Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Grimm : « Les contes en bandes dessinées », Reality show, t.4 : « Reconquista channel », Petit Poilu : « La sirène gourmande », Méchant Benjamin, t1 : « Ah non ! », Cupidon, t19 : « Solitude »
Grimm, Les contes en bandes dessinées, Céka, Lardenois, Laborie, Becq, Piu, Jaffredo, Desvaux, Petit à Petit/La Martinière, 9,90 euros
Par leur travail de recension, les frères Grimm ont sauvé de l’oubli et rendus célèbres toutes un corpus de récits issus du folklore germanique de la région de Kassel. De « Hans et Gretel » (un mixte du Petit Poucet et de la maison en pain d’épice) au très connu « Loup et les Sept chevreaux », en passant par « Le cordonnier et les lutins », « Le vaillant petit tailleur » et « Les musicien de Brême », ont retrouvera ici avec plaisir des contes devenus des incontournables du répertoire européen, voire international
Présenté au format 15/21,5, cet album intègre la Collection Petit à Petit, orientée originellement vers la poésie (avec Hugo, Rimbaud, Ronsard), les chansons (Brel, Piaf) mais aussi les contes (Andersen ayant ouvert la voie). Adaptés par Ceka, mis en images par une équipe de jeunes dessinateurs au style propre mais tous adaptés à un public enfantin, les cinq récits respectent le tempo et l’atmosphère originels, tout en se présentant comme de vraie bd : intégralement (Le loup et les 7 chevreaux) ou partiellement (Hansël et Gretel) dialogués avec des bulles, ou avec le texte en voie off (Les lutins), ou le plus souvent dans une forme mixte, ils demeurent dans le plus parfait esprit du 9e art, grâce à un sens du découpage et du montage qui concilie le rythme vif de la bd sans sacrifier les parties répétitives du conte (dont Bruno Bettelheim a montré en son temps le rôle primordial dans la perception enfantine). Un album a ne pas négliger chez un éditeur qui a pénétré le monde de la bd par la grande porte des classiques placés à la portée des petits grâce à la mise en images.
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Reality show, t.4, Reconquista channel, Porcel, Morvan, Dargaud
Lorsqu’un musulman est élu maire de Grenade, les catholiques intégristes basculent dans le terrorisme. Pris entre deux feux, le maire refuse de céder aux extrémistes qui s’en prennent prend à sa propre fille. C’est justement l’endroit qu’Oshi à choisi pour ses vacances.
Continuant à décrire les affres d’une société dominée par une télévision passées aux mains de magnats avides d’audimat qui instrumentalisent la technologie jusqu’à mettre en scène la couverture médiatique en un vaste show, les auteurs s’attaquent ici à un autre sujet d’actualité brûlant en traitant des fanatismes. La série, à présent que le cadre de la télé-réalité omnipotente a été bien posé dans les albums précédents, se collète sans fausse naïveté avec de vrais problèmes de société, s’attachant dorénavant à la personnalité plus riche d’Oshi. L’ensemble se révèle en fin de compte en progrès, gagnant en maturité tant au niveau du scénario que du dessin : incontestablement, Porcel, toujours marqué par le style à la japonaise mais arrivant peu à peu à une synthèse des techniques, travaille les attitudes de ses héros et soigne le montage. Les planches se révèlent cependant inégales, notamment à cause d’un rendu maladroit des visages, et de réactions sommairement esquissés, sur une trame d’ensemble relativement convenue, quelques scènes cédant même à la facilité d’une exhibitionnisme malsain visiblement inspiré des snuffs. Il reste que cet album a le mérite de poser de manière claire les dangers et les enjeux du fanatisme et du terrorisme dans nos sociétés démocratiques.
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Petit Poilu, La sirène gourmande, Bailly, Fraipont, Dupuis
Comme son nom l’indique, Petit Poilu est une curieux petit bonhomme, tout noir et tout poilu, avec un gros nez rouge. Un matin, sur le chemin de l’école, une pluie diluvienne le surprend, qui transforme le paysage en océan. Là , il se fait engloutir par une sirène. Mais dans le ventre de la vorace, il découvre tout un monde dans lequel il se fait de nouveaux amis, comme le vers de terre amoureux de la pieuvre, ou le capitaine bougon mais chaleureux (et même un pingouin qui n’est pas sans rappeler l’Alfred de Saint-Ogan).
