Bamboo, l’éditeur qui grimpe

Avec une bonne quinzaine de titres prévus cette année, Bamboo trace son chemin avec une maîtrise éditoriale déjà consommée et une recherche de la qualité de plus en plus efficiente. L’éditeur table habilement sur la complémentarité des genres, sans renier sa spécificité. Souhaitant apparemment conjuguer ouverture créatrice et prospection commerciale, il s’inscrit dans quatre registres distincts, en autant de collections.

(Un dossier réalisé par Joël Dubos)


Grand angle


            C’est une collection sur mesure qui présente de la bd réaliste d’action, d’une facture assez classique, quoique couvrant des champs variés, historique (Spiritus & sancti, Sam Lawry,), aussi bien que contemporain (Le messager, Thomas Silane). Le fil directeur de la série est donné par des scénarios menés sur un rythme d’une grande vivacité et par un dessin réaliste en ligne claire, souvent sobre (un peu trop parfois) et efficace (particulièrement dans Thomas Silane). On peut dire que la collection constitue une sorte de fonds éditorial, capable de toucher un large public, notamment les adolescents avides de divertissement mais aussi des adultes. C’est donc de la bande dessinée agréable, tournée vers le grand public et tirant ses références des séries B cinématographiques de qualité, mais ne négligeant jamais une touche d’originalité qui permettra au plus exigeant d’inclure sans rougir ces albums dans sa bibliothèque.


            Ainsi, dans Sam Laury, le récit parfaitement mené de bout en bout, avec des alternances de scènes d’action et intimistes, de violence guerrière, d’humour et de tendresse sentimentale, présente classiquement l’envers du décors militaire dans une base américaine au Viêt-nam. Mais les intuitions parapsychologiques du héros pimentent le récit d’une tension digne d’un thriller.


            Même procédé dans Thomas Silane, reporteur de choc, qui reçoit un jour un appareil photo contenant des clichés, pris on ne sait comment, mais renvoyant à chaque fois à des meurtres dont ils offrent une partie de la solution. Le thème semble ainsi directement hérité, par son ressort, d’un fantastique très classique. Le tout, avec des personnages non dépourvus d’aspérités et dotés d’une vie personnelle et d’un passé torturé, donne une BD très télévisuelle, appartenant à ce genre du policier fantastique qui s’est durablement imposé depuis les années 1990.


 


Angle de vue


            Avec la collection « Angle de vue », l’éditeur affirme davantage son originalité et développe un segment intimiste plus exigeant, mais probablement plus à même de laisser une marque dans l’univers bd.


            Le style Catherine (noter déjà le titre), centré sur la personnalité d’une adolescente à la fois commune et hors normes, dresse le portrait intense d’une jeune fille brûlée par la vie mais qui ne cesse pas pour autant de croire en un avenir radieux, fût-ce au prix d’une lutte apparemment désespérée. Grâce à un crayonné usant largement de nuages de points, de taches et de couleurs sales, à dominante de gris verdâtres, comme la réalité qui est décrite sans fart mais avec un ultime message d’espoir, le dessin donne une tonalité particulière à cet album qui présente une vraie unité figurative et thématique. Thierry Bouüaert fait preuve de fulgurances picturales, (voir les visages de la page 5 ou la page 4 qui traduit l’aptitude de l’auteur à rendre les ressorts profonds d’une personnalité à travers d’infimes détails de comportement). Dans cette histoire sombre et néanmoins optimiste, il use d’une symbolique diffuse, autour de l’eau purificatrice (élément capital dans la vie de Catherine, qui la délivre des souillures du passé et des menaces du présent), mais aussi avec des signes marquant la rupture (le passage sous le pont-toit vers la poussière d’un avenir sordide en page 4, et vers le soleil en page 47). L’album est prenant, noir et d’une réelle force.


