Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 20 NOVEMBRE 2006
Comme tous les lundis, voici notre sélection hebdomadaire, toujours aussi éclectique, de 5 BD parues récemment : “ Entracte ” par André Juillard, “ Seules contre tous ” par Miriam Katin, “ La face karchée de Sarkozy ” par Riss, Richard Malka et Philippe Cohen, “ Père Noël & Fils T.1 : Bulles de Noël ” par Philippe Bercovici et Bob de Groot et “ Pat’Apouf détective T.2 : Pat’Apouf prend des vacances” par Gervy.
Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir les couvertures des albums chroniqués.
“ Entracte ” par André Juillard
Editions Daniel Maghen (55 Euros)
Somptueuse et impressionnante autobiographie en BD, «Entracte» permet de prendre conscience de la trajectoire artistique et de la démarche graphique de l’un de plus grands dessinateurs actuels du 9ème art : André Juillard, le prolifique, mais néanmoins talentueux, illustrateur des «Sept vies de l’Epervier» ou de «Blake et Mortimer», et de plus de 50 autres albums de BD scénarisés par les plus grands (par Pierre Christin ou Jacques Martin, par exemple) où par lui-même («Le cahier bleu»). Cet imposant volume relié, aux cahiers cousus et dos toilé de 428 pages imprimées sur du très beau papier, préfacé par Enki Bilal, présente plus de 1000 dessins à la mine de plomb, aux encres de couleurs ou à l’aquarelle (dont de nombreux inédits et de superbes portraits de femmes) : compilation de morceaux de bravoure qui retrace 30 ans d’une carrière diversifiée ! Un parcours sans fautes, où le jeune graphiste influencé, à ses débuts, par Jean Giraud («Blueberry»), va progressivement se tourner vers une ligne claire qu’il fera sienne, toujours en quête de perfection, cherchant à transcender son trait. Le cadeau idéal à offrir aux esthètes de tous horizons, pour les fêtes de fin d’années !
“ Seules contre tous ” par Miriam Katin
Editions Seuil (21 Euros)
Décidément, le soleil se lève à l’est… Après le savoureux «Anna en cavale» de la tchèque Lucie Lomovà, chez l’An 2, voici un récit envoûtant d’une Hongroise de 63 ans ! Miriam Katin a fui son pays natal, en 1956, devant l’invasion des chars russes à Budapest, pour travailler dans l’industrie du dessin animé aux USA. Elle relate sa fuite, et celle de sa mère, devant les persécutions nazies durant la Seconde Guerre mondiale : les deux femmes juives quittant la capitale pour la campagne, se faisant passer pour une servante russe et sa fille illégitime. Leur longue errance sera ponctuée de rencontres avec des officiers allemands, des traîtres, des collaborateurs, des paysans chaleureux mais dépassés par les événements, et des militaires soviétiques peu recommandables. Heureusement, quelques coups du sort, et une lutte acharnée pour survivre, vont leur permettre de s’en sortir. Soixante ans plus tard, cette femme, qui fût aussi soldat dans l’armée israélienne, tente de reconstruire sa mémoire et de tenter de comprendre le pourquoi de l’horreur de l’holocauste et de son athéisme actuel, alors qu’elle a été éduquée dans la religion juive. Dans ce qui est son premier roman graphique, sa narration, tout en douceur (contrastant avec la violence des actes décrits) est parfaite. Quant à son trait jeté, en noir et blanc (à l’exception de quelques pages se déroulant longtemps après les événements décrits), il est plaqué sur le papier avec nervosité, tout en étant très élaboré. Tout cela contribuera à émouvoir tous les lecteurs, même les plus insensibles !
