Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Christophe Cassiau-Haurie nous a proposé de collaborer à BDZOOM en nous fournissant chaque mois un article sur la BD africaine. Le premier traite du Burkina Faso.
L’histoire de la bande dessinée au Burkina Faso
Les premiers essais de la bande dessinée burkinabaise commencent au début des années 80 dans la presse locale écrite généraliste privée et gouvernementale.
En 1980, L’observateur, quotidien privé, publie quelques illustrations et caricatures de Anatole Kiba et Raya Sawadogo. Ce journal était le plus lu dans le pays jusqu’en 1984 où il a été détruit par un incendie criminel. Les deux auteurs prennent par la suite un chemin différent. Anatole Kiba édite, par épisode, dans Sidwaya, quotidien gouvernemental, la série Maître Kanon.
Raya Sawadogo, pour sa part, signe le véritable démarrage de la bande dessinée en publiant à compte d’auteur la série des Yirmaoga sous forme de petits livrets de volume variable (huit à vingt pages), écrits en français populaire, le français moussa parlé dans la rue qui regroupe les mésaventures en ville d’un paysan moaga. Ces petits récits comiques sont faciles à lire, et surtout, à raconter. Dans un premier temps, les aventures de Yirmaoga permettaient de critiquer la vie quotidienne des citoyens sans qu’il y ait réellement référence à la vie politique nationale : Yirmaogo au petit coin traite de la prostitution, L’homme trompair parle du maraboutage, et Opital des conditions d’hospitalisation. Par la suite, Yirmaoga devient le témoin des situations difficiles nées de l’application des nouvelles mesures politques : Le salaire vital s’inspire d’une décision du gouvernement de verser une partie du salaire du mari aux épouses, Loyer 86, Cado ou pas cado, retrace les conflits entre locataires et propriétaires et Yirmaoga aux IPR parle de la justice.
Yirmaoga est resté probablement le personnage de Bd le plus populaire du pays du fait du comique des situations décrites et de son rôle de dédramatisation sociale1.
Par la suite, à la fin des années 80, Moussa Konaté2 fit éditer à compte d’auteur six ouvrages illustrés pour les enfants reprenant des contes locaux moralisateurs où le personnage central est un animal reconnu du panthéon animalier national : Le caïman, le chasseur et le lièvre ou le prix de l’ingratitude (1986), Le chat et les souris ou le danger de l’ignorance (1987), Le mari infidèle (1988), Le lièvre, l’éléphant et les pintades ou les méfaits des feux de brousse (1990), Le lièvre et les autres animaux de la brousse ou l’effet de la musique (1990), Le lièvre, l’éléphant et l’hippopotame ou l’avantage de l’intelligence sur la force (1991).
Moussa Konaté cessa de produire au début des années 90.
Les années 90 furent surtout marquées par la montée des caricatures et dessins de presse qui, comme dans le reste des pays d’Afrique, fleurissent à l’occasion de la libéralisation de la presse.
C’est dans ces années là que le bédéiste congolais Cyprien Sambu Kondi3 s’installe au Burkina Faso et commence à travailler comme dessinateur de presse et caricaturiste au Matinal d’abord, de 1996 à 1998 puis à L’opinion, de 1998 à 2 000. En 1999, Sambu Kondi publia chez Zedcom, éditeur de L’opinion4, un ouvrage intitulé Yennenga, la princesse amazone, BD en noir et blanc réalisée et financée par le Comité National de lutte contre le sida et les MST. L’histoire elle même n’a aucun rapport avec le sujet ; elle relate la vie de Yennenga, la princesse amazone, fondatrice du peuple Mossi. Le scénario se concentre sur l’histoire d’amour de la guerrière avec un chasseur et l’acceptation de cette union par son père. Cet ouvrage, le seul remarquable des années 90, fit malheureusement l’objet d’une diffusion confidentielle.
La traversée du désert du 9ème art burkinabé dura environ 10 ans.
2 000 fut l’année de la renaissance, avec l’apparition d’une génération de nouveaux talents.
Celle-ci s’illustre à travers la revue Kouka, une revue de bande dessinée pour enfants et jeunes éditée annuellement par le REN – LAC (Réseau national de lutte anti-corruption) depuis 2000 et qui tire à 5 000 exemplaires. Les trois premiers numéros de cette première revue de bande dessinée parlaient du rôle des parents à l’école, le n°4 traitait de la police et le N° 5, des infirmiers.
Sur un scénario de Noraogo Sawadogo, les dessinateurs changent à chaque numéro, ce qui permet d’observer un assez large échantillon du milieu.
En parallèle, à l’occasion de l’année de son centenaire, est sorti Senghor cent ans : la Bd burkinabaise célèbre le poète – président, une bande dessinée en noir et blanc où des artistes, dessinateurs et scénaristes professionnels ou néophytes rendent hommage à Senghor et témoignent de la vitalité dela Bd locale.
Le numéro 3 de Kouka était dessiné par Anatole Kiba, 20 ans après Maître Kanon.
Le numéro 6, sorti en juillet 2006, aborde le cas des notes sexuellement transmissibles (NST) attribuées par certains enseignants à certaines élèves.
Le dessinateur de ce numéro est Timpousga Kaboré, plus connu sous le nom de Timpous. Né en 1957, celui-ci collabore régulièrement au journal L’indépendant. Auteur de plusieurs BD pour des ONG, il est le premier bédéiste burkinabé à se faire publier en Europe avec une planche d’un de ces inédits de 1999, Le cas Zongo, repris dans le répertoire italien de BD africaine : Matite africane5. L’anthologie 2005 – 2006 de Africa comics, résultat d’un concours organisé par l’ong italienne Africa e mediterraneo, publiera également une de ces histoires en 4 planches sans titre. En 2005, Timpous fut également sollicité par l’éditeur Dieudonné Soubeiga pour dessiner un album de caricatures politiques qui concernait les élections présidentielles à venir : Les douze stars du Faso foot. En 2006, on doit également à Timpouss le récit Senghor chez Maître Pacéré et la couverture de l’album collectif sur Senghor.
