Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 12 FEVRIER 2007
Voici encore cinq albums qui méritent votre attention : “ Le carnet rouge ” par Teddy Kristiansen, “ Fils de Chine ” par Paul Gillon et Roger Lécureux, “ Raoul & Fernand T.3 : La loi du canapé ” par Erroc, “ Lead Belly ” par Steve Cuzor et José-Louis Bocquet et “ Raj T.1 : Les disparus de la ville dorée ” par Didier Conrad et Wilbur.
Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir les couvertures des albums chroniqués.
“ Le carnet rouge ” par Teddy Kristiansen
Editions Soleil (19,70 Euros)
Alors que le Danois Teddy Kristiansen œuvre régulièrement pour son pays d’origine et pour les comics américains (particulièrement sur «The Sandman Midnight Theatre» avec Neil Gaiman, «Grendel» avec James Robinson ou «House of Secrets» avec Steven T. Seagle), il livre ici une création originale aux éditions Soleil (soutenue, toutefois, par le Conseil artistique danois) ; et ceci, juste après avoir collaboré avec l’éditeur toulonnais sur le collectif «Paroles de poilus», lequel traitait déjà de la même période. Né de la fascination de l’auteur pour la première guerre mondiale, «Le carnet rouge» est un récit très onirique. Le premier volet de ce triptyque, publié dans la belle collection «Latitudes», retrace la vie d’un peintre à Paris, avant et après la Grande Guerre, suite à une enquête menée par un écrivain contemporain intrigué par l’un de ses tableaux. Curieusement, malgré ses recherches, il ne trouve aucune trace de ce peintre de la Belle époque dans les biographies à sa disposition. Pourtant, petit à petit, il retrouvera le parcours de cet homme aux débuts prometteurs, mais qui se réfugiera dans l’opium et finira de se détruire dans les tranchées… Construite sur le principe de la double narration, cette œuvre forte, qui est aussi une réflexion sur la vérité, ne peut pas laisser indifférent, malgré un lettrage qui n’en facilite pas sa lecture et des couleurs quelque peu oppressantes. Qu’importe, les progressions de chacun des deux protagonistes sont tellement émouvantes, et les dessins, sobres et élégants, ont une telle puissance émotionnelle, que cette histoire policière et passionnelle restera gravée, longtemps, dans nos mémoires !
“ Fils de Chine ” par Paul Gillon et Roger Lécureux
Editions Glénat (30 Euros)
Nous sommes en 1950 et, dans ces années qui suivent la fin de la deuxième guerre mondiale, le journal Vaillant (qui deviendra Pif-Gadget) commence, véritablement, à prendre son essor, tout en restant fidèle à ses objectifs d’origine. Catalogué comme communiste, l’hebdomadaire n’hésite pas, en effet, à mettre en avant l’effort éducatif réalisé en Union Soviétique et en Chine, ainsi que la bravoure des combattants autochtones, à travers un rédactionnel assez orienté et des fresques bédéesques digne de certaines lianhuanhuas propagandistes. «Fils de Chine» est de celles là, mais la magnifique mise en images (notons que 2 planches sont dues à Pierre-Louis Dupuis, recruté en catastrophe pour finir le travail de Gillon, parti en vacances impromptues) et les textes documentés et poignants (quoiqu’un peu laborieux à lire aujourd’hui) en ont fait l’un des chefs-d’œuvre de la bande dessinée francophone. Publiées jusqu’en 1953, les 198 pages de cette épopée mythique et héroïque mettent en scène l’histoire d’un jeune porteur d’eau de Canton, pendant les grèves réprimées par la police de Tchang Kaï-chek, puis pendant la longue marche des révolutionnaires maoïstes réfugiés dans les montagnes. Les éditions Glénat avaient déjà proposé les 146 premières pages (en noir et blanc) dans un album publié en 1978 et introuvable depuis longtemps : mais cette fois-ci, il s’agit de l’intégralité du récit avec les pages couleurs ! Grâce aux techniques actuelles, on peut même retrouver tout le charme de l’impression de l’époque. Enfin, ce beau livre, indispensable à tout véritable amateur de BD, contient également quelques notes érudites d’Henri Filippini (le directeur de cette collection «Patrimoine») sur l’immense créateur graphique qu’est Paul Gillon.
