Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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Jamais rentrée BD n’aura été si volumineuse et si riche… Pour vous y retrouver, jetez un coup d’œil à notre sélection de la semaine : “ Le secret de l’étrangleur ” par Jacques Tardi d’après Pierre Siniac, “ Le long voyage de Léna ” par André Juillard et Pierre Christin, “ Box T.1 : Résurrections ” par Alain Mounier, “ Tiffany T.1 : Escrime et châtiment ” par Herval et Yann et “ Le peuple des endormis T.1 ” par Tronchet et Frédéric Richaud.
Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir les couvertures des albums chroniqués.
“ Le secret de l’étrangleur ” par Jacques Tardi d’après Pierre Siniac
Editions Casterman (14,95 Euros)
Tardi quitte les années 1970 qu’il avait investies lors de sa dernière adaptation de roman en BD («Le petit bleu de la côte ouest») pour revenir à ses fifties parisiennes de prédilection. Ce polar de Pierre Siniac («Monsieur Cauchemar») avait déjà connu une première mise en images (assez réussie, d’ailleurs) par André Benn dans le journal Circus (l’album parut, chez Glénat, en 1987). Quant à la virtuose version Tardienne, dans un somptueux noir et blanc, elle a été proposée, en préalable à l’album, dans une feuilletonesque et captivante livraison mensuelle, sous la forme d’une gazette grand format… Dans un mystérieux brouillard, on y suit un tueur en quête de sa victime, déambulant dans un vieux Paris inquiétant et fascinant : une véritable promenade graphique où Tardi se délecte et excelle ! L’ambiance est donc superbement rendue et l’enquête magistralement menée : un paisible bouquiniste a mis au point, depuis des années, une technique infaillible pour trucider son prochain. Pour prouver l’efficacité de sa méthode, il entraîne avec lui un jeune garçon passionné de romans policiers. Or, dans le climat particulièrement rude de cet hiver 1959, les habitants de la capitale doivent faire face à une grève de la police. Heureusement, le beau-père du petit apprenti assassin, flic de son état, veille, et finira par découvrir le pot-aux-roses… A noter que cet album, amusant et terrifiant à la fois, contient plusieurs fins alternatives, scellées dans des pages à découper : un véritable suspense jouant volontiers des faux-semblants et des fausses pistes !
“ Le long voyage de Léna ” par André Juillard et Pierre Christin
Editions Dargaud (13,50 Euros)
Léna, très belle femme brune et solitaire, est chargée d’apporter des objets d’apparence anodine à des conspirateurs. De Berlin-Est à la Turquie, en passant par le cœur d’une Europe centrale encore hantée par les démons du système soviétique, le terrorisme international ne désarme pas ! Discrétion oblige, elle apprend par cœur les listes de noms et de numéros de téléphone, ne se sert jamais de cartes bancaires ou de téléphones cellulaires, et n’échange que quelques mots avec ses interlocuteurs. Elle évite à tout prix les grands axes et aéroports, leur préférant des chemins de traverses bien plus tranquilles. Mais si la jolie et intrigante Léna est tout le temps en mouvement, elle laisse régulièrement son esprit vagabonder, imprégnant du même coup le lecteur d’une langueur qui rythme parfaitement ce beau et lent récit, pour le moins avare en bulles : de longs récitatifs et monologues intérieurs surmontent les dessins élégants, minutieux et mélancoliques d’André Juillard. Avec ce scénario où le temps paraît suspendu, Pierre Christin, lui aussi grand bourlingueur devant l’éternel, nous propose un voyage insolite et romantique, sous forme de puzzle, où les vestiges de l’espionnage issus d’un monde disparu se connectent avec les manipulations à venir de la fournaise islamiste : un superbe portrait de femme, sans aucun effet spectaculaire, qui est aussi, certainement, l’une de ces meilleures histoires depuis «Partie de chasse» !
