Et Gir redevint Moebius… : genèse !

Voici un troisième hommage à ce génie du 9ème art qu’était Jean Giraud, alias Gir, alias Moebius ! Après que Jean Depelley ait mis à notre disposition une interview inédite axée, surtout, sur sa face Moebius dans le mensuel Métal hurlant(1) et que Gilles Ratier se soit appesanti, entrevue avec le maître et preuves patrimoniales à l’appui, sur le Jean Giraud de « Blueberry »(2), c’est au tour de Jacques Dutrey de nous éclairer sur sa collaboration avec les éditions Opta : illustrations pour des romans ou nouvelles de science-fiction où l’on retrouve les prémices de tous les styles regroupés, ensuite, sous la signature Moebius…

Tout le monde sait que Moebius est un pseudonyme adopté par Jean Giraud pour signer dix courts récits complets publiés dans le mensuel (d’ humour noir, plus que satirique, et très peu diffusé à l’époque) Hara-Kiri, de mai 1963 à juin 1964.

Son graphisme qu’il disait sous l’influence de Will Elder, qu’il avait entrevu plus que lu dans les recueils pockets de MAD, sans doute, me paraît d’ailleurs encore beaucoup sous l’influence de Jijé. Bien qu’il ne l’ai jamais cité, ces petits contes noirs à chute rappellent beaucoup les nouvelles de Fredric Brown.

« C’était l’époque où je faisais mes illustrations pour Hachette (…). J’y suis donc allé , vachement intimidé, avec une planche qui ne leur a pas tellement plu : mais ils ont été d’accord pour que je fasse d’autres histoires davantage conformes au style de la maison. C’est ainsi que je leur ai donné quelques bandes. J’aimais bien ça, jusqu’au jour où, paf !, je n’ai plus pu pondre la moindre ligne… » (3).

Beaucoup savent qu’il a tiré ce nom de plume (ou de pinceau) de « l’anneau de Möbius », rencontré au hasard de la lecture d’une nouvelle parue dans le mensuel Fiction, revue dont le jeune Giraud était un lecteur assidu depuis que son père lui en avait offert le numéro 1, en octobre 1953.

Les vieux lecteurs de Spirou, du Trombone Illustré et du regretté Yvan Delporte, savent presque tout grâce au n°2061 du 13 octobre 1977 sur ce mystérieux « Möbius », orthographié « Moebius » en France (pour économiser un tréma ?), son portrait par le regretté André Franquin, et les étonnantes propriétés de son anneau vrillé (ou tordu comme le dit Giraud), malicieusement illustrées par le regretté Alexis (Les « regrettés » sont forcément très présents dans un « Coin du Patrimoine »).

On sait également qu’après avoir perfectionné sa plume et son pinceau en encrant « Jerry Spring » dans « La Route de Coronado », sous la houlette de son vieux maître à dessiner (Joseph Gillain), en 1960-61, et cinq récits complets plus quelques illustrations et une couverture pour Le Journal de Bonux Boy, il alla perfectionner sa gouache, en compagnie de ses vieux potes des Arts Appliqués, Jean-Claude Mézières, Maurice Marty et Robert Stalport, sur L’Histoire des civilisations chez Hachette, jusqu’à la fin 1962 (4).

Le besoin de perfectionner son dessin le poussa à abandonner ses amusettes dans Hara Kiri pour s’investir à fond dans « Blueberry ».

Son goût prononcé pour la science-fiction ne l’avait pas abandonné pour autant et ce sont, sans doute, ses copains Philippe Druillet, et peut-être Jean-Claude Forest, qui l’ont branché sur les éditions Opta où ils travaillaient déjà. « …c’est très important : comme une sorte de laboratoire parallèle et permanent. À l’origine de ça il y a Michel Demuth qui m’a encouragé et utilement conseillé. Grâce à lui, Moebius a constamment produit, bien que n’existant apparemment plus. » (3).

