Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 28 AOÛT 2006
Les vacances sont à peine finies pour certains d’entre vous que le rythme infernal des parutions BD reprend de plus belle ! D’où la nécessité de notre sélection hebdomadaire : “ Le sang des voyous ” par Jacques de Loustal et Philippe Paringaux, “ Jérôme K. Jérôme Bloche T.19 : Un chien dans un jeu de quilles ” par Alain Dodier, “ Marvin T.1 : L’affaire Marion Colman ” par Ivo Milazzo et Giancarlo Berardi, “ Brüssli T.1 : Le conquérant” par J. Etienne et Jean-Louis Fonteneau et “ Chien rouge chien noir ” par Frédéric Bézian.
“ Le sang des voyous ” par Jacques de Loustal et Philippe Paringaux
Editions Casterman (14,75 Euros)
Oyez, oyez, braves gens, la sombre histoire d’un truand, un voyou devenu tueur à gages. Un tueur froid et énigmatique, atteint d’une maladie qui lui ronge ses dernières forces et qui ne lui laisse aucune autre issue que la mort. Mais avant de disparaître, cet homme à l’agonie, cadavre en puissance, quitte l’hôpital où on le soigne, titubant, pour régler ses comptes et retrouver sa fille… les armes à la main. Plus noir et plus glauque, tu meurs ! Et oui, attention, ce polar très violent, va vous secouer. On vous aura prévenu, après lecture, votre moral va en prendre un coup : ou alors, vous êtes complètement insensibles ! En effet, l’histoire de ce malfrat désespéré vous prend d’entrée à la gorge, grâce à la plume très littéraire, et pourtant très légère, de Philippe Paringaux : ses longs narratifs n’atténuant en rien l’aspect impeccable de la narration elliptique et l’excellence du choix des mots, mis en valeur par le choc des dessins. Des dessins figés, glacés et épurés, mais totalement expressifs et élégants : aussi adaptés aux ambiances nocturnes et citadines qu’à celles qui sont ensoleillées et exotiques. L’illustrateur de «Barney et la note bleue» ou de «White Sonia» est en pleine possession de ses moyens, et semble même atteindre le point culminant de son talent avec une excellente mise en exergue de la puissance esthétique de son graphisme. Sans parler de l’extraordinaire utilisation de couleurs franches qui nous rappelle que la BD est un art, très proche de la peinture !
“ Jérôme K. Jérôme Bloche T.19 : Un chien dans un jeu de quilles ” par Alain Dodier
Editions Dupuis (9,80 Euros)
On ne se lasse pas des enquêtes de ce détective vraiment pas comme les autres, créé en 1982, dans les pages du magazine Spirou. Aussi privé que distrait, c’est grâce à un sens de la déduction particulièrement développé et à une bonne dose de chance, que Jérôme K. Jérôme Bloche résout toutes les affaires auxquelles il se trouve confronté. Pourtant, cette fois-ci, nous devrons attendre le 20ème volume de ce polar bon enfant (qui fait une large place au quotidien de notre héros) pour connaître le fin mot d’une histoire assez alambiquée. En effet, Jérôme se voit proposer une somme astronomique pour tuer un homme. Après avoir reconduit sèchement sa cliente, il regrette de s’être emporté et court après cette jeune fille dont il ne sait rien, et qui disparaît sans laisser d’adresse. Manifestement, on l’a confondu avec quelqu’un d’autre, et il faudra qu’il sollicite l’aide de son épicier et de son ami curé pour y voir un peu plus clair… Et, c’est encore un thriller captivant à la lecture fluide et agréable qu’Alain Dodier nous livre : découpage impeccable, cadrages clairs, trait épuré mais charpenté, couleurs chaudes en phase avec l’atmosphère légèrement inquiétante, et caractères des personnages bien affirmés ! Cependant, le côté Bogart du privé (chapeau mou et imper mastic) s’estompe souvent pour basculer du côté de la comédie hollywoodienne : car même dans les situations les plus dramatiques, l’humour est toujours présent : ceci permettant de séduire un lectorat très large, des plus jeunes aux plus exigeants !
