COMIC BOOK HEBDO n°25 (10/05/08)

Cette semaine, une belle Amazone et une mallette de tueur…

 


Afin d’admirer les couvertures des albums chroniqués cette semaine, je vous invite à cliquer comme des fous sur le petit appareil photo en haut à droite de cet article.



 


 


-100 BULLETS vol.5 : LE BLUES DU PRINCE ROUGE (Panini Comics, 100% Vertigo).


C’est toujours avec un très grand plaisir qu’on découvre chaque nouveau volume de 100 Bullets. Parce que cette série est tout sauf un polar de plus, parce que sa singularité est fascinante et son concept envoûtant, et qu’Azzarello et Risso maîtrisent leur œuvre avec une évidente et remarquable acuité, offrant aux amateurs de bande dessinée ce qui se fait de mieux en termes de narration, de découpage, d’atmosphère, de justesse de ton et d’intention, sans parler du talent fou d’Eduardo Risso, un formidable dessinateur. Le concept de 100 Bullets (l’agent Graves, appartenant à l’organisation secrète dénommée « Trust », remet à certaines personnes une mallette contenant un flingue et 100 balles non identifiables, ainsi que la preuve irréfutable qu’untel est responsable de leurs malheurs, le tout permettant donc de se venger sans qu’il y ait aucune trace enregistrable de cette vengeance) aurait très vite pu tomber dans une série de règlements de compte donnant lieu à des violences très à la mode et sans véritable fond. Mais il n’en est rien. Car Azzarello a su insuffler à sa création une humanité et un sens de la situation, des ressentis, de la psychologie et de l’affect des personnages qui résonnent en nous avec une justesse confondante. Oui, je sais, ça fait deux fois en quelques phrases que j’utilise le mot « justesse », mais je crois que s’il y a un terme qui puisse définir au mieux cette série, c’est bien la justesse (ah mince, ça fait trois fois, où est mon dictionnaire des synonymes ?).


 


Ce cinquième volume se penche plus sur les rouages internes et les conflits d’intérêts qui font rage au sein du Trust que sur le « jeu » de la mallette de l’agent Graves, à part l’histoire La Noyade du Petit Poisson qui nous plonge dans le quotidien d’un camé complètement paumé et en fin de parcours. Cet épisode en deux parties, prenant et bouleversant comme la plupart des récits humains qui ponctuent avec force l’ensemble de l’œuvre, montre sans concession la déchéance qui peut frapper toute vie lorsque les choses se goupillent mal, tout simplement, parce que c’est comme ça, que l’existence est ainsi, échappant à tout schéma ou destinée mais revenant en écho à des « clichés » auquel chacun peut être confronté malgré lui. Les notions de choix ou de libre-arbitre sont d’ailleurs le fondement même de la série, ainsi que le visage que peut prendre la vie en conséquence de ses actes. Jack se shoote salement à l’héro, et son quotidien se partage entre piaule dégueulasse, seringues et garrots, désespoir et job de service de sécurité dans des concerts minables. Et puis il y a son ex, son frère, sa mère… tous ces proches qui continuent de vivre à côté de lui, ne sachant que faire de ce junkie en constante dégringolade… Et puis enfin il y a Mikey, son compagnon de défonce, dans toute l’ambiguïté de son rôle d’ami et de chauffeur de petite cuillère… Un récit très fort dont la violence morale sous-jacente nous touche de plein fouet.


Mais revenons au Trust et à ses transactions. L’album s’ouvre sur une rencontre officieuse entre l’agent Shepherd et Benito Medici, le fils du big boss du Trust appelé à devenir le prochain chef de l’organisation. Le sujet de leurs préoccupations est l’agent Graves et ses agissements qui ne plaisent pas à tout le monde, loin s’en faut. Cette introduction est structurée par une narration parallèle remarquablement amenée où la violence des castes renvoie à des violences plus banales, quotidiennes, mais tout aussi insupportables, là, devant nous, sur le banc d’un parc ou au détour d’une rue. Quant au récit Le Blues du Prince Rouge en lui-même, il nous permet de comprendre un peu mieux les intentions des membres du Trust, et la manière dont ceux-ci envisagent leur fonctionnement et leur hiérarchie. Les treize familles qui constituent l’organisation vont se réunir pour mettre certaines choses au point sur le rôle des Minutemen, histoire de faire le ménage définitif et d’assurer leur pérennité. Évidemment, dans cette optique, l’agent Graves reste un problème épineux. La belle et troublante Megan, Augustus et Benito Medici, Daniel Peres, l’agent Shepherd, autant de personnages impliqués dont nous suivons ici les faits et gestes avant la grande réunion… En parallèle, Benito doit gérer une sale histoire de jeu qui va dégénérer, par la force du désespoir d’un homme poussé à bout par les saloperies de la vie.