Si on pouvait voir pas mal de reproductions de ces illustrations dans le superbe album très grand format, généralement très bien imprimé, « Gir », collection 30×40, publié en 1974 par Futuropolis, et dans l’album carré « Moebius », format 30×30, publié par les Humanoïdes associés en 1980, (hélas si mal relié qu’il ne reste de mon exemplaire qu’une poignée de pages encartées dans la couverture), on n’a jamais vu, dans les trop peu nombreuses bibliographies de Gir/Moebius, une liste complète, précise, détaillée et fiable de ces illustrations.

C’est cette lacune grave que l’ennuyeuse liste qui suit se propose de combler. Si elle comporte des erreurs ou des lacunes je vous remercie de me les signaler.

Outre leurs collections policières, les éditions Opta disposaient de deux revues et de quatre collections. Moebius a participé aux six publications, essentiellement de 1969 à 1974.

FICTION

revue de format livre de poche, dirigée par Alain Dorémieux, 412 numéros de 1953 à 1990.

Fiction spécial n°15 (191bis) : « Histoires stellaires » (1969) couverture double

GALAXIE

revue de format livre de poche, dirigée par Alain Dorémieux, puis Michel Demuth, 158 numéros de 1964 à 1977.

n°58 (mars 1969) : 2 illustrations noir et blanc pour la nouvelle « Manque de peau » de CC MacApp.

n°61 (juin 1969) : 1 ill. n&b « Roum » de Robert Silverberg

n°71 (avril 1970) : 2 ill. n&b « La Guerre du roi blanc » de Poul Anderson

2 ill. n&b « Le Vaisseau qui disparut » de Anne McCaffrey

n°85 (juin 1971) : 1 ill. n&b « Quand renaît la mer » de CC MacApp

GALAXIE BIS

collection de romans de format livre de poche, dirigée par Alain Dorémieux puis Michel Demuth, 148 volumes de 1965 à 1987.

uniquement des gouaches de couvertures

n°16 (74bis) 30.7.70 : « Des hommes et des monstres » de W. Tenn

n°18 (78bis) 24.12.70 : « Le Son du cor » de Sarban

n°19 (82bis) 1971 : « La Vallée magique » d’ Edmund Hamilton

n°21 (86bis) 3e trim 71 : « L’Île des morts de Roger Zezlany

n°25 (98bis) 3e trim 72 : « Pour quelle guerre » Gordon A. Dickson

n°31 (?) 4e trim 73 : « La Stratégie de l’erreur » de Gordon R. Dickson

n°36 (125bis) 4e trim 74 : « Nécromant » de Gordon R. Dickson

plus de numéros bis par la suite

n°55 1er trim 1977 : « Agent de l’empire terrien » de Poul Anderson

n°57 mai 1977 : « La Caverne du ciel » de Poul Anderson

CLUB DU LIVRE D’ANTICIPATION (plus connu sous l’acronyme CLA) :

luxueux livres reliés toilés, numérotés, sous jaquette rhodoïd.

S’il n’y a pas d’illustration en couverture, la double page de garde est en bichromie et donne souvent de splendides résultats, à une époque où Giraud renforçait l’imagination de Moebius avec la vigueur de la plume de Gir. Collection dirigée par Alain Dorémieux, puis Michel Demuth, 127 volumes de 1965 à 1987.

n°22 1er trim. 70 : « Agent de l’empire terrien » de Poul Anderson, pages de garde A, 1 ill. n&b page de titre, pages de garde B

n°25 2e trim. 70 : « Ceux de nulle part + Robinsons du cosmos » de Francis Carsac, pages de garde A, ill. n&b A, ill. n&b B, pages de garde B

n°28 4e trim. 70 : « Route de la gloire » de Robert Heinlein, pages de garde, 1 ill. n&b

n°29 1er trim. 71: « Révolte sur la lune » de Robert Heinlein, pages de garde, 1 ill. n&b

n°31 2e trim. 71 : « Les Loups des étoiles » de Edmund Hamilton, pages de garde, 1 ill. n&b « L’Arme de nulle part », 1 ill. n&b « Le Monde des interdits », 1 ill. n&b «La Planète des loups »

n°35 4e trim. 71 : « Mission stellaire + La Quête sans fin » d’A. E. van Vogt, pages de garde A, ill. n&b A, ill. n&b B, pages de garde B

n°37 2e trim.72 : « Les Univers de Robert Sheckley », pages de garde, 17 ill. n&b pour les 17 nouvelles

