Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 13 FEVRIER 2006
Cette semaine, ruez-vous sur les 5 excellents albums suivants : “ Quintett T.3 : Histoire d’Elias Cohen ” par Steve Cuzor et Frank Giroud aux éditions Dupuis, “ Les éternels T.4 : Le puits des ténèbres ” par Félix Meynet et Yann et “ Victor Lalouz T.1 : En route pour la gloire ” par Diego Aranega aux éditions Dargaud, “ Un paradis distant ” par Walther Taborda et Wander Antunes aux éditions Paquet et “ Kheti fils du Nil T.1 : Au-delà des portes ” par Mazan et Isabelle Dethan aux éditions Delcourt.
“ Quintett T.3 : Histoire d’Elias Cohen ” par Steve Cuzor et Frank Giroud
Editions Dupuis (13,50 Euros)
Voici la troisième version d’aventures survenues en 1916, pendant la Première Guerre mondiale, à Pavlos, en Grèce. Comme les précédentes, elle est racontée par l’un des quatre membres d’un ensemble musical : deux hommes et deux femmes qui ne comprendront vraiment ce qu’ils ont vécu, que seize ans plus tard. Pour l’instant, l’action se situe donc au sud de la Macédoine, où une base aérienne française est installée en zone neutre : Elias y est mécano et adore le jazz (c’est d’ailleurs lui qui va baptiser l’orchestre du nom de «Quintett», en hommage aux formations de musiques américaines de l’époque). Il va tomber amoureux d’une jeune bergère autochtone, rencontrée sur le marché, laquelle vit sous la coupe d’un oncle tyrannique. Ce dernier n’hésite pas à la prostituer pour s’attirer les bienfaits des troupes alliées. Cette vision des évènements, en contrepoint de celles des deux premiers mouvements, entrecroise les fils du destin de ses personnages perdus dans une tragédie, pratiquement antique. Certes, la machine narrative lancée par Frank Giroud, metteur en scène des jeux de l’amour et de la guerre, continue de fonctionner parfaitement ; mais si cet épisode est tellement réussi c’est certainement, aussi, grâce aux pinceaux et crayons de Steve Cuzor. Son dessin chaleureux est fort bien maîtrisé (certaines cases font penser aux envolées d’un Antonio Parras, un grand du journal Pilote, injustement méconnu) et son implication dans cette entreprise se sent au premier coup d’œil. En effet, son trait fait totalement corps avec la trame romanesque de cette formidable épopée !
“ Les éternels T.4 : Le puits des ténèbres ” par Félix Meynet et Yann
Editions Dargaud (13 Euros)
Pour ceux qui ont manqué les épisodes précédents, il est utile de rappeler que la jolie Uma a remplacé sa sœur disparue au sein des Eternels, service secret des diamantaires. Dans cet épisode, nous la retrouvons sur la piste du plus vieux bijou du monde, en Israël ; elle découvre alors que son patron fut, dans le passé, un pilleur de tombes ; à l’instar du célèbre général Moshe Dayan, vainqueur de la guerre des Six Jours, en 1967. C’est d’ailleurs, lors d’une de leurs profanations que les deux militaires ont découvert ce diamant d’Abraham, lequel semble être à l’origine de la malédiction qui s’est abattue sur leur groupe. Le patron d’Uma, aujourd’hui seul survivant, veut récupérer cette pierre précieuse pour la remettre dans la sépulture souillée. Le dessin fouillé et léché de Félix Meynet devient de plus en plus réaliste et colle parfaitement au scénario palpitant et hyper documenté d’un Yann, ici en grande forme. Chaudement recommandé aux amateurs d’émotions fortes !
“ Victor Lalouz T.1 : En route pour la gloire ” par Diego Aranega
Editions Dargaud (9,80 Euros)
Bon, d’accord, le graphisme peut paraître rebutant aux bédéphiles trop axés sur l’esthétisme ; mais, ils devront bien reconnaître qu’il y avait longtemps qu’on ne s’en était pas payé une si bonne tranche en BD : non ? Avec sa succession de gags en demi-planches (construites sur six cases), le dessinateur de presse Diego Aranega exploite, dans cette nouvelle série de la collection «Poisson Pilote» qui met en scène un animateur de talk-shows radiophoniques pour ados submergé par ses obsessions, toutes les ressources du comique de quiproquo. Plus son personnage, certes complètement dérangé mais oh combien attachant, aspire à être pris au sérieux, plus il est hilarant. En conflit permanent avec sa mère ou avec son psychanalyste, son héros obsédé est tellement bête que tout lui sourit, hormis les nanas… Quant au lecteur, il ne se contente pas de sourire : il explose de rire !
“ Un paradis distant ” par Walther Taborda et Wander Antunes
Editions Paquet (15 Euros)
«Big Bill est mort», le précédent «one shot» de ces deux auteurs sud-américains (Taborda, le dessinateur, est argentin, et Antunes, le scénariste, est brésilien), également paru dans la belle collection «Blandice» des éditions Paquet, nous avait déjà séduits par le trait sec et vif du graphisme, l’originalité de la narration tragi-comique et la chaleur des couleurs. On retrouve tous ces ingrédients dans ce nouvel opus, qui est, en quelque sorte, la suite de «Big Bill est mort» (mais qui se lit absolument indépendamment) et qui est encore plus émouvant. Partant d’un fait largement banalisé par le cinéma ou la littérature (un homme, condamné à 10 ans de prison, pour le viol de la femme d’un des hommes les plus puissants d’un bled de l’Amérique profonde du début du siècle dernier, ose revenir pour prouver qu’il a été l’objet d’une machination), le scénariste réussi d’emblée à imposer un ton unique : il mixe habilement la dureté de l’histoire et les ambiances lourdes avec l’innocence des personnages et l’amour qu’ils se portent. Et, comme de bien entendu, racisme et cynisme y sont, une nouvelle fois, dénoncés à juste titre.
“ Kheti fils du Nil T.1 : Au-delà des portes ” par Mazan et Isabelle Dethan
Editions Delcourt (9,80 Euros)
Pour leur première vraie collaboration en BD, le couple Mazan-Dethan a opté pour une BD ludique et éducative à la destination des enfants. Isabelle Dethan en profite pour y intégrer, une fois encore, sa passion pour l’histoire de l’Egypte ancienne (sa série «Sur les terres d’Horus» qu’elle dessine et scénarise, chez Delcourt, reste une référence dans ce domaine) et son époux de Mazan (Pierre Lavaud, dans l’intimité) y libère son dessin miniaturiste sous l’influence des conseils avisés de sa compagne. Même si la page de titre précise bien qui réalise le scénario et qui le dessin, cette belle BD pour la jeunesse a bien été conçue à quatre mains : Isabelle ayant su également profiter de l’expérience scénaristique de son auteur complet de mari. Grâce à leur complicité et à la limpidité des images et des dialogues, les différents concepts religieux, culturels ou historiques (très souvent abstraits pour les plus jeunes) semblent désormais très simples et les lecteurs ne pourront qu’être enchantés par cette aventure fantastique : sous le règne du pharaon Khnoum-Khoufou, le petit Kheti et sa copine Mayt se retrouvent dans le domaine des dieux, alors qu’ils essayent de rattraper leur chat Miou. Ils sont alors chargés de prévenir la déesse Sekhmet d’un complot qui se trame contre elle…
Gilles RATIER