“ La face karchée de Sarkozy ” par Riss, Richard Malka et Philippe Cohen Editions Vents d’Ouest et Fayard (15 Euros)
Quand il aperçoit ce genre d’ouvrage qu’il assimile à de la BD «people», l’amateur avisé (que dis-je : éclairé !) n’aura qu’un «fi !» à la bouche, accompagné d’un éventuel geste de dédain. Et bien, il aura tort ! Car cette biographie de Nicolas Sarkozy (homme politique en vue), sous la forme d’une bande dessinée, est très documentée et très drôle. Réalisée par un journaliste d’investigation réputé, un avocat spécialisé dans le droit de la presse mais aussi scénariste de BD à ces heures (ce qui explique l’efficacité de la narration) et un dessinateur de Charlie-Hebdo (habitué à croquer l’actualité et les grands procès criminels), cet ouvrage de 150 pages nous permet de tout savoir sur le parcours du ministre de l’Intérieur français : de sa naissance (en 1955) au second tour de l’élection présidentielle de 2007, en passant par ses difficultés scolaires, ses premiers pas en politique, sa prise de la mairie de Neuilly au nez de Charles Pasqua, ses coups montés contre Jacques Chirac, ses stratégies médiatiques… Le brûlot est original dans la forme (la couverture prône même, peut-être exagérément, qu’il s’agit de la «première BD-enquête»), et comme la satire est réussie, on pourrait même dire qu’elle est d’utilité publique !
“ Père Noël & Fils T.1 : Bulles de Noël ” par Philippe Bercovici et Bob de Groot
Editions Glénat (9,40 Euros)
Quand il aperçoit ce genre d’ouvrage qu’il assimile à de la BD bassement commerciale, l’amateur avisé… Voir chronique précédente ! Et bien là encore, l’amateur a tort ! Ce recueil de gags (pas toujours en une seule planche, mais en trois ou quatre pour faire durer le suspense), s’il est assez classique, n’en utilise pas moins un certain décalage dans l’humour, ce qui en rend la lecture fort agréable… Le fils du Père Noël est en âge de travailler et son père va lui enseigner les règles d’un bon Noël : production, logistique, livraison, etc. : mais il va s’apercevoir que ce n’est pas toujours facile de faire son métier correctement ! Même si les blagues restent bon enfant, car destinées au grand public (la série sort, d’ailleurs, à point nommé pour les fêtes de fin d’année), cette incursion dans la vie privée et le quotidien du Père Noël est souvent à prendre au deuxième ou troisième degré : les auteurs sont de grands professionnels de la BD humoristique et ils nous le démontrent une fois plus ici ! Le dessin alerte de l’illustrateur des «Femmes en blanc» est bougrement efficace et les dialogues du scénariste de Léonard sont souvent à hurler de rire. Donc, ne faites pas comme les amateurs trop éclairés (à force d’avoir la lumière dans la tronche, ils ne voient plus rien du tout et ne savent plus séparer le bon grain de l’ivraie), ne passez pas votre chemin devant cette très amusante nouvelle série !
“ Pat’Apouf détective T.2 : Pat’Apouf prend des vacances ” par Gervy
Editions du Triomphe (13,50 Euros)
Grand spécialiste de l’œuvre de Gervy (qui ne se limite pas à «Pat’Apouf», même si son nom est indissociable du personnage), Dominique Petitfaux poursuit, inlassablement, ses efforts pour faire connaître les bandes dessinées de ce Girondin, pilier de la Bonne Presse (futures éditions Bayard), comme il a pu le faire pour celles d’Hugo Pratt ou celles d’Alain Saint-Ogan. Seulement voilà, même si ce détective (créé, en 1938, dans Le Pèlerin) est ancré dans le souvenir de millions de lecteurs, sur plusieurs générations, ce classique de la BD franco-belge n’a pas autant d’aura que les précédents auteurs susnommés. Seules les éditions du Triomphe ont accepté de prendre le risque de rééditer et de réhabiliter les enquêtes de rondouillard personnage, légèrement amoral car incorrigible fumeur et ne dédaignant pas une bouteille de bon vin (étonnant postulat quand on sait que cette BD, pleine d’humour, était publiée dans un journal de la presse catholique, connu pour ses positions assez conservatrices). Avec un dessin évoluant entre Ligne Claire et le style enlevé des strips américains, Gervy n’hésitait donc pas à braver, par moments, la morale publique et les canons de la littérature pour la jeunesse de l’époque. L’épisode présenté ici (contrairement au 1er présenté chez cet éditeur qui n’avait jamais connu de version album) est la réédition d’une nouvelle aventure exotique (en Océanie), parue initialement en 1947 dans Le Pèlerin puis reprise sous forme de livre, en 1953. Même si le propos a un peu vieilli, tout véritable amateur de BD se doit de posséder cet album dans sa bibliothèque !
Gilles RATIER