“ Raoul & Fernand T.3 : La loi du canapé ” par Erroc
Editions Bamboo (9,45 Euros)
Raoul, le chat jaune à rayures, et Fernand, le gros chien abruti, ne sont pas les héros les plus populaires du catalogue Bamboo, et pourtant !!! L’humour décapant et le dessin cartoonesque d’Erroc (le scénariste des «Profs») atteignent leur paroxysme, surtout dans les 8 pages de strips en 3 images ! Manifestement, l’auteur possède parfaitement l’art de ce genre, hélas de moins en moins utilisé, et nous fait éclater de rire à chaque chute ! Le reste de l’album, composé de gags en une page, n’est pas moins drôle puisque nos héros y continuent de réfléchir sur la façon de profiter au mieux du joli poste de télé que leur laisse regarder leur gentille maîtresse, ou encore de remplir régulièrement leur estomac, sans trop se fatiguer. Croyez-nous, si l’éditeur se fend d’un développement en dessin animé de la série (visible sur www.bamboo.fr) c’est qu’il y croit et qu’elle mérite vraiment que l’on s’y attarde ! Alors, faites comme vous le conseille l’argument de vente de l’éditeur : installez-vous bien confortablement, ouvrez un paquet de chips et plongez dans le monde fascinant, plein de bruit et de fureur, de «Raoul et Fernand» : promis, vous n’aurez aucune envie de zapper !
“ Lead Belly ” par Steve Cuzor et José-Louis Bocquet
Editions Nocturne (19,90 Euros)
Nous vous vantons régulièrement la qualité (autant des enregistrements sonores que des courtes bandes dessinées proposées) du label Nocturne/BD, mais nous allons quand même en remettre une couche pour vous signaler leurs dernières productions : outre trois superbes coffrets (toujours avec deux CD audio) illustrés par Jacques de Loustal («Film noir»), Igort («Chet Baker») et Mïrka Lugosi, une nouvelle venue époustouflante de virtuosité («Ladies in Love classées x»), attardons-nous sur l’album consacré à Huddie Ledbetter, surnommé «Lead Belly» (ventre de plomb), figure légendaire de la musique populaire américaine. En plus de l’intérêt que suscitera, sans nul doute, l’écoute des deux galettes du mythique folk- singer et bluesman, qui fut le principal inspirateur de Woody Guthrie, le lecteur curieux pourra découvrir une BD de 22 pages. Cette dernière est racontée et dialoguée par le trop rare scénariste José-Louis Bocquet (promulgué récemment au poste de responsable de la fameuse collection «Aire libre» de chez Dupuis) et mis en images par l’excellent graphiste, et cow-boy de rodéo (si, si !), Steve Cuzor. L’auteur de «Black Jack» et l’illustrateur du tome 3 de «Quintett» de Frank Giroud ou de «O’Boys» (un projet de BD, avec Philippe Thirault, qui se déroulera dans le Mississipi) était donc tout naturellement désigné pour enluminer la vie tumultueuse de ce multi-instrumentiste, aux capacités physiques hors du commun, et il s’acquitte avec talent de sa mission, laquelle, nous n’en doutons pas, fut un plaisir pour lui : en tout cas, ça se sent !
“ Raj T.1 : Les disparus de la ville dorée ” par Didier Conrad et Wilbur
Editions Dargaud (13 Euros)
La nouvelle série de Didier Conrad («Les innommables») et de sa compagne Lucie Commenge (qui signe ici Wilbur) met en scène un personnage qui a su préserver ses idéaux dans une ambiance particulièrement corrompue et, ceci, à l’époque charnière de la fin du colonialisme britannique. Cependant, «Raj» se veut aussi dans la lignée des séries publiées autrefois dans le Journal de Tintin et, en effet, le premier tome de ce diptyque a bien un goût prononcé d’une certaine madeleine mise à l’honneur par Proust qui pourrait sonner le retour de la grande aventure. Rien d’étonnant à cela, c’est un phénomène cyclique qui revient, pratiquement, tous les 30 ans : dans les années 1950, au cours de la décennie 1980 et, nous vous l’annonçons pour 2010 ! En attendant, nous sommes en 1831, à Bombay, où une nouvelle recrue de l’Indian Political Service débarque, guidé par un journaliste qui lui fait découvrir les étranges rites locaux. Confronté, par la suite, à de mystérieuses disparitions dans la communauté des expatriés anglais accusant un concurrent de la Compagnie des Indes (dont le souci principal est d’augmenter leur fortune personnelle en asservissant les indigènes), notre bouillant et intègre jeune héros va mener sa propre enquête, alors que les Hindous ont de plus en plus de mal à supporter le «Raj», c’est-à-dire le «joug des Anglais». Pour l’occasion, Didier Conrad (lequel était marqué, jusque-là, par l’école de Marcinelle) adopte un graphisme beaucoup plus ligne claire, alors que la narration se rapproche, un peu, du style raffiné que l’on utilisait dans de nombreux récits de voyages du 19ème siècle : et le tout est plutôt réussi !
Gilles RATIER