Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« La Première lettre » par Yann Dégruel et Rudyard Kipling
Rudyard Kipling, l’écrivain britannique né à Bombay en 1865, a connu, dès ses débuts en littérature, un succès très important. Si son roman le plus connu reste « Le Livre de la jungle » publié dès 1894, ses nouvelles sont de petits bijoux d’humour et d’écriture.
Le recueil  « Histoires comme ça » paraît en 1902. Il compte 12 délicieuses petites histoires destinées aux enfants, qui expliquent, de manière malicieuse, les comportements des animaux ou des humains : « Comment la Baleine acquit son gosier » – « Comment le Chameau acquit sa bosse » - « Comment le Rhinocéros acquit sa peau » - « Comment le Léopard acquit ses taches » - « L’Enfant éléphant » – « La Rengaine du père Kangourou » - « La Naissance des Tatous » - « Comment naquit la première lettre » - « Comment l’alphabet fut fait » - « Le Crabe qui jouait avec la mer » – « Le Chat qui allait son chemin tout seul » – « Le Papillon qui tapait du pied ».
C’est dans cette matière que Yann Dégruel a puisé pour se lancer dans son nouveau travail d’adaptation. Après avoir passé quelques années avec Hector Malot en adaptant son roman « Sans famille », publié en six volumes chez Delcourt entre 2003 et 2008, il s’attaque à présent aux nouvelles de Rudyard Kipling. Deux premiers albums sont déjà parus chez Delcourt également : « L’Enfant d’éléphant » (2010) et « Le Chat qui s’en va tout seul » (2011).
Et voici « La Première lettre », adaptée de « Comment naquit la première lettre », une histoire drôle et très joliment mise en mots et en images.
La première planche, image unique et lumineuse montrant un homme néolithique souriant, accroupi à l’entrée de sa caverne, dit ceci : « Il y avait une fois, voilà très longtemps, Mieux-Aimée, un homme Néolithique. C’était un Primitif qui vivait dans une grotte et portait très peu d’habits. Il ne savait ni lire ni écrire et ça lui était égal ; il était toujours content, excepté quand il avait faim. »
Le ton est donné et le récit se développe sur 43 belles planches. Où l’on y apprend, par la bouche de Mieux-Aimée,  comment une petite fille dégourdie invente l’écriture bien avant l’écriture cunéiforme des fameuses tablettes phéniciennes.
Cette petite fille, toujours en mouvements, se nomme Taffimai Metallumai, ce qui signifie très précisément « Petite – personne – dépourvue – de manières – et qui – a – besoin – d’être – fouettée ». Rassurez-vous, elle porte un diminutif, Taffy. Elle vit dans une jolie caverne avec sa maman Teshumai Tewindrow et son papa Togumai Bopsulai. Nous vous laissons le plaisir de découvrir dans l’album leurs patronymes complets !
Le plus grand plaisir de Taffy est de partir pêcher au harpon des carpes savoureuses avec son papa. Mais ce jour-là , le harpon paternel se casse tout comme les belles carpes qui leur passent sous le nez. Il faudrait alors retourner à la maison chercher le grand harpon noir mais le chemin est bien long ! Taffy se lamente et comprend alors que, s’ils avaient su écrire, ils auraient pu envoyer une lettre à la caverne. C’est alors que surgit dans l’histoire un Étranger, blond, grand et maigre, appartenant à une tribu lointaine, et ne comprenant pas le langage de Taffy. Celle-ci a alors une idée lumineuse : dessiner sur une écorce, le chemin de sa maison, le harpon noir désiré, l’image de sa maman, et envoyer l’Étranger en mission. L’accueil qui lui est réservé n’est pas celui escompté. Il est vrai que les pionniers doivent souvent payer de leur personne !
S’il n’y avait pas eu de harpon cassé, de carpes à pêcher, de petite fille vive et inventive, peut-être bien que l’écriture n’aurait jamais existé. Allez savoir …
Cet album est tout simplement magnifique, intelligent et  subtil. Tout y est peaufiné, que ce soit le texte rehaussé d’humour toujours bienvenu, les larges vignettes qui éclatent dans les planches, aux couleurs chaudes, ou le trait tout en rondeur qui est la marque de fabrique de cet auteur talentueux.
Un ouvrage qui touchera bien évidemment les jeunes lecteurs auquel il est destiné, mais aussi les grands, sans aucun doute.
 Catherine GENTILE
« La Première lettre » par Yann Dégruel et Rudyard Kipling
Éditions Delcourt (10,95 €) – ISBN 978 2 7560 2720 3