Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Frontline Combat » T1, « Woodwork », et exposition Kevin O’Neill
J’aimerais évidemment dédier cet article à l’immense Jerry Robinson qui vient de nous quitter. Avec lui, c’est un monument des comics qui disparaît… Malgré cette triste nouvelle, penchons-nous sur le premier beau recueil de la revue d’Harvey Kurtzman « Frontline Combat » chez Akileos, le catalogue toujours disponible et indispensable de l’exposition consacrée à Wallace Wood l’année dernière à Palma, et l’exposition de Kevin O’Neill qui ouvrira ses portes à la Galerie 9e Art vendredi prochain.
« Frontline Combat » T1 par Harvey Kurtzman & co
Petit à petit, les éditions Akileos installent une facette de leur ligne éditoriale reprenant certains des grands classiques populaires américains des années 50-60. C’est une excellente nouvelle, car c’est vrai que les pépites de cette époque sont nombreuses et qu’elles sont encore bien difficilement représentées en France… Si vous aviez aimé l’édition française du recueil « Blazing Combat » qu’Akileos a sortie l’année dernière, alors vous adorerez cette édition de « Frontline Combat », tout autant soignée (la couverture reprenant un dessin de John Severin est tout simplement sublime). Lorsqu’il créa Blazing Combat pour Warren au milieu des années 60, Archie Goodwin n’avait pas oublié combien il avait été fan de « Frontline Combat » au début des années 50. Le grand Harvey Kurtzman avait créé cette fameuse revue en 1951 pour les EC Comics de William Gaines, un an avant l’apparition de Mad. Et l’on retrouve bien dans Frontline Combat ceux qui allaient devenir les fers de lance de la revue satirique : Harvey Kurtzman, bien sûr, mais aussi Wallace Wood, Jack Davis, ou Bill Elder… Archie Goodwin, quant à lui, embauchera certains dessinateurs de Frontline Combat dans Blazing Combat, comme John Severin ou Alex Toth, et reprendra à son compte l’esprit de contraste que Kurtzman avait insufflé dans ses récits de guerre, entre action et antimilitarisme… On peut donc dire que Frontline Combat fut une revue importante quant à la bande dessinée de guerre, ouvrant la voie à la contestation au lendemain de la seconde guerre mondiale. Dès lors, on comprendra bien l’importance de cette édition VF !
On peut même dire que Blazing Combat élargira le concept de Kurtzman en explorant des époques très éloignées de manière régulière. Dans Frontline Combat, même si Kurtzman se penche parfois sur l’Antiquité, la guerre de Sécession ou la première guerre mondiale, l’essentiel de ses récits plonge dans l’histoire contemporaine, particulièrement la seconde guerre mondiale et la guerre de Corée. Pour bien comprendre l’impact et la force de ces récits, il faut se replonger dans le contexte de l’époque car, damned !, s’il ne faisait pas bon de critiquer la seconde guerre mondiale aussi peu de temps après la fin de ce conflit, c’était encore plus gonflé de porter un regard acide sur un conflit en cours impliquant aussi fortement les USA ; en effet, lorsque paraissent ces histoires noires, la guerre de Corée se déroulait depuis un an… Dès lors, le travail de Kurtzman prend une toute autre dimension, sur la trace d’Albert Londres et préfigurant les révolutions de la jeunesse à venir.
