Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 17 OCTOBRE 2005
Voici, cette semaine, 5 ouvrages originaux, qui se doivent de fleurir les rayons des bibliothèques de tout amateur de BD digne de ce nom : “ Little Nemo : 1905-2005 un siècle de rêves ” collectif aux éditions Les Impressions Nouvelles, “ Eva Miranda ” par Vittorio Giardino et Giovanni Barbieri aux éditions Casterman, “ Pat’Apouf détective T.1 : Pat’Apouf et l’affaire Hourtin ” par Gervy aux éditions du Triomphe, “ Au centre du Nowhere T.1 : L’oreille du saumon ” par Michel Constant et Jean-Luc Cornette aux éditions Lombard et “ Les rêves de Milton T.1 ” par Maël, Frédéric Féjard et Sylvain Ricard aux éditions Dupuis.
“ Little Nemo : 1905-2005 un siècle de rêves ” collectif
Editions Les Impressions Nouvelles (28 Euros)
Il s’agit, certainement, de l’un des plus beaux livres, concernant le 9ème art, publié ces dernières années. En effet, les Bruxelloises éditions Les Impressions Nouvelles, en célébrant, avec juste raison, le centenaire de la naissance de «Little Nemo», le chef d’œuvre du génial Winsor McCay, nous offrent ici un livre magnifique et passionnant. Pour rendre hommage, comme il se doit, à cet immense créateur (dont «l’imagerie onirique est toujours aussi stupéfiante» comme le rappelle Bill Watterson, l’auteur de «Calvin & Hobbes»), ce bel objet mêle habilement articles d’éminents spécialistes (Benoît Peeters, Pierre Fresnault-Deruelle, Thierry Groensteen, Pierre Sterckx, Thierry Smolderen, Serge Tisseron, Gilles Ciment…) et planches inédites (ou peu connues) de dessinateurs venus de divers horizons comme les américains Art Spiegelman et Craig Thompson, les français David B., Marc-Antoine Mathieu, Moebius, Frédéric Boilet, Jean-Philippe Bramanti, les Italiens Igort et Lorenzo Mattotti, le Néo-Zélandais Dylan Horrocks, l’espagnol Miguelanxo Prado, le Belge François Schuiten ou le japonais Katsuhiro Otomo : du beau monde pour du grand art !
“ Eva Miranda ” par Vittorio Giardino et Giovanni Barbieri
Editions Casterman (13,75 Euros)
En saupoudrant allégrement les poncifs des soap-opéras et des plus rebutantes séries télévisées (style «Les feux de l’amour», «Amour, gloire et beauté» ou «Dallas») d’un second degré absolument drolatique, le scénariste Giovanni Barbieri a proposé, à l’élégant dessinateur de «Max Fridman», «Sam Pezzo» et «Jonas Fink», une jubilatoire et euphorisante parodie, entrecoupée de pages de publicités : on se croirait vraiment à la télé ! Comme les auteurs ont su trouver un juste équilibre, ces digressions publicitaires ne parasitent absolument pas l’histoire mais apportent, au contraire, un ton décalé totalement original. Le lecteur va donc découvrir l’intimité de la richissime famille Stone, propriétaire d’une célèbre marque de boisson à base d’ananas, régnant sur la paradisiaque ville de Doris Bay. Le père est un coureur de jupons, la mère est une névropathe obsédée par sa ligne, le fil, sportif accompli, est amoureux d’une jeune femme sans le sou et veut absolument l’épouser, contre l’avis maternel. Quant à la fille, elle est attirée sexuellement par Eva Miranda, femme splendide, mystérieuse et manipulatrice, qui débarque à Doris Bay et qui entreprend de séduire toute la famille. À partir de cette histoire volontairement kitsch et délirante, les deux auteurs, d’origine italienne, dressent le portrait sans concession d’une catégorie sociale aisée et pleine de préjugés, tout en égratignant, au passage, la société de grande consommation dans laquelle nous vivons. «Eva Miranda»… ou l’art de la dérision graphique et narrative !
