Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : “ Borderline T.1 : Les mots de la nuit ” par Nathalie Berr et Alexis Robin, “ Hasta la victoria ! T.3 : Dernier été à La Havane ” par Stefano Casini, et “ Tigres de papier T.1 : It-Alien ” par Rubén Sosa.
Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir les couvertures des albums chroniqués.
“ Borderline T.1 : Les mots de la nuit ” par Nathalie Berr et Alexis Robin
Editions Bamboo (12,90 Euros)
Depuis la parution de son premier album («Si j’ai bonne mémoire» aux Humanoïdes associés), nous avions dit et écrit qu’Alexis Robin était un bon ! Il nous a confirmé son talent d’auteur complet avec «Nathaniel» (un excellent thriller fantastique paru chez Bamboo qui, hélas, n’a pas le succès qu’il méritait) et voilà qu’il nous remet ça, en tant que scénariste, avec cette histoire d’un romancier en panne d’inspiration qui finit par écrire toute la nuit à la suite d’une soirée arrosée et enfumée : comme à la relecture, il s’aperçoit que ses griffonnages, même s’ils sont d’une noirceur inhabituelle, sont largement à la hauteur de ses premières publications, il replonge dans les affres du plaisir les nuits suivantes, ceci afin de terminer ce livre racontant les infamies d’un psychopathe… Tout irait donc pour le mieux, mais c’est quand le bouquin sort que les ennuis vont commencer ! Sa narration, toujours aussi cinématographique et percutante, a trouvé en Nathalie Berr (illustratrice déjà remarquée sur les 5 albums de «La maison Dieu» scénarisée par Rodolphe) une parfaite partenaire pour son interprétation graphique, aussi élégante qu’angoissante. Insolite, mais réaliste !
“ Hasta la victoria ! T.3 : Dernier été à La Havane ” par Stefano Casini
Editions Mosquito (13 Euros)
Alors que le dessinateur italien Stefano Casini est assez populaire de l’autre côté des Alpes grâce aux nombreux épisodes de «Nathan Never» (une série de science-fiction, éditée par Bonelli) qu’il a réalisé, c’est grâce aux éditions Mosquito (spécialisés dans la publication et la mise en valeur, en France, des auteurs de BD italiens) que nous pouvons découvrir une autre facette de ce professionnel qui produit plus de 150 pages par an. Ce n’est que depuis 2006 que notre auteur transalpin publie, chez cet éditeur francophone trop modeste, une ambitieuse saga inédite dans son pays d’origine, prévue en quatre volets, sur l’histoire de la révolution Cubaine. Nous sommes à la fin des années 1950 et la petite île d’Amérique du Sud, devenue une succursale des USA en se spécialisant dans le sexe et le jeu, est au bord de la rupture : les services secrets du dictateur Batista, qui se sont acoquinés à des mafiosi vendus aux Américains, essayant, par les moyens les plus ignobles, de contrer la révolution en cours. Leur chef décide même de manipuler un fils de famille dévoyé, dont le frère a rejoint la guérilla, pour faire assassiner Fidel Castro… Ce troisième épisode, toujours aussi bien documenté, est de mieux en mieux narré, le trait acéré et efficace de Casini collant parfaitement à cette solide intrigue romanesque qui repose sur une vérité historique peu connue : à découvrir !
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“ Tigres de papier T.1 : It-Alien ” par Rubén Sosa
Editions Tartamudo (12 Euros)
L’argentin Ruben Sosa était pratiquement un inconnu en France (seules quelques histoires complètes avaient eu la faveur de Georges Wolinski et avaient été publiées dans Charlie Mensuel ou dans BD Hebdo, entre 1978 et 1980) avant que les éditions Tartamudo, dirigées par l’infatigable José Jover, ne mettent en avant le travail de cet auteur-illustrateur qui a fait ses classes, à la fin des années 1960, dans son pays d’origine, aux côtés de Pratt, Breccia, Del Castillo, Roume, Solano López ou Munoz. Obligé de fuir la junte militaire au pouvoir (en 1976), il s’est établi à Brescia, en Italie, rejoignant son compatriote exilé José Munoz, et créant une école de graphisme, d’illustration et de bande dessinée, d’où sont issus quelques ténors actuels de la nouvelle BD italienne (dont Andréa Mutti)… En 2005, il a pu enfin retourner et se réinstaller en Argentine, avant de disparaître discrètement, fin 2007, à quelques semaines de la parution de son premier album en langue française. On retrouve, dans cet opus, tout l’engagement de l’homme de combat et de culture qu’il était : son trait baroque et enlevé se prêtant fort bien à la mise en images de ce solide scénario de facture classique, légèrement autobiographique… La violence froide et implacable de son passé, par l’intermédiaire de deux tueurs fous, va rattraper un Argentin cultivé qui a fui la dictature pour se réfugier en Italie. Ce polar fantastique, parsemé de touches d’humour noir et d’érotisme, comble une lacune éditoriale que l’on ne s’explique pas vraiment, tellement le talent graphique et narratif de Ruben Sosa (sans parler de ses couleurs étonnantes) est évident au premier coup d’oeil !
Gilles RATIER