Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 4 SEPTEMBRE 2006
Ce coup-ci, c’est vraiment reparti : les étals de vos librairies sont envahis ! Notre sélection hebdomadaire est donc toujours aussi utile avec, cette semaine : “ London Calling T.1 ” par Phicil et Sylvain Runberg, “ Little Star ” par Andi Watson, “ Anna en cavale ” par Lucie Lomova, “ Les aventures oubliées du baron de Münchausen T.1 : Les orientales ” par Olivier Supiot et “ La sirène des Pompiers ” par Zanzim et Hubert.
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“ London Calling T.1 ” par Phicil et Sylvain Runberg
Editions Futuropolis (4,90 Euros)
Voyage, au début des années 1990, de deux jeunes Marseillais fans de musique rock et électronique, dans l’Angleterre post-thatchérienne, cette nouvelle série (prévue en 9 épisodes) est encore une bonne surprise issue de l’excellente collection «32» ! Bien entendu, cette tentative de faire son trou, dans la cité des clubs et de la musique, ne va pas forcément se passer aussi bien que prévu… Surtout que les liens d’amitié que l’un des deux étudiants a tissés, lors d’un premier séjour inoubliable outre-Manche, ne sont pas aussi indéfectibles qu’il le croyait, et que derrière sa façade clinquante, ce nouvel Eldorado, chantre du libéralisme, n’est, en fait, qu’une société inégalitaire en proie à la violence. Le dessin «nouvelle vague» d’un jeune prodige (aperçu récemment chez Carabas où il a livré les remarqués «Ventricules», avec Marc Lizano au scénario, et «Georges Frog»), reflète parfaitement les propos du scénario de Sylvain Runberg, lequel sent le vécu ! Ce dernier, en net progrès, quant à la lisibilité et l’efficacité de ces scénarios (ceci dit, «Les colocataires» et «Orbital», ce n’est quand même pas si mal que ça !), mène son récit de main de maître ! Décidément, il n’y a rien à jeter dans le programme éditorial concocté par le scénariste Luc Brunschwig, sous la houlette du distingué Sébastien Gnaedig. Et maintenant qu’ils vont être épaulés par maître Claude Gendrot et par l’esthète reconnu qu’est Alain David, tout est réuni pour que le nouveau Futuropolis soit l’endroit où il doit se passer quelque chose de vraiment intéressant en BD !
“ Little Star ” par Andi Watson
Editions Cà et là (20 Euros)
Simon Adams est l’un de ces pères chamboulé et angoissé par la paternité : un papa jeune et moderne, « impliqué », qui donnerait tout pour sa fille. Employé dans une fabrique de porcelaine à mi-temps, il a déjà sacrifié sa carrière de graphiste, mais aussi sa fierté et des pans entiers de sa santé mentale pour sa petite famille : sa femme institutrice à plein-temps (c’est elle qui fait vivre le couple) et leur petite fille de trois ans, Cassie. Bien qu’il ait choisi un travail ennuyeux pour profiter plus longtemps de sa fille, notre héros se retrouve parfois perdu, désorienté et culpabilisé quand il perd sa fille dans un magasin, par exemple… Par petites touches sensibles, l’Anglais Andi Watson brosse le portrait d’un homme qui voudrait être un papa idéal, mais qui doute souvent, se posant nombre de questions sur son avenir, sur ses propres aspirations, sur les besoins de sa petite fille et ceux de sa femme… La psychologie du personnage est parfaitement cernée, tout en émotion, et le graphisme ligne claire (tendance Dupuy/Berberian) fait merveille tout le long des 150 pages de ce récit intimiste qui vient juste d’être publié aux USA, chez Oni Press.