“ Pat’Apouf détective T.1 : Pat’Apouf et l’affaire Hourtin ” par Gervy
Editions du Triomphe (13,50 Euros)
Grâce à l’érudit historien du 9ème art qu’est Dominique Petitfaux, l’une des plus longues et des plus lues bandes dessinées de l’après-guerre est enfin réhabilitée. Il s’agit de la série «Pat’ Apouf détective», laquelle a été publiée, de 1938 à 1990, dans l’une des publications de la Bonne Presse catholique, ancêtre de l’actuel groupe Bayard Presse : le magazine Le Pèlerin, qui vendait, certaines années, jusqu’à 500.000 exemplaires par semaine. Créé en 1873, cet hebdomadaire fut le premier à introduire, en 1892, un dessin en couleurs dans ses pages. Le créateur de «Pat’ Apouf», Gervy (de son vrai nom Yves Desdemaines-Hugon) était un Girondin dont le dessin évoluait entre la Ligne Claire d’Hergé et le style rondouillard des comic-strips américains. Quant à la série elle-même, elle présentait les enquêtes, souvent difficiles ou exotiques, d’un rondouillard détective à l’aspect désuet, incorrigible fumeur qui ne dédaignait pas une bouteille de bon vin. Cette BD, pleine d’humour, au propos général assez conservateur, n’hésitait pas, toutefois, à braver, par moments, la morale publique et les canons de la littérature pour la jeunesse de l’époque.
“ Au centre du Nowhere T.1 : L’oreille du saumon ” par Michel Constant et Jean-Luc Cornette
Editions Lombard (9,80 Euros)
A l’époque des pionniers du Far-West, le timide et pauvre Elmore Edison s’apprête à épouser la riche (mais moche) Abigael Thompson. Hélas, son père a perdu un bouton du pantalon de son propre mariage. Ce bouton, transmis de génération en génération, avait été taillé dans l’une des oreilles du dernier saumon «feuilles de chou» et le géniteur, anéanti par cette disparition, se laisse lentement dépérir. Son fils fait alors appel à un médecin-sorcier pour retracer le parcours du bouton voyageur. Sautant sur l’occasion, il décide de partir, avec un mulet qui parle, à la recherche de l’objet sacré, dans une région plus que dangereuse : le Nowhere. On retrouve toute la narration décalée, poétique et débridée de Jean-Luc Cornette (décidément très productif ces temps-ci) dans cet étrange et très divertissant western aux personnages hauts en couleurs. Comme cette truculente et pittoresque parodie de quête est fort bien mis en image par le graphisme burlesque de Michel Constant, nous espérons que ces deux auteurs belges trouveront, enfin, avec cet excellent début de série, le succès qu’ils méritent depuis longtemps !
“ Les rêves de Milton T.1 ” par Maël, Frédéric Féjard et Sylvain Ricard
Editions Dupuis (12,94 Euros)
Sylvain Ricard, l’original et talentueux scénariste de «Kuklos», «Banquise» ou «Le cirque aléatoire», s’est associé à un nouveau venu, Frédéric Féjard, pour composer ce récit poignant sur la destinée de deux frères, pendant la grande dépression du début des années 1930, en Caroline du Nord. Comme dans le roman de Steinbeck («Les raisins de la colère»), il nous décrit l’exode vers l’Ouest de petits paysans ruinés par la sécheresse et qui doivent se résoudre à vendre leurs modestes terres. Sept ans plus tôt, alors qu’il était enfant, Billy a vu un voisin tuer un homme : ce dernier lui a broyé la main pour s’assurer de son silence. Depuis, la rage au corps, il distille sa haine tenace dans l’esprit simplet de son frère Milton, une force de la nature qui, chaque nuit, rêve de se venger de ceux qui font souffrir ses proches. L’ambiance lourde et la narration, très visuelle, sont sublimées par le trait tremblotant et les couleurs pales de Maël (bien plus à l’aise, ici, que sur sa série historique «Tamino» dans la collection «Loge noire») : on attend la suite avec impatience !
Gilles RATIER