Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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? Après la nuit ? par Richard Guérineau et Henri Meunier, ? Mise en bouche ? par Jean-Philippe Peyraud [d'après Philippe Djian] et ? Seuls T.3 : Le clan du requin ? par Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann.
? Après la nuit ? par Richard Guérineau et Henri Meunier
Editions Delcourt (13,95 Euros)
L’excellent dessinateur du « Chant des Stryges » a délaissé pour quelque temps l’univers fantastique de cette série crée avec son ami le scénariste Corbeyran pour réaliser un western : sa passion de toujours ! Pour ce faire, il s’est adjoint les services de son complice d’atelier, l’écrivain pour la jeunesse Henri Meunier, autre fan de cow-boys, de chevaux, de colts, de saloons et de duels au soleil. Tous ces ingrédients, nécessaires à ce genre très codé, sont présents dans ce « one-shot » où les auteurs ont réussi à installer une tension et une escalade psychologique, rien qu’avec les regards que se jettent leurs personnages impitoyables et hauts en couleurs… Devant le bureau du shérif, un jeune chasseur de prime, qui porte le nom d’un ancien brigand ayant sévi dans la région, jette deux cadavres d’hommes recherchés par les autorités. Ensuite, il prend une chambre à l’hôtel de ce bled perdu de l’Oklahoma, avant de se diriger vers le saloon, sans laisser ses armes aux suppléants chargés de faire régner l’ordre. N’ayant pas d’argent pour payer son verre de whisky, il propose au tavernier de le payer avec ses deux pistolets… Evidemment, on pense à Clint Eastwood, à John Wayne, à Gary Cooper, à Sam Pekinpah, à Sergio Leone, à « Blueberry », à « Deadwood », au « Train sifflera trois fois »… Et c’est d’ailleurs le principal intérêt de cette aventure intime et crépusculaire : elle nous rappelle tous les chefs-d’oeuvre du genre, et les génies qui les interprétaient ou les mettaient en scène, tout en s’en démarquant. En revisitant de façon théâtrale et haletante cette histoire de duel inéluctable, que l’on a l’impression d’avoir vu mille fois, les auteurs ont vraiment fait du beau boulot ! N’hésitez pas à jeter aussi un coup d’œil à la version de luxe, en noir et blanc : la force du trait de Richard Guérineau y est encore plus évidente !
? Mise en bouche ? par Jean-Philippe Peyraud d’après Philippe Djian
Editions Futuropolis (19 Euros)
Les adaptations de textes littéraires en bandes dessinées prolifèrent ces temps-ci : qu’elles soient mises en images fidèles ou relectures appropriées… La très appétissante « Mise en bouche » de Jean-Philippe Peyraud, d’après une nouvelle de Philippe Djian, entre plutôt dans la deuxiéme catégorie. Initialement prévue pour être un chapitre de son livre « Friction », l’auteur de « 37°2 le matin », de « Doggy Bag » et de « Lorsque Lou » (qui vient d’être réédité, toujours chez Futuropolis, avec de superbes illustrations de Miles Hyman) ne l’avait finalement pas retenue, et l’avait proposée en supplément des Inrocks. De son côté, le dessinateur de la série « Premières chaleurs… » avait déjà adapté les nouvelles de Marc Villard en ce début d’année (« Quand j’étais star » chez Casterman) mais, ici, il transforme l’essai en donnant une véritable seconde et belle vie au texte original. Ce dernier s’inspire de la prise d’otages de la maternelle de Neuilly en 1993, en évacuant l’aspect politique (le maire de l’époque, un certain Sarkozy, n’étant pas représenté) pour devenir une espèce de huis clos sentimental : un jeu de séduction entre deux otages qui vont se rapprocher pendant ces dizaines d’heures de réclusion… Dans la bande dessinée, la narration est remarquablement bien menée, ceci grâce à un découpage bien huilé et parfaitement efficace, surtout pour évoquer les silences et les difficultés de communication. Certes, on ne peut pas dire que Jean-Philippe Peyraud soit un dessinateur totalement virtuose, mais il possède un style sensuel et élégant, bien à lui, car reconnaissable au premier coup d’oeil : et cette particularité, c’est certainement ce qui fait la marque des plus grands !
? Seuls T.3 : Le clan du requin ? par Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann
Editions Dupuis (9,20 Euros)
J’aime vraiment beaucoup cette série où, pour une raison inexpliquée, les adultes ont tous disparu, et où cinq enfants doivent apprendre à se débrouiller seuls pour faire face aux dangers qui les guettent. Dans ce troisième épisode, nos jeunes héros ont quitté leur ville à bord d’un bus à impériale. Puis, poursuivis par une meute de chiens féroces, ils se réfugient dans un ancien parc d’attractions qui abrite une autre bande de gosses, tous habillés en pirates. Ce qui pourrait se présenter comme une halte réparatrice tourne vite au drame car la petite communauté est dirigée par un enfant autoritaire et tyrannique, admirateur du IIIe Reich. Evidemment, on pense tout de suite au roman pour la jeunesse « Sa majesté des mouches » dû à l’anglais William Golding, mais le scénario malin de Fabien Vehlmann se démarque très vite de cette référence très pesante, tout en dévoilant de minimes indices pour mieux nous éclairer sur la situation vécue par les cinq protagonistes. L’ambiance, plus noire que dans les précédents épisodes, est vraiment bien restituée par le graphisme de Bruno Gazzotti, lequel oscille entre ligne claire et dessin animé !
Gilles RATIER