Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...COMIC BOOK HEBDO n°26 (17/05/08)
Cette semaine, elle voit des Iron Man partout
Hello, chers happy fews. Si le monde des super-héros vous intéresse, vous n’avez pas pu échapper à la vague Iron Man qui vient de déferler. Pour preuve le contenu de cette chronique qui – afin de rendre compte du phénomène – vous propose albums, revue et cinoche. Les habitués de Comic Book Hebdo savent combien j’exècre Tony Stark, sa suffisance et son éthique plus que discutable, sans parler de sa morale de marchand d’armes… Mais rassurez-vous, je viens ici avec mon petit drapeau blanc, veillant à être le plus objectif possible, et donc à avouer sans aucune gêne que l’Intégrale Iron Man est passionnante, que le Best of Marvel consacré aux épisodes alcoolisés de Tête de fer est vraiment chouette, que le Comic Box spécial « Iron Man et héros high tech » est très intéressant, et (tenez-vous bien) que le film est une très bonne surprise. Ah ! Alors ! Qui a dit que j’étais de mauvaise foi ? N’empêche, Iron Man c’est rien qu’un traître, na. Et puis, hé, ho, sérieusement, un type qui combat pour la paix dans une logique d’escalade technologique des armes et de boursicotages, moi je dis que c’est un beau salaud. Mais s’il n’y avait que ça… L’évolution actuelle de l’univers Marvel, secoué par Civil War et The Initiative, a révélé encore un peu plus l’ambiguïté dérangeante de ce personnage qui – en prenant aveuglément la tête des surhumains acceptant leur recensement par le gouvernement américain – est devenu le frère qui trahit, celui par qui la mort de Captain America a pu avoir lieu, et finalement le symbole de la politique de Bush, qu’elle soit intérieure ou extérieure. Si ce n’était que mon avis personnel, Joe Quesada n’aurait pas récemment entamé une « campagne de réhabilitation » du héros par le biais de nouveaux titres et du film. Car si les choix éditoriaux passionnants de Quesada ont amené certains des super-héros Marvel à leur point de rupture (et ont clairement plombé la popularité d’Iron Man auprès de beaucoup de lecteurs), the show must go on…
Cette semaine, beaucoup d’images en galerie. Afin de les voir, je vous invite à cliquer hystériquement sur le petit appareil photo en haut à droite de cet article.
-IRON MAN, L’INTÉGRALE 1963-1964 (Panini Comics).
On commence par le commencement avec ce premier volume consacré à l’intégrale des aventures d’Iron Man, publiées pour la première fois dans les pages du Tales of Suspense #39 daté de mars 1963. À l’instar de son futur et bref coéquipier vengeur Hulk, Iron Man apparaît tout gris à l’origine, avant de changer rapidement de couleur. C’est encore une fois un pur moment de bonheur que cette édition des intégrales, surtout lorsqu’elles s’attaquent comme ici à la genèse des personnages du Silver Age. Chacun de ces volumes ne peut que ravir tout fan des sixties, puisque Stan Lee ayant toujours voulu coller à son époque, ces bandes dessinées contiennent tout le goût du mystère, de l’humour, de l’étrange qui fut si particulier dans les créations artistiques de cette période à la charnière de deux mondes, encore dans la peur de la Guerre froide mais comptant déjà avec la jeunesse qui s’éveille. Les sixties, ça pétillait malgré les vieux fantômes encore menaçants, c’était l’étrange et les gadgets, le twist et le danger. Tous ces ingrédients émaillent avec malice et exagération dramatique l’ensemble de l’ouvrage, pour notre plus grand plaisir. Tales of Suspense est d’ailleurs symptomatique du genre de comics populaires qui ravissaient les lecteurs d’alors, des fascicules constitués de plusieurs courts récits d’horreur, de fantastique, de science-fiction ou de mystère et d’espionnage. Mais dès 1961, les super-héros de Marvel débarquèrent et envahirent progressivement plusieurs de ces titres avant d’avoir leur propre publication nominative (ainsi, par exemple, Spider-Man fit ses débuts dans le n°15 d’Amazing fantasy en août 1962). Les premiers épisodes d’Iron Man sont d’ailleurs assez courts puisqu’ils ne s’étendent que sur 13 pages au maximum ; après quelques fluctuations dans la longueur, la série s’installera pour de bon dans le format 18 pages à partir d’août 1964.
