Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
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William M. Gaines, lassé des problèmes que lui posait ses revues publiées dans le cadre d’E.C. Horror Comics avec la censure américaine, se tourne vers Harvey Kurtzman, déjà éditeur de Two Fisted Ta/es et Frontline Combat, et lui demande de réfléchir à une revue d ‘humour avec laquelle il n’aurait aucun problème
L’existence et la vitalité de la bande dessinée en France ne sont certes pas mises en doute, Mais il est de fait également que certains chiffres de tirage impressionnants rapportés par les historiens de la BD et concernant des revues d’avant-guerre – « Robinson » par exemple – n’ont plus jamais été atteints.
Il reste que 1es héros féroces et sanguinaires de certaines de ces séries (qui s’adressaient aux adolescents et que détestaient les parents) donnaient lieu à des diffusions exceptionnelles. Cette observation nous est suggérée par l’existence, aux Etats-Unis,en 1952 d’une publication très particulière, « Mad « , dans laquelle la bande dessinée se parodiait elle-même.
Le Français moyen, conditionné par son éducation humaniste, n’est pas ouvert à ce genre parodique. A part les enfants, les nouveaux lecteurs de bande dessinée appartiennent à une couche évoluée mais réduite de la population. Ils en parlent, en encrivent beaucoup, mais demeurent, malgré toute l’encre répandue, désespérément peu nombreux.
Il est impossible d’imaginer qu’une revue comme « Mad « , qui trie ses lecteurs parmi les dizaines de millions de « fans » du comic-strip ou du comic-book, pourrait trouver une clientèle dans un pays comme le nôtre.
Non que Mad ait eu le vent en poupe dès sa création. On raconte que dans les premiers temps la Rédaction,dirigée par Harvey Kurtzman, parvenue au bout de ses possibilités financières, et convaincue d’avoir échoué, publia dans ce qu’elle pensait être son dernier numéro (et qui devait n’être que l’un des premiers) un dessin amusant: on y voyait tous les rédacteurs et dessinateurs au grand complet, à genoux et mains jointes, conjurant les lecteurs de ne pas les abandonner à leur sort et, en les condamnant au chômage, de couper les vivres à toute une série de familles d’honnêtes travailleurs. L’idée était bonne, on la trouva drôle, les abonnements et soutiens affluèrent, et Mad ne tarda pas à accéder au rang des revues financièrement autonomes, vivant du seuJ apport de leurs lecteurs.
Nous l’avons dit: Mad était spécialisée dans la parodie. Dans ses pages, toutes réalisées par d’excellents dessinateurs, on tourne en ridicule un peu tout: les mondes du cinéma, de la politique, de la finance et toute la société américaine. Les caricatures sont très adroites, les personnages facilement identifiables. Non seulement par les lecteurs d’un certain niveau culturel, mais même par ceux qui subissent passivement la fascination exercée par leurs héros, et à qui il ne déplaît pas de renverser parfois ces rapports de sujétion à leurs idoles, et de se prouver. qu’ils ne sont pas tout à fait dupes. Ou qui obéissent peut-être, comme l’a observé le psychologue William Garrett, au désir de les humaniser, de fraterniser un peu avec elles, de’ les faire descendre de leur piédestal. Quoi’ qu’il en soit, le succès de Mad était à ce moment solidement assis.
Les héros eux-mêmes des bandes dessinées font les frais de la satire, ce qui est après tout le signe de la popularité. Et l’on en arrive ainsi à ce raffinement de la bande dessinée se moquant d’elle-même.
La formule de base de Mad est celle, classique chez les caricaturistes, d’insister lourdement sur les travers. Ainsi Mandrake le brouillon (comment ne le serait-il pas, avec tous ses jeux de prunelles, de mains et de baguette magique? devient un embrouilleur grandiose, à la ennième puissance. Rien de bien-original donc, mais l’application minutieuse et intelligente d’une formule qui a fait ses preuves.
Toute une foule de personnages défile dans la galerie de Mad. Même ceux, par exemple, de Walt Disney, dûment modifiés et ajustés aux intentions burlesques de la Rédaction. Particulièrement savoureuse est la charge des mythes imaginés par Milton Caniff en plus de trente années de brillante carrière. On sait que Caniff a une certaine prédilection pour la femme-vamp du type Marlène Dietrich. Il a toujours mis en scène des filles très spectaculaires, quelque peu équivoques: eurasiennes parées comme des idoles ou comme des amazones, souvent cruelles, toujours dominatrices. Les auteurs de Mad se sont jetés avec délectation sur cet aspect des strips de Caniff, transformant les belles sorcières en créatures grotesques.
Mais il faut garder présent à l’esprit que ce genre de publication était rendu possible par le fait que les bandes dessinées américaines paraissaient dans des centaines de quotidiens depuis des dizaines d’années. Et que leur popularité moyenne atteignaient celle que connaissent par exemple chez nous Tintin ou Asterix.
