Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...COMIC BOOK HEBDO n°22 (19/04/2008).
Cette semaine, apprenons à bricoler avec Mike Mignola…
Afin d’admirer les deux premières planches de l’album chroniqué cette semaine, n’hésitez pas à cliquer sur le petit appareil photo en haut à droite de cet article.
-L’HOMME À LA TÊTE DE VIS et autres histoires déjantées (Éditions Delcourt, collection Contrebande).
Voilà un album qui fait plaisir à voir, à lire, à regarder, à relire. Un objet de papier tout droit sorti du Cabinet des Curiosités. Une bande dessinée qui semble nous offrir quelque chose qui ne s’était plus manifesté depuis bien longtemps. Trop longtemps. Une œuvre aussi libre que talentueuse, très spéciale, à l’esthétique fascinante, proposant des récits courts comme autant d’électrons libres mués par un esprit commun, explorant les facettes créatrices d’un même cerveau avec une malice qui n’égale que son originalité. Les fragments d’une même folie se succèdent et se répondent dans un fil rouge inconscient flirtant avec Ambrose Bierce, Edgar Poe et les séries B de S-F des sixties. Entre humour et angoisse, absurde et étrange, parodie et hommage, Mignola laisse libre cours à son inspiration dans des nouvelles graphiques pétries de toute la mythologie qui a forgé sa personnalité artistique.
Ouvrir un album de Mignola, c’est toujours une expérience visuelle forte, menant à une irrémédiable fascination pour la simplicité de la ligne, extraordinairement belle et expressive, et l’utilisation gigantesque du noir, couvrant la majeure partie de l’espace. L’art de Mignola est l’art de l’évidence. Tout semble être impeccablement structuré, placé exactement à l’endroit qu’il faut, presque idéalement. En noir et blanc ou en couleurs, le talent de cet artiste très particulier éclate ici dans des nuances que rendent possibles les sujets atypiques mais complémentaires des six histoires qui composent ce recueil (petite exception : Le cercueil du Docteur Gosburo dont les dessins sont signés Ryan Sook, sur un scénario de Mike Mignola, bien sûr).
« En feuilletant ces histoires, la première chose qui me vient en tête, c’est ce constat d’avoir réalisé si peu d’histoires hors de l’univers d’Hellboy en quinze ans. Les histoires de ce recueil ont été réalisées à différentes époques de ma carrière et elles symbolisent pour moi des pauses créatives qui m’ont donné l’occasion de faire autre chose que du Hellboy. Le plus surprenant, c’est que je réalise à quel point je suis investi dans Hellboy depuis tant d’années. Avant lui, je ne m’étais jamais concentré sur un projet pendant plus d’un an. Mais maintenant que j’ai passé le relais à Duncan Fegredo sur la partie graphique de la série, je meurs d’impatience de revenir à ce genre d’histoires. »
On voit bien par ce témoignage que la nature même de ces histoires courtes est tout sauf anecdotique pour Mignola. Ce ne sont pas des petites œuvres mineures faites à la va-vite pour s’amuser, mais bien des espaces de création artistique totalement libres, une dimension qui s’ouvre à l’artiste pour expérimenter et exprimer ce qu’il n’a plus le temps d’articuler en lui mais qui s’avère primordial pour l’évolution de son art. Comme autant de petits laboratoires envisagés en bijoux vénéneux et jouissifs, ces histoires mettent à jour l’essence même de l’art de Mignola. Certains ne s’y sont pas trompé, car les récits L’Homme à la Tête de Vis et Le Magicien et le Serpent ont respectivement reçu l’Eisner Award de la « Meilleure publication humoristique » en 2002 et l’Eisner Award de la « Meilleure histoire courte » en 2003.
L’Homme à la Tête de Vis est en soi un récit complètement décalé, oscillant constamment entre Jules Verne, Indiana Jones, Lovecraft, Topor ou Roger Corman. Oui, comme vous dites, sacré mélange ! Cette histoire est un pur ovni, un truc de fou, drôle et surprenant, puissamment parodique tout en réussissant à garder intact tout le sérieux du délire sans en enlever une once de plaisir. On navigue un peu à vue, se demandant parfois si on a bien lu ce qu’on a lu tellement c’est déroutant, ne sachant jamais quelle nouvelle incongruité va paraître au détour d’une page. Bref, c’est un vrai bonheur à lire ! Il est vraiment agréable de voir combien Mignola s’amuse et se passionne dans la réalisation de cette histoire, ce qui donne quelque chose de léger là où tant s’appesantissent dans un sérieux castrateur, et quelque chose de profond là où d’autres restent en surface de leur talent. Oui, on peut encore aujourd’hui délirer et faire du grand art, la preuve. Le final est une véritable merveille de cruauté, de drôlerie et d’intelligence. Les couleurs de Dave Stewart, magnifiques, ne gâchent rien au spectacle, au contraire, elles le subliment.
Dans les autres histoires déjantées, vous rencontrerez des personnages inquiétants, des créatures incroyables, des histoires à la fois folles et « traditionnelles » où se bousculent spiritisme, the Mask, des squelettes soldats, un monstre issu d’un navet (oui oui, le légume), un pouce géant et pas content (oui oui, le doigt de la main), un diable suffisant en haut d’un haricot géant, un reptile et un vieux mage. Le Magicien et le Serpent, qui clôt l’ouvrage, est un récit très court qui a une place très spéciale dans l’œuvre et le cœur de Mignola, puisqu’il a été « scénarisé » par Katie, sa fille alors âgée de 7 ans, et que cette histoire a reçu un Eisner Award comme je vous le disais plus haut.
Pour compléter le plaisir de cette lecture, les couvertures originales (extraordinaires !) sont reproduites entre les histoires, et c’est tout simplement magnifique.
Cecil McKinley