Il faut rappeler qu’en 1963 la machine Marvel est déjà bien lancée et que Lee et Kirby sont sur tous les fronts, finissant par déléguer quelques-unes de leurs créations à certains de leurs collaborateurs afin de ne pas exploser en plein vol. C’est assez significatif sur Iron Man puisque beaucoup des premiers scénarios de cette série ont été finalisés par Larry Lieber (le frangin de Sourire d’Avril), puis Roberts Bernstein et un certain N. Korok. Quant aux dessins, même si c’est Don Heck qui réalise la majorité des épisodes, on aura le plaisir de croiser Jack Kirby et même Steve Ditko au détour de quelques aventures savoureuses. Plus que de revenir encore une fois sur le dessin approximatif de Heck par rapport aux maîtres Kirby et Ditko, ces différents épisodes où se croisent dessinateurs et encreurs comme dans un monde lié sont au contraire l’occasion de voir que finalement, Heck n’est pas si mauvais que ça, à en juger par son encrage des dessins de Kirby et Ditko, nettement supérieurs à ceux sans vie d’un Paul Reinman, ou pire, ceux de Dick Ayers, carrément calamiteux, boudinant atrocement la puissance de Kirby et dégradant le charme de Ditko en des dessins informes. De là à dire que je suis devenu fan de Heck, non, n’exagérons rien, mais il faut avouer qu’à y regarder de plus près, tout ça est vraiment plein de charme…
Comme vous le constaterez aisément en lisant cet album, le contexte du Rideau de Fer est quasi omniprésent, et il ne se passe pas un épisode sans qu’un communiste ne se fasse refaire un costard pour l’hiver. C’est pittoresque aujourd’hui, mais en essayant de se replonger dans l’époque, ça fait réfléchir sur le sens de bien des créations baignant dans l’inconscient collectif du moment. Il se dégage de ces récits une telle naïveté manichéenne (bien plus que dans X-Men et au moins autant que dans Fantastic Four) qu’il est impossible de pouvoir lire aujourd’hui ces premières aventures d’Iron Man au premier degré ou sans recul (à moins d’avoir quelques problèmes personnels graves faisant perdre tout sens commun). Mais c’est justement ça qui fait tout le sel de ce genre de lecture, non ? Car que penser de cet épisode où Iron Man, revenu au temps de Cléopâtre, décime une armée ennemie comme au bowling, fonçant sur eux couché sur le dos et propulsé à une vitesse folle sur des petites roulettes ??? Un régal !!! N’oublions pas non plus l’un des éléments qui donne à la série ce qu’il faut d’esprit acidulé : Happy Hogan et Pepper Potts, le chauffeur et la secrétaire de Tony Stark, deux personnages secondaires attachants et drôles qui ne cessent de se chamailler. Il est aussi assez cocasse de voir qu’à ses débuts, Iron Man a combattu quelques-uns de ses futurs collègues, comme la Veuve Noire, Œil de Faucon, et même Captain America (mais à ce moment-là Cap et Iron Man étaient déjà ensemble dans l’équipe des Vengeurs). Cet ouvrage sera aussi l’occasion de se rappeler que la première Dynamo Pourpre était plutôt sympa et de voir apparaître des méchants qui feront une belle carrière par la suite, comme le Mandarin ou la Licorne. Vous remarquerez d’ailleurs si vous lisez aussi l’album chroniqué ci-dessous que deux super-vilains apparus dès 63 seront encore présents dans la vie d’Iron Man quinze ans plus tard : j’ai nommé le Melter et Jack Frost (devenu Blizzard). Enfin, notons un « presque crossover » entre X-Men et Vengeurs, respectivement représentés par Archangel et Iron Man, les équipes restant en retrait ; un vrai crossover entre ces deux groupes ayant pour point commun leur date de naissance (septembre 63) aura finalement lieu en janvier 1965 dans X-Men #9. Mais pour l’instant, replongez-vous avec délectation dans cet album génialement classique, et regardez donc ce qui arrive, quand on vend des armes et qu’on se croit le plus malin : et BOUM !
