Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 24 OCTOBRE 2005
Certainement refroidis par l’arrivée, en librairie, des 3 millions d’exemplaires du nouvel «Astérix», les éditeurs ont légèrement ralenti leur production, en ce mois d’octobre. Du coup, cela laisse plus de visibilité à quelques albums remarquables comme: “ Fritz Haber T.1 : L’esprit du temps ” par David Vandermeulen, “ Frontière T.1 : Souviens-toi ” par Bertrand Marchal et Rodolphe, “ Le bouddha d’azur T.1 ” par Cosey, “ Période glaciaire ” par Nicolas de Crécy et “ Bonne santé ” par Charles Masson.
Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir l’ensemble des couvertures des albums chroniqués par Gilles Ratier “ Fritz Haber T.1 : L’esprit du temps ” par David Vandermeulen Editions Delcourt (17,50 Euros) David Vandermeulen est un auteur Belge plus habitué aux dérisions et à l’humour décalé (on peut citer son adaptation étonnante du «Cid» de Corneille, avec Morvandiau, mais aussi ses drolatiques «Agrum Comix» ou encore sa parodique «Littérature pour tous») qu’aux panégyriques et réhabilitation de l’œuvre de savants inconnus du grand public. Pourtant, tout en dévoilant des talents graphiques qu’on ne lui soupçonnait pas et avec une maîtrise narrative peu commune, David Vandermeulen retrace le destin tragique de ce juif allemand, converti discrètement au protestantisme, qui fût l’un des grands chimistes du début du XXème siècle. Ceci dit, l’œuvre n’est pas d’un abord si facile qu’elle en a l’air : le lecteur devra d’abord se familiariser aux textes off et à la touche rétro assez peu habituelle (due à une peinture à l’eau brunie appliquée sur un dessin sans encrage) qui est l’apanage de cette première partie d’une trilogie très documentée, laquelle va s’étaler sur 600 pages. Donc, grâce à l’originalité de la présentation et des partis pris synthétiques de l’auteur, on se surprendra à se passionner pour ce personnage énigmatique et nationaliste, qui fût Prix Nobel de chimie, en 1918, et fût l’inventeur du Zyklon B, le tristement célèbre gaz mortel. “ Frontière T.1 : Souviens-toi ” par Bertrand Marchal et Rodolphe Editions Le Lombard (13 Euros) Avec le scénariste Rodolphe, on est jamais déçu : ces thrillers psychologiques sont parfaitement maîtrisés et ses dialogues remarquablement ciselés : tout est en place pour que le lecteur soit captivé par l’histoire complexe qu’il nous raconte. Le premier opus de cette nouvelle série de la collection «Polyptique» (prévu en quatre tomes) ne déroge pas à cette règle, même si le lecteur exigeant peut regretter une certaine froideur et rigidité dans le graphisme du Belge Bertrand Marchal, lequel est manifestement plus à l’aise dans les récits historiques que dans le contemporain. Rodolphe installe pourtant, entre réalité et virtualité, une machination que l’on devine imparable, pratiquant des allers-retours dans la mémoire de ce son héros, jeune cadre d’un labo de recherche médicale. Pendant des vacances au soleil, en compagnie de sa petite famille, il reçoit une lettre anonyme sur laquelle est inscrit simplement «Souviens-toi» ; il retrouvera ses mêmes mots inscrits sur le mur de sa maison. Or, justement, Yves Fréhel doute de plus en plus de sa propre mémoire. Plus il essaie de se replonger dans son passé, moins il se souvient. Les seules images qui restent ancrées dans son esprit sont celles de son propre assassinat… C’est alors que les drames se succèdent : sa maison brûle, son fils est enlevé, sa femme disparaît… Un suspense qui monte crescendo, au fil des pages ! “ Le bouddha d’azur T.1 ” par Cosey Editions Dupuis (13,95 Euros) Cosey repart sur les cimes tibétaines pour un nouveau récit d’initiation (prévu en deux tomes),lequel mêle, comme à son habitude, amour et amitié, tout en réussissant à renouveler une vision de territoires et de thèmes déjà bien explorés dans la série «Jonathan». Une fois passée une introduction légèrement laborieuse, son graphisme épuré, sa maîtrise narrative et son côté fleur bleue permettent d’aborder des sujets complexes pour les jeunes adultes, comme la politique et les religions. Dans l’Inde des années 1960, un adolescent de bonne famille s’aventure et se perd dans la chaîne himalayenne. Recueilli par des moines tibétains, il se lie d’amitié avec deux d’entre eux qui ont, à quelques mois près, le même âge que lui. La découverte de cette autre civilisation va s’accompagner d’une rencontre avec une jeune fille considérée comme la réincarnation d’une déesse. Cette dernière est la gardienne du Bouddha d’azur, statue sacrée dont les yeux changent de couleur, à chaque heure du jour. On vous promet qu’on en apprend plus sur l’histoire du Tibet avec cette BD de Cosey qu’avec n’importe quel manuel scolaire ! “ Période glaciaire ” par Nicolas de Crécy Editions Futuropolis (14,50 Euros) Nicolas de Crécy inaugure ici une collection d’albums de bandes dessinées que le nouveau label Futuropolis co-édite avec le Louvre. Composant avec son univers onirique, il se fait alors le guide époustouflant d’une visite improbable, dans l’un des plus prestigieux musées du monde. Dans un futur lointain, une expédition scientifique s’aventure sur un territoire complètement enseveli sous les glaces, afin de retrouver les traces d’une civilisation disparue. Accompagnés de truculents animaux parlants, hybrides de chiens et de cochons (personnages récurrents dans l’œuvre de ce graphiste diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts d’Angoulême), les savants qui composent cette équipée vont découvrir, complètement par hasard, le haut d’un grand bâtiment abritant les plus riches collections de notre patrimoine artistique, miraculeusement préservées. Chacun élabore alors nombre de théories et d’interprétations farfelues afin d’expliquer le pourquoi de l’existence de ce temple ancien et de ce rassemblement d’œuvres. Face à l’inculture ambiante, les quiproquos vont se multiplier : Delacroix est pris pour le propriétaire du lieu car une salle porte son nom, la découverte d’une pièce de monnaie frappée au nom de l’Euro ne laisse aucun doute sur le nom du pays disparu, etc. Imbriquant avec talent science et fiction, Nicolas De Crécy critique, sans ambages, notre consommation culturelle, adoptant un ton ludique qui s’appuie sur une documentation historique sans failles. Enfin, cette malicieuse réflexion est aussi une formidable passerelle entre l’art et le divertissement qu’est censé être la BD ! “ Bonne santé ” par Charles Masson Editions Casterman (12,75 Euros) Après un premier un roman graphique remarqué par la critique (il reçût même le Prix France Info de la meilleure BD d’actualité et de reportage, en 2004), le médecin ORL et dessinateur autodidacte Charles Masson récidive. Au moyen de six récits, fruits de son expérience en tant que médecin au CHU de Lyon, ce nouvel album de la très recommandable collection «Ecritures», épais de près de 200 pages, évoque sans fioritures les mensonges pieux faits aux malades en phase terminale pour qu’ils ne perdent pas espoir. C’est une vision du monde médical, vu de l’intérieur, qui ne laisse pas intact. Avec un dessin qui oscille entre celui de Blutch et celui de Christophe Blain et une narration très efficace, l’auteur lève le voile sur l’envers du décor de la vie des chirurgiens et des malades dans les hôpitaux, sans concessions. Ceux qui prédisaient que «Soupe froide» serait sa première et seule BD se sont trompés : un véritable auteur est né ! Gilles RATIER