Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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La nouvelle collection dirigée par Christian Clot, lui-même explorateur, frappe juste et simple en s’intitulant « Explora ». Son but ? Réunir des individus qui en tout temps et en tout lieu ont bouleversé les connaissances humaines et géographiques. La collection se lance en effet sur la piste de ces fous d’aventures qui, eux-mêmes, se lançaient sur des routes inconnues, des mers improbables, des déserts plus qu’incertains, des forêts peu prêteuses… Deux titres consacrés à Magellan et Mary Kingsley inaugurent la conquête mais, en septembre, Burton et Fawcett viendront rejoindre leurs compagnons globe-trotters. Si Magellan est un navigateur célébré, le parcours de Mary Kingsley est, de loin, plus singulier…
Après la mort de ses parents, une jeune trentenaire londonienne, jusqu’alors totalement dévouée à ses parents, s’embarque pour l’Afrique. On la retrouve en 1893 en Angola, d’abord naïve et proie fragile, puis farouche et décidée. Mary acquiert du caractère et du répondant, l’énergie du désespoir peut-être, qui la pousse à continuer toujours plus loin. Mais pour aller où ? Aidée d’un guide blanc, aussi manipulateur que douteux, elle s’est mise en tête d’atteindre le fleuve Ogooué et le Mont Cameroun. La femme, intrépide, redoutable, finira par lasser son guide qui l’abandonne. Heureusement, l’Afrique est pleine de ressources et c’est un Noir assez policé qui prend la relève. Rien n’arrête l’Anglaise à robe à crinoline et ombrelle : la peureuse n’a plus peur de rien et l’Afrique a beau lui dérouler ses pièges les plus courants (crocodile, serpent, tribu inquiétante, guerriers cannibales…), son GPS intérieur ne varie pas d’un pouce ! La célibataire endurcie, qui s’est ennuyée à mourir dans son Angleterre natale, est devenue solitaire avertie. Tout la captive, la passionne, la pousse à explorer ! Car rien ne la rebute : elle s’adapte, tout simplement. Le plus dur, après deux expéditions, sera, pour elle, de se réadapter à la société victorienne !
Tout ce que l’album, haut en couleurs, bien rythmé, très visuel, ne dit pas et ne montre pas, un dossier historique de huit pages en fin d’ouvrage le précise ou le complète, insistant par exemple sur l’intérêt de cette femme exceptionnelle et atypique pour les sciences naturelles, sur sa passion pour les fétiches et sur son féminisme à tout crin.
Même dossier documentaire pour « Magellan », mais la bande dessinée exhibe un homme fougueux, autoritaire, obsédé par ses choix, un héros sans amis, sans patrie, sans état d’âme. Lui, c’est un pro, pas un amateur comme Mary ; c’est un calculateur, tout le contraire de Mary ! Et c’est un homme, aventurier comme tant d’autres, quelque part un soldat de la connaissance prêt à se sacrifier pour prouver qu’il a raison. Les femmes, elles, préfèrent revenir ; elles n’ont pas tort ! Magellan reste pourtant « une énigme », comme il est dit en préface, un de ces fous de mer qui pouvaient en ce début du 16ème siècle se jeter sur les océans avec l’idée hérétique de faire le tour du monde !
Comme l’explique Christian Clot : « Au fur et à mesure de mes expéditions et de mon intérêt grandissant pour l’histoire de l’exploration, j’ai réalisé que les Grands Explorateurs étaient des sujets de BD parfaits : souvent des histoires épiques, des femmes et hommes passionnés voire romantiques, écorchés, prêts à tout perdre… Et pourtant des histoires difficiles à raconter au cinéma de par les moyens de reconstitution qu’elles demandent… ». L’enjeu pour lui  est de « créer des récits tout à la fois passionnants, riches en rebondissements et émotions et apportant un nouvel éclairage sur ces explorateurs souvent trop méconnu ». Ces récits, tous publics, en font la démonstration.
Alors, comme explorer, c’est voyager, bons voyages !
Didier QUELLA-GUYOTÂ ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook)
 « Mary Kingsley : la montagne des dieux » par Julien Telo, Esteban Mathieu et Guillaume Dorison
Éditions Glénat (14, 50 €) – ISBN : 978-2-7234-8195-3
« Magellan : jusqu’au bout du monde » par Bastien Orenge, Thomas Verguet et Christian Clot
Éditions Glénat (14, 50 €) – ISBN : 978-2-7234-8197-7