L’Américain moyen reconnaît au premier coup d’oeil Terry Lee et Dick Tracy, Joë Palooka et Li’1 Abner, et tout le bataillon de leurs pareils. C’est ce qui explique l’échec d’un timide essai d’introduction de Mad en France: le- lecteur français n’était suffisamment initié, ni aux héros caricaturés, qu’ils soient de fiction ou réels, ni à la vie américaine en général. .
L’esprjt de Mad n’est d’ailleurs pas spécifique de cette revue. Et puisque nous venons de citer Li’1 Abner, une grande partie de la production de AI Capp aurait droit de cité dans les pages de Mad. AI Capp lui aussi met en scène des personnages tirés de la vie réelle: présidents des Etats- Unis en exercice, ministres, vieux généraux ramolis, étoiles du cinéma, magnats de la finance, etc. Et son dessin est toujours un équilibre entre la pénétrante observation de la vie quotidienne et le trait caricatural, voire grotesque. Les héros de Al Capp, quand ils sont inspirés par des protagonistes réels de la vie américaine, sont toujours facilement identifiables. Capp a un réel talent de caricaturiste et en use avec habileté, ne recourant à la lentille déformante que juste ce qu’il faut.
Mad est souvent féroce, mais toujours dans les limites supportables. Moins, par exemple, que certains journalistes politiques. Si les noms propres sont légèrement estropiés, c’est plus par fair-play que par prudence: lorsque Mickey est parodié, on parle de Walt Dizzy, et le célèbre personnage de Conan Doyle devient Shermlock Shomes. L’une des créations les plus drôles est la parodie des aventures de Batman: Robin est devenu une sorte d’échalas mal nourri au visage béatement stupide, tandis que le héros est réduit aux dimensions d’un nabot ricaneur aux jambes torses.
L’équipe des dessinateurs est parfaitement rodée et quasiment infaillible, de Don Martin à Jack Davis, de l’excellent WallyWood (qui précisément est le pasticheur du duo Robin-Batman) à Bill Eider en passant par Mort Drucker..
Le lecteur las des aventures de Pam et Poum, dans lesquelles les deux terribles gamins ne se déchaînement que gentiment contre le Capitaine, ne lui causant guère que quelques coups et bosses; et qui, cherchant des sensations plus fortes, espère secrètement que la Victime sera finalement pulvérisée, trouvera la réalisation de ce rêve dans Mad: il y a cinquante, la fin d’une bande consacrée à Pam et Poum . On voyait le malheureux Capitaine réduit à sa plus simple expression, ayant perdu dans la lutte, entre autres, un bras et une jambe.
Les éléments qui nourrissent l’inspiration des dessinateurs Sont pratiquement inépuisables:
Ils vont du film à succès (nous nous souvenons d’ une très amusante version de West side story) au best-seller.
L’oeil des rédacteurs ramène à la surface, pour une parodie aigûe et tangentielle, les causes des mouvements dela vie Sociale.
Certes, tout cela se passe » dans » le système. Mad ne pourra satisfaire les amateurs de dynamite. Mais qui se contente de quelques gouttes de venin, habilement semées ça et là, se régalera sans réserve de la lecture de Mad.
FICHE :MAD .États-Unis .E.C. Comics .Mensuel (1952)
William M. Gaines, lassé des problèmes que lui posait ses revues publiées dans le cadre d’E.C. Horror Comics avec la censure américaine, se tourne vers Harvey Kurtzman, déjà éditeur de Two Fisted Ta/es et Frontline Combat, et lui demande de réfléchir à une revue d ‘humour avec laquelle il n’aurait aucun problème. La revue paraît, en octobre 1952, sous le titre Ta/es Calculated to Drive You Mad, devenue par la suite Mad, tout simplement.
L’ originalité de la formule, la verve des auteurs et l’habileté des dessinateurs: Mort Drucker, Don Martin, Jack Davis, Wallace Wood, John Severin, Bill Eider, Sergio Aragones ( « the usual gang of idiots » , c’est ainsi qu’ils s’auto-définirent), font de ce mensuel, où parodies de films, de séries T . V., de romans célèbres et de comic-strips s’alternent d’une façon fantaisiste, avec des extraits de faits divers complètement détournés, un symbole de succès éditorial qui a su, très rapidement, s’imposer à la perplexité, facilement compréhensible, suscitée à ses débuts, par cette revue totalement inédite.
Dans le n° 23, AlfredE. Neuman, en couverture, avec sa face d’imbécile heureux, où ses énormes oreilles prédominent, devient le personnage symbole de la revue. En 1956, Harvey Kurtzrnan interrompt sa collaboration au journal et, au,n° 29, Albert Felstein en prend la direction. La formule de Mad a été, par la suite, reprise aux Etats- Unis par de nombreuses revues (Cracked, Sick, Help !), qui n’ont jamais eu de succès. En France, les différentes tentatives d’édition de Mad ont toutes été de très courte durée.