“ Marvin T.1 : L’affaire Marion Colman ” par Ivo Milazzo et Giancarlo Berardi
Editions Mosquito (13 Euros)
Entre nostalgie et blues, voici encore un polar comme on les aime ! Ancienne gloire du cinéma muet, Marvin a dû se résoudre à changer de métier, à la fin des années 1920, avec l’arrivée du cinéma parlant. Il s’installe comme détective privé à Hollywood, et sa première enquête, que lui confie une mère inquiète, consiste à remettre la main sur une jeune starlette disparue. Les premiers indices le conduisent du côté d’un bar à filles prêtes à tout pour réussir. Grâce aux Italiens Giancarlo Berardi (le scénariste) et Ivo Milazzo (le dessinateur qui est un véritable maître du noir et blanc), lesquels sont bien connus de l’autre côté des Alpes avec leur western «Ken Parker», nous retrouvons l’ambiance des grands films noirs hollywoodiens : avec de nombreux flash-back et rebondissements inattendus, même si la trame est archi-classique. Les personnages, tous bien sentis, se débattent dans une histoire solidement ficelée et mise en images par un trait expressif, rythmé et nerveux : que demander de plus !
“ Brüssli T.1 : Le conquérant” par J. Etienne et Jean-Louis Fonteneau
Editions Humanoïdes associés (12,90 Euros)
Les bonnes BD pour les enfants ne sont pas légion et c’est pourquoi nous ne manquons pas les occasions de vous en signaler une. Jean-Louis Fonteneau est un scénariste qui a l’habitude de s’adresser à ce public qu’il ne faut pas négliger (ce sont les lecteurs et les acheteurs de demain) puisqu’il travaille régulièrement avec Bayard Presse (particulièrement sur la série «L’inspecteur Bayard» avec Olivier Schwartz, depuis 1990). Son savoir-faire est, ici, évident car il développe un univers sympathique et légèrement fantastique, où les villageois luttent contre des loups habillés en hommes et où un petit garçon, qui ressemble à un dragon, cherche à savoir qui sont ses vrais parents. Ce véritable conte de fées, situé dans une charmante bourgade bavaroise, est remarquablement illustré par un trait « cartonnesque», obtenu grâce à une technique à la gouache, sans cernés. J. Etienne (alias Etienne Jung) est manifestement très à l’aise dans ce genre d’histoires bon enfant qui rappelle un peu l’atmosphère de son précédent travail sur le 1er (et le meilleur !) épisode de «Gargouilles», série qu’il a abandonnée, suite à un différent sur le développement de ces personnages, et de cette histoire conçue par le scénariste Denis-Pierre Filippi.
“ Chien rouge chien noir ” par Frédéric Bézian
Editions Carabas (19,90 Euros)
Bonne initiative de la part des éditions Carabas d’avoir réédité cet album déterminant, dû à Frédéric Bézian, sous une couverture brochée, très sobre et très classe (l’édition d’origine, réalisée par PMJ, alias Pierre-Marie Jamet, était cartonnée et jouait sur l’opposition des couleurs rouge et noir). Voici ce que j’écrivais alors sur cet indispensable ouvrage, dans les colonnes du quotidien régional L’Echo : «Cet album peut paraître difficile quand on l’ouvre pour la première fois, mais son traitement graphique est d’une grande innovation ! Il y a ici un vrai travail de réflexion sur la portée du média BD. Si l’intrigue (un homme recherche un musicien déjanté qui lui a laissé une DS blanche, et, au travers des gens qu’il interroge, il finit par découvrir quelqu’un qui ne ressemble pas à celui qu’il connaît) peut laisser perplexe, on est vite gagné par l’admiration. On est époustouflé par le découpage qui permet une liberté de narration encore inconnue jusqu’à lors. La superbe impression bichromie noir et bleu (toujours présente dans cette édition) sert parfaitement les planches de ce dessinateur au trait torturé et convulsif. Et l’étrange deuxième partie, toute de rouge, s’insère dans le premier récit de façon assez logique. Avec cette quête hallucinante, Frédéric Bézian trouve sa pleine maturité : il nous impressionne avec ses cadrages audacieux et nous émeut, autant du point de vue du récit que du point de vue esthétique… Avec un album de cette qualité, la BD mérite tout à fait son appellation de 9ème art !» Je continue, sept ans après, à penser la même chose de ce livre exceptionnel, dont les audaces graphiques et narratives ne nuisent en aucun cas à la compréhension et à l’émotion de l’histoire.
Gilles RATIER