LE PARADIS RETROUVÉ OU « PIM PAM POUM A L’ÃŽLE BONGO »

Dès qu’il pense à « Pim Pam Poum » (The Katzenjammer Kids), l’amateur français ou belge de bandes dessinées pense à l’île Bongo, non pas qu’il ignore l’exis?tence d’autres épisodes des tribu?lations de cette famille dont les première et deuxième années d journal de « Mickey » avaient donné un échan?tillon, mais ce n’étaient là que pré?misses, l’essentiel se situant ail?leurs, plus précisément à l’île Bongo où la famille devait se fixer définitivement sans que la dispari?tion de Knerr lui donne jamais l’occasion de reprendre son erran?ce maritime. Ce sont donc les mé?saventures de la famille Pim Pam Poum à l’île Bongo et l’île elle-même qui vont faire l’objet de cet article.

Ce séjour à l’île Bongo n’est pas le premier qu’y effectua la famille, comme en témoigne l’ardeur du capitaine à y revenir malgré les efforts de la tante Pim, en effet en 1927-1928, nos cinq personnages y avaient déjà séjourné, il semble qu’à cette époque, reprenant la tradition de Dirks, Knerr ait fait porter son effort sur les rapports de la famille avec la communauté noire de l’île : le roi et sa cour, ses ministres, des rois d’îles voi­sines, des ambassadeurs, des digni­taires, etc. se mêlant quotidienne­ment (pardon, hebdomadairement !) à la vie de la famille et subissant les farces sans cesse renouvelées de Pam et Poum ; or, si le retour définitif à l’île débute dans la mêmeatmosphère, à la cour du roi, très vite la famille se replie sur elle-même et se met à vivre en circuit fermé, les arrivées successives de Lena et Miss Ross puis d’Adolphe ne faisant que renforcer cette ten­dance en complétant ce petit uni­vers privé, et, alors qu’auparavant les éléments extérieurs à la famille jouaient un rôle considérable (l’é­quipage du bateau et son comman­dant, le peau-rouge, le vieil ermite, etc.), maintenant tout va surtout se passer dans les limites de ce cercle familial agrandi où pénétreront parfois le roi Bongo, quelques amis de l’astronome ou du capitaine, ou les nombreux vendeurs farfelus qui séviront parfois sur l’île, tout ceci restant d’ailleurs très limité.

 

 

 

Examinons donc cette île Bongo : si l’on fait abstraction de Pam et Poum, c’est un véritable Paradis terrestre retrouvé : elle est tout d’abord coupée du reste du monde par sa nature même d’île et surtout elle jouit d’un éternel été car on ne doit guère tenir compte des rares petits nuages noirs qui amè­nent d’exceptionnelles averses. Ah ! le ciel éternellement bleu de l’île Bongo ! Ah ! l’ombre de ses pal­miers, l’or rougeâtre de son sable et la sérénité de ses après-midi ! Ce caractère édénique est encore accentué par la familiarité qui existe entre animaux et êtres hu­mains ; l’île pullule d’animaux sau­vages en général fort débonnaires : singes, autruches, kangourous (mê­me si c’est une hérésie zoologique en Afrique), éléphants, hippopota­mes, chèvres, zèbres, etc. ; l’animal le plus féroce paraissant être le chat sauvage aux griffes ravageu­ses, quant au crocodile, une sau­cisse l’apprivoise, la panthère se contente parfois d’un biberon, tan­dis que l’hippopotame est sensible au chou et les singes aux bananes, les éléphants et les autruches sont apprivoisés, seule la chèvre, iras­cible et brutale, semble à redouter ; tout ce monde fait plus ou moins bon ménage, on échange parfois un coup de dents, de griffes ou de cornes, les singes ont la poigne un peu trop vigoureuse, mais, dans l’ensemble tout est idyllique et rela­tivement aimable, c’est bien l’Eden tant regretté des hommes.