            Dans un genre différent, mais avec non moins de densité, Le bouclier humain présente en images l’histoire d’Amara, une jeune beurette partie volontairement en Irak pour y servir de bouclier humain juste avant le déclenchement de la seconde guerre du Golfe. Rien de vraiment spectaculaire dans ce récit de vie, mais une série de portraits, de détails quotidiens et d’anecdotes qui au final brossent un tableau d’une grande humanité sur les Bagdadi et sur leur existence, leur philosophie et leur compréhension des choses sous un régime usé mais toujours absolu. Cet album, à situer dans la lignée du Photographe, racontant chez Dupuis le travail de Didier Lefèvre en Afghanistan, ou des Carnets, consacrés à une ville chez Casterman, hisse la bande dessinée au niveau du reportage et en fait une page journalistique de première importance, qui donne à réfléchir sur le poids de l’action individuelle dans un siècle ouvert sous les hospices des ambitions géopolitiques, et qui montre des gens à la fois lointains, exotiques mais terriblement proches. Les auteurs semblent nous délivrer le message d’une fraternité humaine qui elle aussi connaît la mondialisation.


 


Angle fantasy et humour


            A côté de cette production originale et ambitieuse, la maison manifeste toute son intelligence éditoriale, en ne négligeant pas les secteurs porteurs du genre, à savoir l’heroic fantasy (avec Agence barbare, qui sera bientôt rejoint par deux nouvelles séries, dont la prometteuse Uchronia) et l’humour, probablement les segments bd actuellement les plus populaires.


            Dans Les prédictions de Nostra, on découvre un héros qui n’est pas sans rappeler le Léonard de Bob de Groot, et qui vit des aventures pleines de rythme et de gags dans un passé de fantaisie. Toujours cultivant sans démériter la veine des recettes qui marchent, Bamboo présente ses propres récits d’enfance avec Les Ripoupons, adorables bambins souvent plus perspicaces que les grands : à situer dans la foulée du Petit Spirou, de Titeuf, et autre Yoman, mais avec des personnages encore dans les couches. Une version du « petit Titeuf » probablement …


            Signalons enfin Les fourmidables, série humouristique conjuguant références (comme la page 42 en hommage à Gotlieb) et créativité, graphiquement expressive et sympathiquement drôle, qui fait là encore écho aux séries à succès rappelant La jungle en folie. Toujours plaisants et inventifs, ces albums surfent effectivement sur des modes. Ils ne s’agit cependant en rien de sous produits mais bien plutôt de dérivés, non dépourvus de leur propre force originale, des créations authentiques qui transforment une oeuvre isolée en un véritable genre autonome.


 


            L’ensemble du panel présenté illustre ainsi à merveille à la fois la cohérence de la stratégie adoptée par Bamboo, l’apport d’un éditeur qui sait jouer sur plusieurs tableaux en étoffant régulièrement un catalogue d’une réelle variété, et la force d’entraînement que procure une telle politique pour les créateurs, notamment les plus jeunes qui peuvent ainsi se faire connaître à travers des collections de qualité. Une vraie chance pour les auteurs que pourraient négliger des maisons plus vénérablement installées autour de quelques produits phares, et un bel exemple à suivre.


 


Joël DUBOS


 


 


Bouclier humain, Tome 1, Les chemins d’Amara, de Hennebaut, Bétancourt & Sellati, 12,50 euros


Les fourmidables 2, Cirques divers, de Béka & Deporter, 8,99 euros


Nostra perd la boule, de Cazenove, Amouria & Lunven, 8,99 euros


Le style Catherine, de Thierry Bouüaert, 12,50 euros, avec un carnet de croquis de 8 pages en tirage limité pour la 1ère édition


Les ripoupons, de Gégé & Bélom, 8,99 euros


Sam Lawry, tome 2, L’oeil de Caïn, de Mig et Richez, 12,50 euros


Thomas Silane, Flash mortel, de Suendia, Chanoinat, & Lécossois, 12,50 euros


 

Galerie

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