“ Box T.1 : Résurrections ” par Alain Mounier
Editions Bamboo (12,90 Euros)
Avec ce thriller aux limites du fantastique, Alain Mounier («Les abîmes du temps», un épisode du «Décalogue» ou «Mourir au paradis», parmi ses nombreuses productions bédéesques) signe sa première série comme scénariste pour lui-même. Et il s’en sort plutôt bien, alors que l’intrigue est assez complexe : une boîte vieille de 4000 ans recouverte de symboles étranges suscite l’excitation des services secrets américains et du FSB russe. Cette arme nucléaire ou bactériologique (personne ne le sait vraiment !) peut détruire un cargo en mer et prendre la vie comme parfois la rendre : il est clair que Box (puisque c’est comme cela que l’on appelle cette boîte) recèle un terrible pouvoir qui pourrait bien changer la face du monde, et Erica, simple danseuse exotique dans l’état du Minnesota, devrait en être l’instrument. Ce premier tome s’avère palpitant, mais on sent que ce n’est qu’un album d’exposition : alors, on attend la suite avec impatience ! D’autant plus que l’auteur s’est, en plus, efforcé de soigner son dessin réaliste et minutieux, lequel est ici bien mis en lumière par les couleurs adéquates de Cyril Saint Blancat.
“ Tiffany T.1 : Escrime et châtiment ” par Herval et Yann
Editions Delcourt (12,90 Euros)
Voici une nouvelle série policière prometteuse qui met en scène une descendante télépathe de Jeanne d’Arc et maître(sse) d’armes au caractère impétueux. Elle doit reprendre l’agence de détective tenue par son frère, lequel vient de disparaître, alors qu’elle l’aidait quelquefois, mettant à profit le don qui lui permet d’entendre les pensées des personnes qu’elle croise. Sa première investigation consiste en une banale enquête de respectabilité, même si notre héroïne tombe amoureuse de l’homme à confondre, et même si ses commanditaires sont les nouveaux propriétaires de son ex-petit château familial. En lorgnant plus du côté de la comédie de mœurs que de l’enquête traditionnelle, Yann pose les bases d’un univers attachant et même, par moments, délirant, sans pour autant franchir les limites du ridicule. Quant à l’illustration rondouillarde mais semi-réaliste d’Herval, elle convient parfaitement à l’ambiance sympathique de ce récit qui ne se prend pas trop au sérieux. Seule la mise en couleurs un peu trop pastel et tamisée, à notre goût, ne nous semble guère adéquate, même si nous comprenons qu’elle est là aussi pour accentuer le côté bon enfant de cette nouvelle série du prolifique Yann, laquelle se révèle être, au bout du compte, une très bonne surprise !
“ Le peuple des endormis T.1 ” par Tronchet et Frédéric Richaud
Editions Dupuis (13,50 Euros)
Tronchet délaisse, le temps d’un diptyque où il adapte un roman de l’écrivain Frédéric Richaud, la satire sociale et le comique cynique pour l’aventure historique au long cours : et le bougre arrive à nous étonner, amenant son trait épais et caricatural, qui affuble ses personnages de trognes mémorables, vers plus de réalisme, sans pour autant délaisser son humour grinçant habituel. Au XVIIème siècle, entre une mère autoritaire, un précepteur ennuyeux et un père qui passe ses jours et ses nuits à faire des expériences pour trouver le meilleur procédé de l’empaillage, un adolescent se réfugie dans le dessin. Son vieux fou de père le prend, quelque temps, comme apprenti : jusqu’à ce que l’usage des ingrédients chimiques finisse par le tuer. Le jeune homme, seul face à ses bourreaux, est envoyé, contre son gré, dans un collège de Jésuites par l’amant de sa mère : il va fuguer en pleine nuit et partir pour l’Afrique, offrant ses services de dessinateur au farfelu Marquis de Dunan : ce dernier souhaite constituer une ménagerie exotique afin de l’offrir au roi… Cette suite d’aventures rocambolesques, épopée maritime au ton inattendu (même assez moderne !) et sorte de fable humaniste, montre une nouvelle facette du talent de l’auteur de «Raymond Calbuth» et de «Jean-Claude Tergal».
Gilles RATIER