Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Une Tempête aux couleurs de cerisiers » par Ai Yazawa
La série « Nana » étant un best-seller, les éditions Delcourt ont surfé sur un succès bien mérité pour nous faire découvrir une oeuvre de jeunesse d’Ai Yazawa. On sent que le trait n’est pas encore tout à fait structuré, mais les fans reconnaîtront sans peine la patte de cette mangaka. Vingt ans après sa publication au Japon, voici donc le recueil d’histoires courtes « Une Tempete aux couleurs de cerisiers ».
Cette fois-ci, cela ne tourne pas autour de la musique, mais du base-ball : sport mythique au Japon depuis l’après-guerre, suite à son importation par les Américains. Comme il est peu connu chez nous, le lecteur risque d’être un peu déstabilisé devant certains termes ou situations même s’ils sont expliqués tout au long du livre. « Une tempête aux couleurs de cerisiers » c’est le pendant féminin des séries pour garçons de Mitsuru Adachi (« Touch », « H2 »…) : une bonne dose de romance sur fond de sport. Donc, même si vous n’êtes pas adepte du journal L’Équipe, vous pourrez facilement suivre ce triangle amoureux : le sport n’étant qu’un prétexte pour montrer l’esprit d’équipe et les faiblesses de certains protagonistes.
Kiyoshi a 8 ans lorsque son père meurt dans un accident. Six ans après, à l’adolescence, il a toujours du mal à encaisser ce vide. Il se crée un personnage de rebelle, alors qu’au fond de lui c’est un être sensible et tendre. Il ne supporte pas l’attitude de son frère à qui tout semble réussir. Il n’apprécie pas que sa mère fréquente un nouvel homme. Et surtout, il n’arrive pas à comprendre pourquoi sa meilleure amie n’a d’yeux que pour son frère, alors que, lui, essaie de lui offrir toute l’attention qu’elle mérite. En plus, elle sait qu’il a déjà une petite amie officielle. Bien que cela fasse assez cliché, l’accumulation de situations tragiques au sein de l’histoire en fait une ode à la mélancolie et aux regrets. On est loin d’un drame insurmontable. L’auteur(e) nous offre, au final, un récit plutôt positif. Parut au Japon dans le magazine Ribbon, il est logique que le sujet soit plus abordable que « Nana » : le lectorat de cette revue ayant juste une dizaine d’années. Il ne faut donc pas s’attendre à un héros à la psychologie très mature, comme dans ses autres mangas déjà publiés en France.
Les deux premiers chapitres de ce manga lui donnent son titre. Même si c’est une histoire assez courte, elle traîne néanmoins un peu en longueur. Ai Yazawa n’avait pas encore trouvé le rythme narratif et le graphisme qui a fait le succès de « Nana ». À cette époque, peu de chose la distinguait de la masse des auteurs shôjo, même si un oeil aguerri reconnaîtra immédiatement certaines caractéristiques graphiques qui lui ont permis de forger son propre style. Son dessin est pourtant déjà excellent, expressif, avec de nombreux décors, et un trait énergique parfaitement maîtrisés. Même s’il fait un peu daté, il ne choquera pas les lectrices actuelles, la plupart ne lisaient sûrement pas de shôjo manga, il y a 20 ans. Un sticker sur la couverture est quand même là pour bien nous indiquer qu’il s’agit de la créatrice de « Nana ».
L’histoire s’en tient aux principaux acteurs constituant la famille et les proches de Kiyoshi. Ce parti pris rend le récit moins confus et, pourtant, l’alourdit en créant quelques longueurs : sensation renforcée par la distillation d’informations déterminantes tout au long des pages. On découvre, comme ça, les difficultés qu’ils ont à interagir avec leur entourage, ce qui débouche inévitablement sur des non-dits et des quiproquos mettant en exergue la sensibilité de chacun. Je ne vous gâcherais pas la fin en vous disant qu’une explication logique découle de tous ces petits moments personnels.
La troisième partie constitue un chapitre à part. C’est une histoire très courte faisant suite à une série qui malheureusement n’est jamais parue en France : « Marine Blue ». Du coup, les petites annotations concernant le héros play-boy des lectrices n’évoque pas grand-chose au lectorat français. Pourtant, nul besoin d’avoir lu les épisodes précédents pour apprécier cette suite. Cette comédie est presque plus émouvante et prenante que la précédente.
Il est bon de voir qu’un éditeur s’intéresse au patrimoine du manga. Loin des grands maîtres déjà publiés que sont Tezuka ou Ishinomori, Ai Yazawa est une auteur(e) majeure qu’il est bon de découvrir dans un registre moins consensuel. Avec ce titre, elle nous montre qu’elle savait déjà exprimer les tumultes de l’adolescence et ses conflits inévitables avec le monde adulte. Voici donc un volume unique fort agréable destiné aux fans, mais dont le graphisme les déroutera un peu au départ.
Gwenaël JACQUET
« Une Tempete aux couleurs de cerisiers » par Ai Yazawa
Éditions Delcourt (6.99 €) – ISBN : 9782756032306
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