Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 2 JUIN 2008
Notre sélection de la semaine : “ Bout d’homme T.5 : L’épreuve ” par Jean-Charles Kraehn, “ Bienvenue à Boboland ” par Philippe Dupuy et Charles Berberian, et “ Beast T.1 : Yunze, le dieu gardien ” par Mateo Guerrero et Thomas Cheilan.
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“ Bout d’homme T.5 : L’épreuve ” par Jean-Charles Kraehn
Editions Glénat (13 Euros)
« Bout d’homme » est un superbe conte campagnard, créé en 1990, mettant en scène un garçon de 19 ans qui en paraît 10 de moins : après avoir assisté au viol de sa mère, il a décidé de ne plus grandir, écœuré par le comportement de ses congénères. Depuis, aidé d’un rat qui lui confère un étrange pouvoir, il assouvit sa haine envers tous ceux qui veulent le soumettre…. Mêlant habilement fantastique et vie quotidienne, dans la tradition des romans populaires de la fin du XIXème siècle, Jean-Charles Kraehn a conclu cet émouvant récit en 4 tomes : ces derniers, qui viennent d’être réédités sous une nouvelle maquette, ont d’ailleurs contribué à asseoir sa réputation de bon conteur, mais aussi d’efficace dessinateur car il avait adopté, pour l’occasion, un graphisme plus dépouillé (par rapport à ce qu’il faisait à l’époque dans « Les aigles décapitées », par exemple), plus anguleux et plus proche d’une certaine ligne claire. Quatorze ans après, le petit breton qui refuse de vieillir, revient…, le scénariste de « Gil Saint-André » et de « Tramp » éclaircissant le passage où l’enfant avait embarqué pour le Nouveau Monde, outre-Atlantique, et en était revenu grandi (dans tous les sens du terme). Les mésaventures, au Canada, de ce jeune adulte prisonnier de son corps, sont aussi passionnantes et poignantes que dans le premier cycle, confirmant définitivement Kraehn comme l’un de nos meilleurs raconteurs d’histoires ; d’autant plus que son trait, mis en valeur par la couleur directe, s’est fait plus rond et plus onctueux, afin d’être encore plus lisible pour servir au mieux la narration.
“ Bienvenue à Boboland ” par Philippe Dupuy et Charles Berberian
Editions Fluide Glacial (11,95 Euros)
Evidemment, c’est décapant ! On ne pouvait pas s’attendre à moins de la part du duo responsable de « Monsieur Jean », dont l’œuvre a été récemment consacrée par leurs pairs avec le « Grand Prix de la ville d’Angoulême » 2008. En prenant pour cible les bourgeois bohèmes vivants dans leur propre quartier parisien du 10ème et du 11ème arrondissement, et qui, bien souvent, leur ressemblent, leur humour distancié n’a jamais été aussi emprunt de gravité. Pourtant, il nous arrive de sourire, et de même de rire, à la lecture de ces chroniques urbaines créées à l’origine pour Télérama. Elles ont été très vite récupérées par le mensuel Fluide Glacial, où des nouveaux venus dans ce célèbre mensuel basé sur la dérision, tel Cyril Pedrosa et son très recommandable « Auto-bio », pratiquent, eux aussi, la même démarche, basée sur leurs propres contradictions. Alors que le trait de notre signature bicéphale est, pour l’occasion, beaucoup plus caricatural, son propos est très réaliste : car fort bien observé et documenté, le résultat est jeté sur le papier sans concessions. Et, bien entendu, tout le monde en prend pour son grade : architectes d’intérieurs, journalistes sportifs, top models se prenant pour des stylistes, restaurateurs bio, intellos bavards, stars de la télé ou du monde de la littérature… : tels Renaud, Finkielkraut ou Gavalda…
“ Beast T.1 : Yunze, le dieu gardien ” par Mateo Guerrero et Thomas Cheilan
Editions Lombard (13 Euros)
D’habitude, quand je regarde ce genre de bandes dessinées axées « science-fiction dans un monde magique » et enrobées d’un graphisme à la sauce asiatique, je les survole assez rapidement, étant immanquablement déçu par une lecture approfondie des dix premières pages. Cependant, il existe des exceptions à cette règle, et « Beast » est l’une d’entre elles : non seulement, je suis entré tout de suite dans cette vision apocalyptique de notre planète, un thème pourtant maintes fois exploité, où trois peuples s’affrontent dans une guerre sans issue, mais j’y ai même pris un grand plaisir de lecture grâce à l’efficacité et le rythme soutenu de la narration. D’autant plus que le dessinateur, un Espagnol qui a travaillé pour les USA et pour Les Humanoïdes associés, en mélangeant habilement différents styles (comics, manga et franco-belge), se révèle finalement assez virtuose, dans la lignée d’un Guarnido… Certainement conçu à l’origine pour feu le label « Portail », cette nouvelle série confirme le fait que les éditions du Lombard veulent donner leurs chances à de jeunes scénaristes sélectionnés avec soin : après Nicolas Pona et Sébastien Latour, c’est au tour de Thomas Cheilan, venu de l’univers des jeux de rôles, de nous démontrer qu’un renouvellement est possible dans le classicisme : ce jeune auteur, comme ses deux collègues cités précédemment, sachant parfaitement être original en nous assénant un monde imaginaire très personnel (on n’est pas loin de ce que peut faire un Léo ou un Bourgeon dans le genre), tout en maîtrisant déjà les techniques narratives propres à la bande dessinée européenne.
Gilles RATIER