-IRON MAN : LE DIABLE EN BOUTEILLE (Panini Comics, Best of Marvel).
Ahh… c’était le temps béni où John Romita Jr savait dessiner, qui plus est magnifié par la précieuse virtuosité du grand Bob Layton : un must, vraiment ! C’était la fin des années 70, et Iron Man était arrivé à la fin d’un cycle, d’une époque. Les héros sont fatigués. Leur univers était en train de se transformer, presque à leur insu, dans une évolution les menant de plus en plus vers l’âge adulte. Bientôt, Captain Marvel mourrait même d’un cancer. Les menaces se firent plus réalistes, et l’ennemi plus intime. Plus besoin d’aller braver la mort au-delà du cosmos pour se faire rétamer méchamment, armure ou pas. Ici, une suite tragique d’événements personnels, professionnels et super-héroïques vont plonger Tony Stark dans l’alcoolisme, addiction dont il ne se sortira pas définitivement à l’issue de ce volume comme on pourrait le croire, et comme le savent les vieux lecteurs assidus du héros.
L’un des acteurs de cette descente aux enfers du play-boy milliardaire est l’homme d’affaires Justin Hammer, qui a juré la perte de Tony Stark, de Stark International et d’Iron Man : l’homme ne lésine pas ! C’est en ce sens qu’il fomente un piège acculant Iron Man à l’irréparable et poussant Stark au bord du gouffre. Après un combat contre puis aux côtés de Namor pour sauver un vieil homme et son île des griffes de la Roxxon Oil, après quelques souvenirs et une partie de casino qui dégénère grave à cause de trois super-vilains dont Melter et Blizzard (voir plus haut), le drame arrive, soudain et violent, drame dont je ne vous dirai rien pour préserver le suspense. À la tête d’un véritable empire technologique et d’une armée de super-vilains pas piqués des vers, Justin Hammer ressert ses liens autour de la gorge de Stark et, victoire ou non, l’existence de Stark s’en retrouvera irrémédiablement bouleversée.
David Michelinie et Bob Layton ont su concocter des scénarios qui ne soient ni trop psychologiques ni trop superficiels, alliant de manière maline les scènes d’action et d’introspection, les hauts et creux de la vague, envisageant la tragédie par petites touches parcellaires apparaissant çà et là en se structurant et se rejoignant au fur et à mesure du récit pour finalement éclater lorsque tout semble déjà joué. Bob Layton est vraiment la charnière de ces aventures, encreur génial et collaborant à l’intrigue générale avec Michelinie. On se rend tout de suite compte de son talent de dessinateur dans l’épisode Mort programmée où il partage malheureusement l’encrage avec d’autres collaborateurs : aï aïe aïe, que c’est inégal ! Il est bien difficile de rivaliser tout en le côtoyant un dessinateur tel que Layton ! C’est vraiment lui qui a transcendé le dessin de Romita Jr sur Iron Man, cet album en est la preuve flagrante, nous offrant parfois cette précision du trait dans le détail qu’on retrouve chez Perez, Starlin, ou Byrne et Austin.
N’oublions pas le petit trésor qu’auront décelé du premier coup d’œil les vrais fans d’Iron Man dans l’épisode Voyage Retour qui conclue l’histoire avec Namor : de retour au pays, Iron Man se remémore ses origines, et c’est l’occasion pour David Michelinie et Carmine Infantino (dessinateur attitré à ce récit particulier) de rendre directement hommage à la création de Stan Lee et Don Heck en adaptant 11 des 13 pages du premier épisode d’Iron Man pour les intégrer à leur histoire. À quelques exceptions près, le découpage des planches d’origine est repris tel quel, avec juste quelques variantes de cadrages et de dialogues : apparemment, les auteurs ont pris un énorme pied à réaliser la chose ! Et nous à le lire ; je vous conseille d’ailleurs, si vous en avez l’occasion, de lire les deux versions en simultané, les albums disposés l’un à côté de l’autre, c’est assez jouissif (la version d’origine se trouvant évidemment dans l’intégrale que j’ai chroniquée ci-dessus).Voilà, la boucle est bouclée !