Sympathique, ludique, expressif, cet album, empli de fantaisie poétique, fait de l’univers quotidien des enfants un terrain d’aventures sans limites, abordée sous le couvert d’une parenthèse initiatique pleine d’humour. Cette BD muette, aux planches en forme de gaufrier, révélant un vrai sens du cadrage et des montages explicites, guidera le petit « lecteur » de la meilleure manière qui soit à la découverte du 9e art, dont il distille progressivement et habilement les techniques de la narration visuelle. Couleurs vives, arrière plan épuré, références familiales rassurantes, et présentation du vaste monde sur un mode optimiste : cet album fait le lien entre le vécu et l’imaginaire enfantin, entre l’album de jeunesse et la bande dessinée. Une réussite de la collection puceron qui initie le futur lecteur au maniement des livres.
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Méchant Benjamin, t1, Ah non !, Carine De Brab, Dupuis,
Benjamin n’est pas ce que l’on peut appeler un adorable bambin. Quand il ne tague pas sa chambre ou n’embête pas les animaux, il refuse de faire tout ce qu’on lui demande. Mais surtout, ce petit garçon turbulent, rebelle et désobéissant, ne sait pas encore ce qu’il veut vraiment. Il refuse de suivre sa Maman, mais elle lui manque beaucoup dès qu’elle est absente ; il crie après la nourrice mais rêve qu’elle lui fait de gros câlins. Enfin, Benjamin vit à moitié dans son monde imaginaire, dans lequel il peut assouvir ses désirs d’aventures et de puissance. Bref, un gamin comme les autres ?
La collection Puceron investit le registre bd jeunesse avec une série d’albums au ton bien distinct. Loin des mièvreries d’une enfance idéalisée, Carine de Brab décrit un gamin insupportable et néanmoins attachant dans ses contradictions et ses faiblesses de petit enfant. Vivant apparemment seul avec une maman fort occupée qui le confie parfois à garder, attaché à son doudou mais la tête pleine des aventures des super-héros de la télévision, Benjamin reflète bien la situation actuelle de nombre de familles monoparentales. Offrant avec cet album une vraie bd avec des bulles (peu nombreuses), une bande son, des variations de plans et de cadre, en fonction de l’évolution du récit, l’auteuse évoque avec réalisme la situation de l’enfant unique placé en tête-à -tête avec l’adulte. Un bon récit qui se lit donc à plusieurs niveaux.
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Cupidon, t19, Solitude, Malik, Cauvin, Dupuis, 8,50 euros
Raphaël est un jeune adolescent qui multiplie les maladresses avec les filles et donc qui se fait régulièrement éconduire, de toutes les manières possibles et imaginables. Et pourtant, il est prêt à tout pour se trouver une copine Une vraie mission pour Cupidon, spécialiste des sauvetages amoureux. Mais dans cette affaire où rien ne fonctionne comme il faudrait, le petit angelot semble face à un cas désespéré.
Dans la tradition humoristique franco-belge (mais sans les gros nez), cet album se fixe pour but de faire sourire sans prétention sociologique. Il y parvient fort bien, sur un ton aimable et drôle, à travers une série de récits courts en une ou deux planches, tendus vers la chute finale et mettant en scène un héros moderne et à la personnalité clairement posée. Jouant de la récurrence, mettant en contraste la malchance du gamin et les bonnes intentions de l’angelot, chaque récit fonctionne de manière indépendante mais peut aussi s’analyser dans le tressage de l’album et de la série. Le véritable exploit des auteurs, en contraste avec certaines séries, creusant avec plus ou moins de réussite la même veine humoristique, est de ne pas lasser après 19 tomes, et de garder une unité de ton, tout en parvenant à maintenir un bon niveau de créativité. Les gags, souvent gentilés, ne paraissent en effet pas éculés alors que la matière se renouvelle grâce ce nouveau héros. Un album agréable et bien mené.
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Joël Dubos
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