“ Anna en cavale ” par Lucie Lomova
Editions de L’An 2 (17,90 Euros)
Voici un étonnant premier roman graphique dû à une prometteuse créatrice, originaire de Tchécoslovaquie, surtout connu, dans son pays, pour ses ouvrages destinés à la jeunesse. Utilisant une narration libre et efficace, qui flirte habilement du côté de la chronique sociale, du road-movie et de la plus rocambolesque aventure policière, cette «auteure» multiplie les changements de tons, de registre et de graphisme, avec finesse, sensibilité et fantaisie. Dans une Prague où l’on rêve encore beaucoup (nous sommes en 1994), une jeune femme s’aperçoit que sa vie conjugale sombre dans la banalité. Cependant, suite à de nombreux quiproquos et rebondissements, elle se retrouve poursuivie par la mafia russe à travers toute la Bohème, accompagnée d’un bellâtre américain, dont elle ignore tout ! Ce dernier l’a confondu avec sa sœur jumelle, qui vit à San Francisco, et dont elle ignorait la présence dans la capitale… Tout au long de cette cavale mouvementée, Lucie Lomova nous livre sa vision de la République Tchèque postcommuniste, à l’aide d’instantanés illustrés par un trait proche de la ligne claire pratiquée par certains indépendants américains ou canadiens (Daniel Clowes, Jason Lutes, Seth…), mais qui devient progressivement plus réaliste lors des nombreux flash-back ou passages oniriques qui jonchent ce récit malicieux. Même si les ficelles sont parfois un peu grosses, on s’amusera beaucoup à la lecture de cette aventure menée tambour battant : en BD, le soleil se lèverait-il enfin à l’Est ?
“ Les aventures oubliées du baron de Münchausen T.1 : Les orientales ” par Olivier Supiot
Editions Vents d’Ouest (13 Euros)
En ressuscitant l’allemand Karl Friedrich Hieronymus, plus connu sous le nom du baron de Münchhausen, Olivier Supiot nous gratifie de sublimes et éclatantes pages aquarellées, où le fameux fantasque vieillard se retrouve encagé par un gros et gras sultan pour qui il joue le rôle de la Shéhérazade des «Mille et une nuits». Les récits extravagants du baron, sans cesse enrichis par divers collecteurs ou adaptateurs, se sont épanouis dans la littérature et le cinéma (la version de Terry Gilliam étant certainement la plus connue aujourd’hui, mais les muets de Meliès et d’Emile Cohl ont aussi contribué à sa légende). Olivier Supiot apporte donc sa pierre à l’édifice avec de nouvelles aventures qui nous évoquent Gulliver, Robinson Crusoé, l’île du docteur Moreau, Ali Baba, Ulysse et bien d’autres références mythologiques ou littéraires. Ces dernières sont rythmées par les apparitions de la Mort, sous les traits d’une attrayante faucheuse, qui a du mal à convaincre Münchhausen à se laisser aller. Tant mieux pour les lecteurs avides de découvrir d’autres épopées aussi somptueuses et abracadabrantes que celles contées dans ce premier volume.
“ La sirène des Pompiers ” par Zanzim et Hubert
Editions Dargaud (11 Euros)
Après sa très convaincante «Miss Pas Touche», le scénariste Hubert Boulard (qui signe de son seul prénom, et qui est aussi un coloriste réputé à ses heures), nous plonge dans les entrailles d’un scandale pictural de la fin du XIXe siècle. Le peintre Gustave Gélinet, artiste peu inspiré et désespéré, tente de se suicider en se jetant d’un pont de la Seine… C’est là qu’il tombe dans les bras d’une jeune et jolie sirène qui s’ennuyait dans sa Bretagne natale, où elle n’arrivait pas à séduire les marins, chantant aussi faux qu’une casserole. Elle va très vite devenir l’amante et le principal modèle du barbouilleur en manque d’imagination. Or, voilà qu’un critique curieux, soupçonnant une supercherie, va découvrir l’authentique naïade, laquelle a de plus en plus de mal à supporter son peintre pompeux et Pompier (et encore bravo pour le superbe jeu de mots du titre !). Les brillantes idées narratives et les attachants personnages de ce récit, légèrement fantastique et poétique, sont illustrés par le trait gracile, dans la lignée des tenants de la «nouvelle BD», de Frédéric Leutelier, alias Zanzim, qui renoue toutefois avec le style hyperréaliste qui l’a fait connaître («Les yeux verts», avec Hubert, chez Carabas), le temps de quelques tableaux signés Gustave Gélinet : charmant !
Gilles RATIER