-COMIC BOX EXTRA #3 : IRON MAN ET LES HÉROS HIGH TECH.
Ce numéro hors série de Comic Box est le compagnon idéal pour celles et ceux qui veulent en savoir un peu plus sur certains dessous de la création du film et des rééditions tournant autour du vengeur doré, mais aussi sur différents éléments de l’histoire du high tech chez les super-héros. Sur Iron Man, tout d’abord, vous pourrez lire un portrait revenant sur le caractère et l’évolution du héros, un article sur l’adaptation du film en jeu vidéo, et des entretiens assez intéressants avec Bob Layton, Adi Granov et Jon Favreau. Pour les autres facettes du sujet abordé, différents articles et dossiers vous en apprendront plus sur les rapports qu’entretient Batman avec la technologie, les machines qui entrent en guerre contre l’humanité, les pionniers de l’aventure S-F en bande dessinée, le cybersexe, les robots géants, Hulk, Jack Kirby, Frank Miller, Alan Moore, Grant Morrison, les personnages technologiques qui peuplent les comics sans être des robots, les savants fous et Jules Verne. Des interviews de Kenneth Johnson, John Jackson Miller et de l’ultra talentueux Ariel Olivetti complètent le tableau. Enfin, la revue nous propose 23 pages de bande dessinée absolument sublimissimes : Mythos, une aventure des X-Men de Paul Jenkins et Paolo Rivera. Rivera fait partie de ces artistes qui peignent plus qu’ils ne dessinent et qui sont de plus en plus présents dans les comics (Dell’Otto, Bianchi, Olivetti…). Le résultat est une vraie merveille qu’on ne se lasse pas d’admirer, les yeux fous de joie. Car au lieu d’aller vers un certain réalisme – comme tendent à le faire ces peintres modernes par le biais évident de leur technique – Rivera entretient au contraire les flous et les exagérations graphiques qui caractérisent souvent les comics, créant ainsi une drôle d’atmosphère, entre chevalet et cartoon. C’est vraiment magnifique, et rien que pour ça je vous conseille de vous procurer cette revue qui ne vous décevra pas de toute façon. Bravo !
-IRON MAN (Paramount Pictures, Marvel Studios).
Autant vous le dire tout de suite, vu le peu de sympathie que j’éprouve pour le personnage, je ne serais jamais allé voir ce film s’il n’avait été le premier à être réalisé par les studios Marvel et non par une grosse major hollywoodienne habituelle. Certes, le film est co-produit et distribué par la Paramount, mais c’est bien Marvel Studios qui a réalisé le film et assuré une partie de la production. Plus qu’Iron Man, c’était le premier film issu de chez Marvel que j’étais impatient de découvrir, histoire de voir si cette nouvelle donne allait enfin permettre une adaptation cinématographique de comic digne de ce nom après tant de déceptions… En effet, vous l’aurez remarqué, les studios californiens (sous le prétexte fallacieux de toucher le public le plus large possible) ont souvent dénaturé l’esprit et la mythologie des comics en les détournant ou transformant de manière incompréhensible afin de niveler tout ce petit super-monde par le bas. Car quoi ? Qu’est-ce que ça change, bon dieu de bon dieu, que Peter Parker se fasse piquer par une bébête dans un musée plutôt que dans un labo d’université ? Un changement très intelligent et plein de bon sens, qui apporte énormément pour le succès du film, houlala, mais oui, Madame… Et Banner qui devient Hulk à cause de son père au lieu d’une explosion radioactive, et Daredevil qui se trimballe en latex brillant là où il devrait se faufiler à travers les ombres de la ville, et, et, et… Le résultat de ces choix à la con se voit malheureusement à l’écran : c’est souvent pitoyable, et tout le potentiel de départ se retrouve gâché en vidéo clip géant pour ados à maintenir dans une sous-culture spéculative. Car que dire des films abominables qui ont été faits sur Daredevil, Ghost Rider (mon dieu), les Quatre Fantastiques ou Elektra ? Affligeants ils sont. Un peu au-dessus du panier, on trouve les films sur Spider-Man et Hulk, qui malgré quelques écueils de taille s’en sortent pas trop mal. Les seules vraies réussites me semblent être les adaptations cinématographiques des X-Men qui ont su allier spectacle et respect de l’œuvre (je ne mentionne sciemment que les héros Marvel, ceux de chez DC répondant à d’autres logiques, d’autres chronologies).