Le numéro 4 était dessiné par Diane Myriam Ouedrago, l’une des rares femmes du métier, avec la scénariste Sophie Heidi Kam. Celle-ci, avec A malin, malin et ½, sera également publié en Italie dans l’anthologie Africa comics 20036. Ouedrago, qui signe Diane, collabore également au mensuel humoristique L’essentiel du Faso où elle publie des histoires à suivre sous le nom de Diane.
En 2001, sortait l’une des rares bandes dessinées publiées par un éditeur privé : Wambi de Joël Salo, chez Hamaria. Présentée dans une édition de qualité (grand format, couverture en papier glacée), cette œuvre en noir et blanc racontait, sur un mode burlesque, l’histoire d’un père de famille incapable de nourrir ses 9 enfants. Joël Salo sera l’un des deux sélectionnés burkinabés lors du concours Vue d’Afrique du Festival d’Angoulême 2006 avec l’histoire France, au revoir. Salo, qui publie dans la presse locale (Sidwaya et Bendre) et a fondé sa propre agence de communication, a également participé à la BD collective sur Senghor avec Négritude, je t’emm..
La même année, Damien Glez, dessinateur de presse français installé au Burkina après son service militaire, lançait Le journal du jeudi, appelé familièrement Jiji, une revue d’humour panafricaine pensée, créée et imprimée à Ouagadougou avec une équipe de dessinateurs et de scénaristes burkinabés, camerounais, français, belges, anglais et américains, associés au sein du RALI (Réseau Africain pour la Liberté d’Informer). Tiré à 15 000 exemplaires, Jiji était distribué dans de nombreux pays africains francophones (Cameroun, Togo, Burkina Faso, Gabon, Mali, Niger, Côte D’ivoire, Sénégal…) et par Internet. Depuis mars 2001, Le journal du jeudi a publié 7 hors séries regroupant les meilleurs dessins, caricatures et pour deux d’entre eux7, les meilleures bandes dessinées.
Le dernier tome est l’œuvre de l’un de leurs collaborateurs (depuis 2004), l’artiste peintre, caricaturiste et décorateur de cinéma Hamidou Zoétaba, également président de l’Association des jeunes artistes de Burkina. Celui-ci, en 2005, fut le premier dessinateur burkinabé à participer au Festival d’Angoulême. L’année précédente, il initiait auprès d’une vingtaine de dessinateurs un atelier de formation et de promotion de la BDappelée SEFORE (Sélectionner pour former, former pour éditer) avec Damien Glez, Joël Salo et Lougue Kou8. Zoétaba est également illustrateur de la revue de jeunesse Moi, ma vie, mon rêve soutenue par l’ONG Family care international.
A l’occasion de l’atelier SEFORE, un concours de bandes dessinées fut organisé. L’œuvre sélectionné, un mini album intitulé Walib, fut celle d’Elisée Sare qui publia également une histoire courte dans l’album Senghor.
Zoumabé Sylvestre Kwene, dit Gringo, publie régulièrement dans L’observateur Paalga. Avec Zoom sur Ouaga, il a été sélectionné pour le concours Vue d’Afrique du Festival d’Angoulême 2006 où le Burkina Faso sera le seul pays à avoir deux sélectionnés parmi les dix lauréats. Ce succès sera confirmé la même année par la sélection de trois de ces planches9 dans l’anthologie 2005 – 2006 de Africa comics. Kwene a également dessiné trois histoires courtes dans l’ouvrage sur Senghor.
Malheureusement, comme dans les autres pays d’Afrique, le marché burkinabé de la bande dessinée n’existe pas. La plupart des œuvres citées sont subventionnées par des ONG internationales, la coopération française ou le Centre culturel français. Cette dépendance n’est pas le gage d’un avenir positif pour ces artistes. Par conséquent, les dessinateurs et illustrateurs burkinabés restent très cantonnés à la caricature et au dessin de presse, beaucoup plus rémunérateurs. On ne peut réellement parler d’un milieu du 9ème art au Burkina Faso, qui reste très embryonnaire et peu structuré. Le pays attend encore un artiste et une œuvre qui, à l’image de Barly Baruti en RDC ou TT Fons au Sénégal, servira d’aiguillon à l’ensemble de la profession.
1 Pour un résumé du succès de cette série, cf. Yirmaoga, tu me fais rigolement de Jean Pierre Guingané, Notre librairie, N°101, avril – juin 1990.
2 Homonyme, sans lien de famille, de l’écrivain et éditeur malien Moussa Konaté, fondateur de Le figuier.
3 Cyprien Sambu Kondi avait déjà publié dans les années 80 plusieurs BD en ex – Zaïre : Disasi aux éditions Saint Paul (1985) et en République du Congo.
4 Pour plus d’information sur Zedcom, cf. www.zedcom.bfÂ
5 Matite africane (crayons d’Afrique), Ed. Lai momo / Africa e mediterraneo, Bologne, 2002.
6 Africa comics 2003, Ed. Lai momo / Africa e mediterraneo, Bologne, 2003.
7 Les 50 meilleurs bandes dessinées de JJ, Tome 1 (2001) et tome 2 (2005)
8 Auteur en 1998 d’une bande dessinée en mossi : A alima.
9 Avec trois planches intitulées Ayôlô (pire que les daltons !)