Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Bonne nuit PunPun » T1 & 2 par Inio Asano
Inio Asano est de nouveau publié en France. Pour une fois, ce n’est pas un récit court, mais une Å“uvre en plusieurs volumes. Neuf sont déjà parus au Japon, sous le titre « Oyasumi PunPun » qui est littéralement traduit en français par « Bonne nuit PunPun » par son éditeur : Kana. Celui-ci a particulièrement soigné cette édition française pour ce qui est peut-être la plus audacieuse des BD de ces dernières années ! « Bonne nuit PunPun », c’est ce petit moment de repos que l’on a lorsque l’on va se coucher après une journée ou une vie bien remplie.
Sous ce titre étrange se cache un manga complètement iconoclaste. Inio Asano a choisi un parti-pris très troublant pour son héros. Plutôt que de dessiner un petit garçon réaliste, comme le reste des protagonistes, PunPun est griffonné sous les traits enfantins d’un oiseau. Il en est de même pour toute sa famille, alors que le monde qui les entours est traité avec détails et minutie. La plupart des personnages sont soit ultra-réalistes soit semi-réalistes, en fonction de leur rôle et de leur caractère. Quant aux décors, ils sont presque photographiques : très minutieux ils nous renseignent sur le monde dans lesquels vivent ces gens.
Les aventures de PunPun commencent lorsqu’il est en primaire. Dès les premières pages, une de ses camarades de classe va déménager. C’était son premier amour ! Même s’ils n’avaient jamais vraiment discuté ensemble, ils partagent quand même un grand secret. D’un autre côté, comme tous les garçons de son âge, PunPun se pose beaucoup de questions sur la vie, les rapports humains et leur sens. C’est un sujet de discussion classique avec ses camarades. Rapidement, son monde va de nouveau être bouleversé par l’arrivée d’une nouvelle élève dans sa classe. Nouveau coup de foudre pour PunPun. Il est amoureux de Aiko mais ne sait pas comment l’aborder. Dans le même temps, une grosse bagarre éclate dans l’appartement familial. Le père de PunPun finit en prison et sa mère a l’hôpital. Son oncle, sans emploi, emménage donc avec PunPun pour s’occuper de lui.
De tome en tome, PunPun va progresser dans la vie ; il va grandir, comprendre le monde, mais aussi avoir de nouveaux doutes. C’est cette vie qu’Inio Asano a décidé de nous raconter. Une vie avec ses problèmes, mais aussi ses joies. PunPun, ce pourrait être vous, ce pourrait être moi. C’est pour ça qu’il doit rester commun en gardant sa forme simple. Bien sûr, les situations sont plutôt catastrophiques : une famille qui se déchire, un oncle incompétent, des amis pas toujours sérieux, un voisinage bien étrange, des peines de cÅ“ur. Pourtant, à aucun moment le récit ne tourne au tragique ; ce sont juste des obstacles qu’il faut contourner ou surmonter. La vie de PunPun est à l’image de notre monde, injuste, mais tellement important à vivre.
«  Bonne nuit PunPun » fait partie de ces mangas qui prouvent que cette bande dessinée venue du Japon n’est pas seulement destinée aux enfants. Inio Asano nous avait déjà séduits avec ses récits courts plutôt bien construits. Les thèmes abordés sont souvent crus et pessimistes. Pourtant, il y a toujours ce rayon de soleil qui surgit à un moment ou un autre derrière un gros nuage noir. Avec ces vies ordinaires, il dépeint des êtres touchants et souvent porteurs d’un tout petit peu d’espoir. Chez Kana, il a déjà publié « La Fin du monde avant le lever du jour » et « Le Quartier de la lumière » sous forme de volumes uniques, ainsi que « Solanin » et « Un monde formidable » en deux volumes chacun. Il a aussi fait une petite incartade en passant par l’éditeur Panini avec « Le Champ de l’arc-en-ciel ».
Né en 1980, dans la préfecture d’Ibaraki (à une centaine de kilomètres au nord de Tokyo), il n’a que 17 ans lorsqu’il est remarqué par les éditions Shogakukan, l’un des plus gros éditeurs de manga au Japon. Au départ, il devient assistant de Shin Takahashi, puis trois ans plus tard, en 2000, il voit la publication de son propre manga : « Futs? no hi » (« Un jour ordinaire ») imprimé dans la revue Big Comic Spirits. L’année suivante, il remporte le prix Sunday GX décerné aux jeunes espoirs du manga avec son histoire « Uch? kara konnichiwa » (« Salutation depuis l’espace »). Fort de cette reconnaissance, il publie de plus en plus d’histoires courtes, mais également les séries en deux volumes que nous connaissons en France. C’est en 2007 que « Bonne nuit PunPun » commence sa publication dans le magazine Young Sunday pour passer l’année suivant dans le Big Comic Spirit, un magazine au tirage plus important. Le Yomiuri Shimbun a qualifié son travail de reflet de sa génération. Aucun animé n’a été tiré de ses oeuvres, mais un film basé sur « Solanin » est sorti en 2010.
Véritable phénomène au Japon, « Bonne nuit PunPun » fait l’objet d’attention particulière de son éditeur. Ainsi, les volumes 2, 6 et 7 ont eu droit à leur édition spéciale remplie de petits objets cadeaux. Un strap pour portable représentant PunPun en plastique pour le volume 2, Un t-shirt pour le 3. Le volume six en deux éditions différentes comportant soit une peluche de PunPun bleu avec son écharpe ou deux plus petites avec un PunPun rose accompagné de son oncle en vert. Le 7 a eu tout un lot de crayons surmonté de l’effigie des principaux intervenants dans la série. Les éditions normales sortent également de l’ordinaire. Chaque couverture est imprimée d’une couleur vive avec le titre marqué légèrement au trait noir. Le tout est gaufré par une représentation de PunPun en relief. L’édition française reprend bien évidemment ces caractéristiques. Le premier volume est jaune, le second bleu/vert. C’est sobre et immédiatement identifiable. Ce qui correspond parfaitement a l’idée que l’on peut se faire de cette Å“uvre.
Le malaise et les doutes de notre société contemporaine en pleine évolution représentent le cÅ“ur de l’œuvre d’Inio Asano. Dans « Bonne nuit PunPun », il poursuit son exploration de ce monde avec une audace graphique faite de mélange peu commun. L’ambition de l’auteur est de couvrir toute une vie. Pour le moment, il en est encore du passage de l’enfance à l’adolescence. Du coup, c’est un récit bien plus personnel qu’il nous offre. Il inscrit son personnage sur la durée. Il lui donne des sentiments évoluant au fil des épisodes et donc au fil du temps qui passe inexorablement. Peu de personnages grandissent en bande-dessinée. Lorsque cela arrive, c’est pour servir le récit et continuer l’aventure. Ici, c’est une évolution naturelle et obligatoire. Pourtant, PunPun n’échappe pas à son maître. Inio Asano maîtrise sa vie de bout en bout. Il nous raconte aussi la nôtre ou celle de nos proches au travers de cet oiseau imaginaire. « Bonne nuit PunPun » reste, à ce jour, l’un des mangas les plus novateurs parmi ceux publiés en France.
Gwenaël JACQUET
« Bonne nuit PunPun » T1 par Inio Asano
Édition Kana (7,45 €) – ISBN : 9782505014133