Donc… tout l’enjeu d’Iron Man tient dans cette volonté de se démarquer de ce qui a déjà été réalisé pour revenir à une intention plus en adéquation avec la réalité des comics. Comme le mentionne Fabrice Sapolsky dans son édito du Comic Box hors série dont je viens de vous parler, Jon Favreau, le réalisateur du film, a déclaré qu’avec ce premier film sortant des studios Marvel s’ouvre une ère où « il ne s’agit plus d’adapter une licence comics au cinéma mais de transposer le plus fidèlement possible pour respecter les auteurs et les fans ». Nous verrons si cette déclaration qui fait plaisir à entendre se verra confirmée avec le prochain Hulk qui va bientôt débarquer sur les écrans… En attendant, il faut bien avouer que l’adaptation d’Iron Man pour le cinéma est une excellente surprise, et qu’effectivement ce film semble bien mieux respecter la nature et l’histoire des personnages que précédemment ! Certes, il y a toujours les transpositions à notre époque contemporaine afin de parler au plus grand nombre (Jarvis est un robot, Iron Man ne naît plus pendant la guerre du Vietnam mais dans les troubles violents d’un pays du Moyen-Orient, et internet est passé par là), mais disons que d’une manière générale le film se tient en reprenant les principaux éléments et protagonistes qui ont forgé l’univers du super-héros en armure. La manière dont Stark devient Iron Man, la présence de Pepper Potts et de Rhodey, la voiture mythique des parents, l’univers de Stark, le concept Extremis, Iron Monger, tout ceci est assez fidèlement retranscrit à l’écran. Reste la personnalité de Tony Stark, et là ça devient intéressant…
En effet, on ne peut s’empêcher de penser que si les studios Marvel ont désormais le contrôle sur la nature de leurs films, ils ont aussi le pouvoir d’infléchir l’image d’un personnage en réaction à ce qui se passe dans les pages des comics. Et c’est bien ce qui se passe ici. Ce n’est pas un reproche (quoique ?), mais une constatation. À force d’avoir poussé Tony Stark dans les derniers retranchements de sa personnalité contrastée lors de Civil War et de The Initiative, Iron Man était devenu pour beaucoup un vrai salopard n’hésitant pas à traquer et incarcérer ses collègues au nom d’un gouvernement, quelles que soient les intentions de ce dernier à partir du moment où il s’agit du gouvernement américain, en profitant même au passage pour se renflouer économiquement. Toucher du fric et monter en grade en dénonçant ses amis alors que ceux-ci n’ont rien fait de plus que la veille, au nom d’une politique qu’il n’y aurait pas à juger même si elle dérape, voilà un bel état d’esprit, vraiment ! Quel héroïsme charmant ! Voilà pourquoi le Iron Man des comics, adepte de l’ordre, des armes et du tout sécuritaire, avait bien besoin de redorer son blason afin de ne pas enrayer définitivement sa popularité auprès de bon nombre de lecteurs ! Eh bien c’est chose faite avec le film, puisque Tony Stark y devient un marchand d’armes pris par des remords humanistes si forts qu’il décide de devenir celui par qui arrive la démilitarisation après avoir vendu tant d’armes de par le monde… Bravo ! Tout ça est très positif et Stark est finalement un chic type ! Bah oui mais non. Stark n’a jamais été comme ça. Dans les moments les plus pathétiques de sa carrière comme dans les instants de gloire, Môssieur l’arriviste a toujours défendu ses intérêts, et rien que ses intérêts, selon une éthique et une morale assez égocentriques. Bref. L’écart entre le Stark de Marvel Publishing et Marvel Studios est assez conséquent pour qu’il devienne le seul véritable iatus du film, iatus passionnant au demeurant, et de toute façon bien plus acceptable que les horreurs qui ont été commises précédemment sur d’autres super-héros. Joe Quesada manie tout ceci avec une apparente sérénité, mais l’entreprise de réhabilitation d’Iron Man, passant aussi par de nouveaux titres aux États-Unis, doit quand même lui donner quelques sueurs froides !