 

 

 

Ajoutons encore que l’auteur a doté ses héros de l’éternelle jeunesse, ou du moins les a fixés pour toujours à un âge déterminé sur lequel les ans n’auront pas de prise : jeu­nesse éternelle pour Pam, Poum, Lena et Adolphe, âge adulte à dif­férents degrés pour les autres ; ils ne vieilliront pas, au contraire de la famille Bumstead (Blondie), ni n’évolueront pas avec leur entou­rage comme Maggie et Jiggs (Illico). Enfin, outre que ses moyens de locomotion se limitent à la traction animale et à la bicyclette, ce petit monde vit dans un per­pétuel farniente ; certes les fem­mes et surtout tante Pim travaillent, mais c’est dans l’ordre des cho­ses : elle tient la maison et fait la cuisine (la pâtisserie surtout), les autres se livrent aux joies de lon­gues siestes, de non moins longues parties de pêche, du golf, des car­tes, du canotage, quand ce n’est pas de quelque beuverie ; seule­ment ce Paradis est troublé par les démons, en l’espèce Pam et Poum renforcés plus tard par Adolphe, ce sont avant tout des trouble-fête, leur génie de la farce, de la mystification, leur esprit inven­tif toujours à l’affût d’un tour à jouer, leur insatiable désir d’em­poisonner la vie des autres les ren­dent insupportables : plus de sieste ou de pêche sans pétard ou ciment ou glu ou crocodile ou autre joyeuseté du même genre; quelledébauche d’accessoires et d’outils : de la glu, élément fondamental, à l’hélicoptère, tout sera bon : mar­teau, scie, clous, planches, rou­lettes, tuyau de poêle, cage à oi­seaux, bougies, fauteuils, fusées, essaims d’abeilles, etc., sans parler des déguisements dont le plus réussi est certainement celui de Poum en petit fille qui aguiche Adolphe et le berne, ou de Pam et Poum en singe et hibou suivi de celui d’un singe en hibou et d’un hibou en singe ; que de dé­froques, que de peaux d’animaux, que d’animaux empaillés aussi, à croire que l’île n’est qu’un vaste musée zoologique ou un vaste ma­gasin de taxidermiste !

 

 

 

Il n’est que de chercher ou de payer (et quel prix dérisoire !) pour se procurer une dépouille de crocodile ou de lion, un pivert empaillé, voire une girafe ou même un éléphant. Dans ce concert de farces, de mystifications, d’espiègleries, de mauvais tours, Adolphe est venu jouer son propre morceau au détri­ment de Pam et Poum d’abord et très vite aux dépens de tous, c’est plus spectaculaire et tellement plus excitant, et quelle tentation de berner la grosse tante Pim, le balourd capitaine ou ce nabot d’astronome ! surtout en toute im­punité du fait d’une réputation im­méritée de garçon intelligent, poli et bien élevé, car, apparemment, par rapport à Pam et Poum il fait tout à fait figure du petit page par rapport au jeune Gargantua, mais quelle hypocrisie aussi !

 

 

 

Nous pen­sons que Knerr a eu dans les der­nières décades de sa vie l’idée heureuse d’inventer ce personnage antipathique qui cristallise sur lui la haine du lecteur, car Pam et Poum sont insupportables mais non détestables, et combien de fois (sinon tout le temps) avons-nous pris leur parti en souhaitant leur impunité, ou sinon, combien de fois nous sommes-nous réjouis de la réussite de leurs farces, même si à la fin ils sont vigoureusement fessés, car bien souvent ils paient le prix de leurs diaboliques inven­tions or, il n’en est pas de même pour Adolphe, personnage à la fois insupportable et antipathique, type même du « sale gosse » prétentieux, « bien élevé » et hypocrite, il finit par jouer le mauvais rôle et reçoit le châtiment que mérite sa sale mentalité et ce, à la grande joie du lecteur ; plus que Pam et Poum, il est le mauvais génie de l’île, car il a l’esprit foncièrement malfai­sant ; Pam et Poum, eux, font des farces mais cela fait partie du « jeu », de l’engrenage de la vie à l’île Bongo.

 

 

 

(à suivre)

 

 

Édouard François

 

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