Quelles que soient les histoires qui structurent cet album, on ne peut qu’être admiratif face aux qualités narratives et esthétiques de cette œuvre. Et encore une fois, l’art du noir de Risso transcende littéralement le récit.


 


100 Bullets a déjà reçu plusieurs Awards : l’Eisner Award de la meilleure histoire en 2001, du meilleur dessinateur en 2002, de la meilleure série continue en 2002 et 2004, et l’Harvey Award du meilleur scénariste et de la meilleure série en 2002, et du meilleur dessinateur en 2002 et 2003. Pas mal ! Commencée en 1999, cette série se conclura au 100e numéro (ce sera en 2009), et sera éditée aux Etats-Unis en 13 TPB. 100, 13 : deux nombres présents dans la série, deux nombres fondamentaux qui font que la forme rejoint le fond, et qui en disent long sur le talent d’Azzarello pour créer un tout, un univers à la cohérence parfaite. Le sixième volume en version française de 100 Bullets sortira vraisemblablement à la rentrée 2008 : aurons-nous la patience de tenir jusque-là ? Je ne le pense pas.


 


 


-WONDER WOMAN vol.1 : QUI EST WONDER WOMAN ? (Panini Comics, DC Heroes).


Princesse Diana, super-héroïne, ou criminelle en puissance ? Qui est Wonder Woman ? Il y a encore quelque temps, la question ne se serait même pas posée : Wonder Woman est une belle Amazone justicière, point. Mais c’était sans compter sur l’épisode Maxwell Lord, un personnage si dangereux pour l’humanité que Wonder Woman l’abattit de sang froid alors que celui-ci était en train de prendre possession de l’esprit de Superman. Légitime défense, acte de bravoure salvateur ? Que nenni : pour la Terre entière (qui a assisté au meurtre en direct « grâce » à un vilain pas beau), l’Amazone est devenue une tueuse aux yeux du monde. Pourtant, se débarrasser des méchants est le job principal de tout super-héros, mais apparemment cela demande de mettre un minimum de forme et un maximum de respect de la vie. Le syndrome de l’inspecteur Harry s’est donc mis à planer sur le cas Wonder Woman, et la belle Diana ne trouva comme solution que de s’éclipser de la vie publique pendant un an, la fameuse année post-Infinite Crisis où Superman perdit ses pouvoirs et où Batman pédala dans la semoule. Mais au fond, la première personne à se demander qui est Wonder Woman, eh bien c’est Wonder Woman elle-même, et une année de réflexion, ce n’est pas de trop en pareil cas…Le présent album nous convie au grand retour de l’Amazone au lasso dans une nouvelle série qui a commencé en 2007, avec Allan Heinberg au scénario et Terry Dodson au dessin.


 


Pour ce grand retour, Wonder Woman a fort à faire. En effet, la terrible Circé a décidé de passer à l’attaque, accompagnée de Cheetah, Giganta et Dr Psycho, en s’en prenant à Donna Troy (la remplaçante de Diana pendant sa retraite momentanée), mais aussi à Wonder Girl : c’est toute la petite famille des Wonder Women qui est en danger. Pour l’aider à combattre cette effroyable menace, Diana devra compter sur le caractériel Némésis, mais aussi sur Hercule, et là c’est une autre paire de manche, car les rapports entre les Amazones et le demi-dieu sont plutôt… tendues ! Finalement, c’est dans les actes et non les justifications que Wonder Woman va trouver la réponse à son interrogation existentielle, et que le monde va reprendre contact avec sa réalité. Sans pour autant dévoiler les ressorts de l’histoire, on ne peut néanmoins passer sous silence le rôle primordial que joue Batman en amont de ces événements. Car Diana n’est pas seule, et les piliers du monde de DC ne l’ont pas oubliée, bien au contraire.


 


Dans cet album, la part belle est donnée à l’action, bien plus qu’à la psychologie, finalement ; mais ce n’est pas pour ça que la personnalité de Diana est passée à la trappe : disons qu’Heinberg a envisagé le récit d’une manière plus affective qu’introspective (comment lui en vouloir quand on aborde une telle créature ?). Le résultat est plutôt réussi, et l’on passe un excellent moment en lisant ces nouvelles aventures, grâce aussi aux dessins plantureux de Dodson – assez proches du style de Cho – qui a pris apparemment beaucoup de plaisir à dessiner la belle mais aussi les nombreuses héroïnes et vilaines qui traversent le récit. N’oublions pas de parler du dernier épisode de l’album, issu du premier annual de la nouvelle série, qui nous propose une sorte d’historique succinct de la super-héroïne sous le crayon de l’impeccable Gary Frank, ce dessinateur de tout premier ordre qu’on rencontre trop rarement au gré des publications (son travail sur Gen13 était vraiment fabuleux). Un album indispensable pour tout fan de WW.


 


 


 


Cecil McKinley

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