livre n’a pas la prétention d’être une somme exhaustive du sujet, mais plutôt un essai concis et pragmatique constituant une introduction sur ce thème, choix clairement revendiqué par l’auteur. Il pose les bases de la réflexion en passant au crible les principaux éléments qui structurent l’être super-héroïque, étayant son propos de quelques encarts où prennent place des extraits d’œuvres philosophiques. La concision du discours permet de ne pas se perdre dans des circonvolutions infinies, s’attachant à rendre la pensée claire et compréhensible en se concentrant sur l’essentiel ; et surtout, elle évite à l’auteur d’échafauder des théories qui – si tentantes soient-elles au vu de la richesse du sujet – peuvent mener à toutes les extrapolations aussi foireuses que séduisantes. C’est ce dont j’avais peur avant d’ouvrir ce livre, craignant les raccourcis et les interprétations qui prendraient le super-héros en otage d’un processus de pensée où il n’aurait pas sa place. Cet immense écueil, Simon Merle le contourne avec talent pour nous proposer un ouvrage réellement sérieux qui se penche sur les fondamentaux, ne mélangeant pas tout : bravo.
L’auteur annonce clairement la couleur, pensant que les super-héros ont « quelque chose à nous apprendre de nous-mêmes et du monde dans lequel nous vivons ». Son essai philosophique part finalement du surhomme pour revenir à l’humanité « normale », analysant ce que les super-héros cristallisent, symbolisent et représentent au sein de notre imaginaire, et ce qu’ils reflètent donc de notre propre humanité. Pour ce faire, il revient sur les thèmes de la double identité, de la liberté, du sens du pouvoir, ou de la nature exacte du surhomme. Son propos sonne juste, et a le mérite d’amorcer en nous une réelle réflexion sur le sujet. Ma principale peur était que l’auteur se jette sur Nietzsche et sa notion de surhomme sans faire le distinguo entre le fantasme et le vrai propos du philosophe, et même là il s’en tire parfaitement bien, rappelant que la surhumanité nietzschéenne n’est pas une question de race supérieure mais bien d’éthique et d’éducation (il en profite pour réaffirmer à juste titre que la pensée de Nietzsche a bel et bien été déformée et trahie par l’idéologie nazie, ce qui fait toujours plaisir à lire). Il en vient à cet axe selon lequel ce n’est pas le super-pouvoir qui fait le super-héros, mais bien l’articulation de ses valeurs intrinsèques. Seul petit bémol (qui n’enlève rien à l’intérêt et à la qualité de l’ouvrage), l’auteur se réfère plus aux films de super-héros qu’au comics, sûrement pour toucher le plus grand nombre de jeunes lecteurs qui ont autant découvert les super-héros sur grand écran que sur le papier. On peut le concevoir, mais c’est tout de même dommage, et ça fait bizarre de lire que des événements pourtant présents dans les comics originels ne sont référencés que par leurs adaptions cinématographiques (on parle plus des « Watchmen » de Snyder et des « X-Men » de Singer que de Moore et Lee). Même si une réflexion est viable sur les super-héros au cinéma – ne changeant pas forcément la nature exacte des super-héros –, on ne peut que tiquer un minimum, car toutes les adaptations ne sont pas aussi fidèles aux comics qu’on l’aimerait. Mais passé ce petit agacement, on prendra un réel plaisir à lire cet ouvrage qui a le mérite de l’honnêteté intellectuelle. Sympathique !
Cecil McKINLEY
« Super-héros & philo » par Simon Merle Éditions Bréal (18,00€) – ISBN : 978-2-7495-3139-7