Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : ? Superdupont T.6 : Superdupont pourchasse l’ignoble ! ? par Jean Solé, Lefred-Thouron et Gotlib, ? Les tribulations du Choucas T.2 : La brousse ou la vie ? par Lax, et ? Bouncer T.6 : La veuve noire ? par François Boucq et Alexandro Jodorowsky.
? Superdupont T.6 : Superdupont pourchasse l’ignoble ! ? par Jean Solé, Lefred-Thouron et Gotlib
Editions Fluide Glacial (9,95 Euros)
Apparu dans l’hebdomadaire Pilote le 21 septembre 1972, ce super-héros 100% français avait été concocté par Jacques Lob et Gotlib qui, chacun, dans leur coin l’avait imaginé et avait finalement fait cause commune, s’associant pour le scénario : Gotlib gardant la paternité graphique, en l’immortalisant dans son costume tricolore, coiffé d’un béret et chaussé de charentaises, une baguette de pain sous le bras : à la fois panoplie complète et caricature du français moyen. Passant dans les pages du mensuel Fluide Glacial en 1975, ce traqueur cocardier de l’Anti-France (organisation malfaisante qui s’acharne à détruire les valeurs et les symboles de notre beau pays) sera confié aux bons soins du dessinateur Alexis (Gotlib et Lob continuant leurs délires scénaristiques). A la mort d’Alexis, c’est Jean Solé qui lui succède (en 1977), laissant parfois sa place à d’autres collègues : tels Daniel Goossens, Neal Adams, Alexandre Coutelis ou Jean-Pierre Danard. Sa notoriété grandissante entraînera cependant une tentative de récupération par un certain parti d’extrême droite, dirigé par Jean-Marie Le Pen, qui jouait sur l’ambiguïté humoristique du personnage pour s’y identifier. Aussi, leurs auteurs décidèrent-ils de le faire beaucoup plus discret : ses apparitions se faisant de plus en plus en rare, surtout après la disparition de Jacques Lob (en 1990). Et voilà que, 13 ans après un album qui s’annonçait comme le dernier, notre grand patriote revient pourchasser l’ignoble, dans un recueil tout en couleurs, toujours enluminé par un Jean Solé en grande forme (lequel multiplie les trognes inoubliables et les compositions référentielles), mais repris sur le plan du scénario par Lefred-Thouron (sous l’œil superviseur et bienveillant de Gotlib) : nos trois lascars peuvent dormir tranquilles, à la lecture de l’épisode où l’axe du mal contrefait notre camembert national en le trafiquant aux OGM et au lait de chamelle (en le faisant fabriquer en Irakistan), Alexis et Lob doivent se retourner de bonheur dans leurs tombes ! On y retrouve tout l’humour très second degré de la série, avec son lot habituel de jeux de mots idiots et franchouillards qui nous font mourir de rire et qui contribuent, à leur manière, à dénoncer le chauvinisme primaire et à combattre le racisme !
? Les tribulations du Choucas T.2 : La brousse ou la vie ? par Lax
Editions Dupuis (13 Euros)
Le « Choucas », c’est un cocktail savoureux de polars bien noirs, d’aventure exotiques, de dénonciations politiques et de drames sociaux, le tout enjolivé par des dialogues savoureux et cyniques, que ne renierait pas un Michel Audiard ou un Henri Jeanson, et par un trait sensible à la fois jeté et élégant. Ce deuxième épisode d’une seconde vie (la première série, intitulée plus sobrement « Le Choucas », ayant quand même connu six albums entre 2001 et 2004) utilise les mêmes ingrédients, en envoyant notre détective privé en costard sombre et chemise jaune au Mali. Ce drôle d’oiseau cinquantenaire, ancien ouvrier remonteur licencié et amoureux de la littérature policière, y part à la recherche d’un adolescent fugueur qui a pris le premier avion pour la terre de ces ancêtres. Il espère le retrouver avant que les passeurs qui plument les gogos en profitant de la misère locale, lui tombent dessus : en effet, le gamin n’a pas été très discret avant de s’enfuir, ayant été plutôt secoué par les autorités, victime de la politique sécuritaire française un peu trop musclée… Du très bon boulot !
? Bouncer T.6 : La veuve noire ? par François Boucq et Alexandro Jodorowsky
Editions Les Humanoïdes associés (12,90 Euros)
Décidemment, les auteurs de bandes dessinées adorent faire leur western, et la plupart des récentes tentatives de renouvellement du genre sont plutôt des réussites : d’ailleurs, le sixième « Bouncer » (« La veuve noire » aux Humanoïdes associés), toujours aussi sanglant, ne déroge pas à cette règle ! Dès les premières pages, on sent, dans la collaboration entre Alexandro Jodorowsky et François Boucq, une forte complicité qui débouche sur une émulation commune : et cela donne vraiment de très bons résultats. Le scénario est inventif, rempli de rebondissements et de personnages truculents (tels ce féroce bandit qui tient son nom du fait qu’il a un fer de hache enfoncé dans le crâne ou cette voluptueuse institutrice guindée et un peu trop idéaliste) . Quant au dessin, il touche au sublime, particulièrement dans l’évocation des paysages désertiques de l’Ouest sauvage. Enfin, la narration, très cinématographique, multiplie les mises en scènes originales et les découpages efficaces : bref, les aventures du tueur manchot sont en passe de devenir la référence western BD du moment, comme l’a été « Blueberry » en son temps…
Gilles RATIER