Il y a tout le talent de mise en scène de Kurtzman, dans Frontline Combat, avec ses recettes cinématographiques qu’on retrouvera dans Mad : la première planche où, surplombant les premières cases narratives, une case gigantesque accueille le titre à grands coups d’éclats typographiques au point d’exclamation (le titre étant le dernier mot des quelques lignes introductives). Et même si le propos est bien plus dramatique que dans Mad, on y retrouve les mêmes qualités esthétiques et narratives des auteurs. On appréciera tout particulièrement le très beau travail de Wood et la noirceur de Davis, mais aussi tout le talent de John Severin qui nous offre des pages souvent magnifiques… Le seul épisode dessiné par le grand Alex Toth (« Thunderjet ! ») est une pure merveille de graphisme et de mise en pages, frôlant parfois l’abstraction et agençant les masses et les contrastes dans une composition globale remarquable ; c’est très très beau, vraiment. Le premier chapitre de la bataille d’Iwo Jima, dessiné par Wood, est une perle, Kurtzman demandant à son dessinateur de s’éloigner de la narration guerrière pour aborder la composition de ses planches dans une analyse de la formation de l’île, combat géologique de masses en fusion. Kurtzman, quant à lui, dessine lui-même quelques histoires, dans un style étonnamment schématique, brut et souple, caustique mais économe, semblant ne plus vouloir exprimer que l’essentiel des formes et des mouvements. On attend le prochain volume de « Frontline Combat » avec impatience, et peut-être avec encore plus d’impatience le premier volume très prometteur de « Crime Suspenstories », une autre série emblématique d’EC Comics qu’Akileos sortira en février 2012 : vivement !
Catalogue d’exposition « Woodwork »
Je profite de la sortie de « Frontline Combat » T1 pour vous rappeler l’existence du sublime catalogue de l’exposition Wallace Wood qui a eu lieu l’année dernière à Palma (Majorque). Cet ouvrage n’est pas facile à trouver, puisque vous ne pourrez vous le procurer que par son diffuseur français, l’excellentissime et historique librairie Éditions Déesse (pour le commander, vous pouvez écrire à contact@editions-deesse.com, ou rendez-vous à la librairie, 8 rue Cochin, 75005 Paris). Ce n’est pas un hasard si Déesse diffuse cet ouvrage, puisque c’est son charmant big boss, Frédéric Manzano qui fut le commissaire de l’exposition avec Florentino Flórez : bravo, Fred !
Cet énorme et luxueux catalogue (grand format, 350 pages) est l’un des plus beaux ouvrages parus sur Wallace Wood, sûrement l’un des plus complets en termes d’éventail de genres et de styles abordés par Wood tout au long de sa carrière, et l’un des plus respectueux dans la reproduction de ses dessins, proposant de très nombreux scans d’originaux de très bonne qualité qui rendent vraiment justice à l’art du maître. C’est souvent somptueux… Des merveilles où encres et trames sont si bien restituées que le plaisir que l’on éprouve face à elles confine à la jouissance fascinée, même lorsqu’on connaît bien le travail de Wood. Certaines histoires courtes, scannées d’après les originaux, sont même reprises intégralement, comme le mythique « My World », ce qui change vraiment leur lecture.
Heureusement, si vous ne lisez ni l’espagnol ni le catalan, le texte est aussi proposé en anglais, ce qui est tout sauf superflu, car ce catalogue est bien plus qu’un simple catalogue : c’est aussi un beau portrait d’homme et d’artiste, parfois écorché, toujours lucide, et que ce soit par les longs textes où les légendes, c’est Wood en son entier qu’on nous présente, avec amour et passion. La qualité et le sérieux des textes font de ce catalogue richement illustré de dessins rares ou inédits, de photos superbes et de planches sublimes un véritable monument élevé à la mémoire de l’artiste. Un must.