Quant au film lui-même, je vous le disais, il est plutôt réussi et l’on passe un excellent moment de cinéma. La réalisation, le montage, les effets spéciaux et les acteurs sont parfaits, c’est intense, drôle, malin, et l’on aurait vraiment tort de bouder son plaisir. Downey Jr est impeccable et tient le film du début à la fin, incarnant un Tony Stark plus vrai que nature, Gwyneth Paltrow (jouant avec beaucoup d’humilité et de justesse le rôle de Pepper Potts) y est d’une beauté si invraisemblable que mes yeux en sont restés collés à l’écran même après la fin de la séance, et Jeff Bridges est tout simplement épatant. J’ai lu dans pas mal de critiques que le film souffrait néanmoins d’un problème de timing, prenant tellement le temps de présenter le personnage, son origine et son univers que les scènes spectaculaires et les combats s’en retrouvaient coincés en fin de film et traités de manière un peu rapide, comme si le film n’était finalement qu’une introduction au personnage, et que les choses sérieuses commenceront vraiment dans le prochain film. Oui, ce n’est pas faux… Mais c’est aussi une vision symptomatique d’une époque qui ne supporte plus la lenteur et qui associe de manière primaire action et contenu. Oui, le film est une introduction au personnage. Non, il n’y a pas beaucoup de combats. Et alors ?
Et puisque nous en sommes à nos frères les contemporains, une petite anecdote sur ce phénomène de demande d’action, de films ingurgités comme des produits (et qui font parfois moins de bruits que les pochettes plastiques de friandises triturées sans aucun complexe durant toute la projection par des spectateurs se remplissant le ventre car incapables de se remplir la tête). Aujourd’hui l’art est devenu un bien de consommation qu’on achète pour se divertir, qu’on prend et qu’on jette, sans finalement le prendre réellement en considération, glissement terriblement progressif de la culture vers le seul entertainment décérébrant des masses à contenir. Tout ça pour vous dire qu’à la fin du film, la dernière image à peine disparue de l’écran, les spectateurs ont commencé à se lever et à partir. Tout au long du générique de fin, la salle s’est rapidement vidée de tout son public, si bien que lorsque les lumières se sont rallumées j’étais le seul occupant du lieu. Le hic, chers consommateurs de fast culture, c’est qu’après le générique, le réalisateur a inséré une scène courte mais sans équivoque annonçant ce qu’allait être le contexte du prochain film. Si ces chers « cinéphiles » étaient restés jusqu’au bout, ils auraient pu découvrir que dès le prochain opus il sera question de l’Initiative, et qu’ainsi Marvel entend bien exploiter le contexte actuel qui sévit en ses pages. Ils auraient pu aussi constater avec surprise que le Nick Fury qui apparaît dans cette scène finale est noir et chauve et non blanc et grisonnant, ce qui implique que ce Fury est bien celui de l’univers Ultimate et non de l’univers Marvel classique : curieux mélange au sein de cette volonté de coller au sujet, non ? Quant à ceux qui partent avant le retour des lumières dans les salles obscures après avoir bâfré sans vergogne, je ne les salue pas.
Cecil McKinley