« J’ai lu le dernier Sheckley qui vient de paraître et, alors, j’étais absolument effondré de voir la qualité de ce livre. J’aurais voulu le faire. C’est ça, tu vois. Et ça sort des tripes, quoi. C’est le genre d’histoire qui me fait super-bander ! » (5)

COLLECTION AVENTURES FANTASTIQUES

même présentation luxueuse que le CLA, mais la couverture est illustrée sous jaquette papier reprenant le dessin, 32 volumes de 1968 à 1986

n°12 1er trim. 75 : « Contes de terreur » de Robert Bloch, ill. de jaquette, reprise en couverture, pages de garde, 30 ill. n&b

 

COLLECTION ANTIMONDES

romans brochés format standard, 34 volumes de 1972 à 1977 sous la direction de Michel Demuth.

n°1 (1972) : « L’Île des morts » Roger Zezlany

n°15 (1974) : « Les Triffides » de John Wyndham

Les styles et techniques employées par Jean Giraud se cherchant en Moebius sont extrêmement variés : du pointillisme à la Virgil Finlay ou Lawrence Stern Stevens pour ses illustrations des « Loup des étoiles » aux dessins humoristiques arrondis des « Univers de Sheckley », en passant par ses superbes gouaches lumineuses pour les couvertures de Galaxie Bis ou ses silhouettes épurées pour « Mission Stellaire », il profite manifestement de sa liberté nouvelle pour s’essayer à toutes sortes de styles au lieu de s’enfermer dans une identité graphique particulière.

On y trouve en germe tous les Moebius des quarante années suivantes.

 Le nom de Moebius ne fut pas vraiment oublié dans la période 1964-69 puisque le mensuel Charlie reprit huit des dix histoires de 63-64 en 69-70 et l’anthologie « Planète » en reprit deux.

Outre les illustrations susmentionnées, signalons la couverture bichrome co-signée Druillet-Moebius pour le fascicule « BD 72 » de Jacques Zimmer (UFOLEIS), rare collaboration reprise pour la couverture de Métal hurlant n°57 bis en novembre 1980, et première réapparition du pseudo Moebius hors Opta, avant « L’Homme est-il bon » dans Pilote n°733 du 2 février 1974, et quelques mois plus tard « Les Vacances du major » dans France-Soir du mardi 16 au lundi 22 juillet 1974, 6 planches, bien signée Moebius (et non Gir) dans la dernière, n’en déplaise à MM. Sadoul et Filippini, bibliographes parfois trop hâtifs.

ET C’EST DONC AINSI QUE GIR REDEVINT MOEBIUS !

 

Jacques DUTREY

Post scriptum : Qui osera faire une bibliographie complète, détaillée et claire à la fois, de l’œuvre protéiforme de Gir/Moebius, détaillant ses albums par le menu ? Les regroupements d’histoires identiques sous des titres différents, et les regroupements d’histoires différentes sous des titres identiques finissent par rendre fou …

 (1) Voir : http://bdzoom.com/47536/patrimoine/pour-se-souvenir-de-moebius/

 (2) Voir : http://bdzoom.com/47677/patrimoine/pour-se-souvenir-de-jean-giraud%E2%80%A6/

 (3) Moebius, entretiens avec Numa Sadoul, Casterman, 1994, p.174.

(4) Hop ! n°100, décembre 2003.

(5) Falatoff n°18/19, mai-juin 1973, p.6. Faut-il y voir l’origine du Bandard fou ?

mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet

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