Exposition Kevin O’Neill à la Galerie 9e Art : « La Ligue des gentlemen extraordinaires : Century »
Vendredi 16 décembre prochain s’ouvrira à la Galerie 9e Art l’exposition consacrée au travail de Kevin O’Neill sur le cycle « Century » de la série « La Ligue des gentlemen extraordinaires » d’Alan Moore. Déjà deux volumes parus chez Delcourt pour cette suite étonnante de la série originelle, situés en 1910 puis 1969. Le grand O’Neill ayant profité de ces deux époques distinctes pour les envisager selon des graphismes différents, nul doute que cette exposition sera passionnante, nous donnant à voir de près l’éventail des possibilités stylistes de ce dessinateur ô combien talentueux. Et Bernard Mahé – le grand Manitou de la galerie – a encore une fois bien préparé les choses, puisque Kevin O’Neill sera présent, en chair et en os, lors du vernissage ! Une exposition que je vous conseille vivement d’aller voir, évidemment…
Cecil McKINLEY
« Frontline Combat » T1 par Harvey Kurtzman & co Éditions Akileos (26,00€) – ISBN : 978-2-3557-4095-4
Catalogue d’exposition « Woodwork » édité par Casal Solleric (50,00€) – ISBN : 978-84-95267-11-5
Exposition Kevin O’Neill, « La Ligue des gentlemen extraordinaires : Century » : Galerie 9e Art, 4 rue Crétet, 75009 Paris. Du mardi au samedi, 15h00-19h00 (M° Blanche). Exposition du 16 au 31 décembre, vernissage vendredi 16 décembre à partir de 18h00 en présence de l’auteur.
Est-ce que l’album « FrontlineCombat » tome 1 présente l’intégralité des RC de ce comic-book dans l’ordre chronologique, couvertures comprises? Si oui, de quel n° à quel n°? Du 1 au 5?
Bonjour Jacques,
Ce tome 1 ne reprend pas les couvertures et propose des histoires parues dans les dix premiers # de « Frontline Combat » (du n° 1, juillet-août 1951 au n° 10, janvier-février 1953), présentées dans l’ordre chronologique de parution. Il faudrait vérifier qu’elles y sont toutes. En principe, chaque numéro de « Frontline Combat » comportait quatre histoires complètes. Ce premier volume ne regroupe « que » trente-deux récits. Quels seraient éventuellement les récits manquants ? Je n’ai pas pu vérifier sur pièce, n’ayant en v.o. qu’un simple recueil, en fac-similé, des #6-12. On notera également qu’une relecture supplémentaire aurait permis de corriger, dans le sommaire, une petite erreur d’affectation (comme le note Cecil McKinley, l’histoire « Thunder Jet » est bien dessinée par Alex Toth — l’un des trois récits d’aviation que dessina cet auteur pour ce comic-book —, entraperçu naguère dans « Les Meilleures histoires de guerre : Corée », un volume de la collection « Xanadu « publié aux Humanoïdes Associés, en 1984). Les nouvelles traductions, la maquette claire de ce premier volume méritent en tout cas d’être soulignées. Le livre d’Akileos mérite de figurer dans toute bonne bibliothèque !
Bien amicalement,
Patrick Gaumer
Rectification :
Après une nouvelle vérification, le beau livre d’Akileos comporte l’ensemble des récits complets de « Frontline Combat », # 1 à 8 (septembre-octobre 1952) ! L’intégralité donc ! Mon erreur venait en fait de l’ »ours » de l’éditeur qui mentionnait dans son sommaire les dix premiers # !
Ça va mieux en l’écrivant !
PG
Je te remercie mon cher Patrick pour ces précieuses précisions. Le décès récent (23 février) de John Severin m’a logiquement amené à essayer d’établir une biblio de ce graphiste précis et méticuleux, à la carrière si longue et si variée, et si peu connu chez nous.
Bien à toi
Jacques
Eh bien… J’arrive après la bataille, je vois que vous vous êtes tout dit et n’avez pas besoin de moi! Pour info, la politique éditoriale d’Akileos est d’éditer les séries EC Comics intégralement et chronologiquement, une intention qu’on ne peut que saluer, bravo! Il en sera de même avec « Crime Suspenstories » et « Tales from the Crypt » qu’Akileos va sortir ce printemps. J’ai hâte de voir ça. J’espère que les couvertures seront inclues, mais quoi qu’il en soit ces albums EC made in Akileos sont vraiment très beaux et indispensables à tout fan de comics non anglophone.
Bien à vous,
Cecil