PLUS DE LECTURES DU 14 MARS 2005

“ Le Stéréo Club T.2 : Chante avec moi ” par Hervé Bourhis et Rudy Spiessert aux éditions Dargaud, “ Nightbuzz : The Spell ” par Jean-Claude Denis et Charles Berberian aux éditions Nocturne, “ London T.1 : La fenêtre fantôme ” par Isaac Wens et Rodolphe aux éditions Glénat, “ Théodore Poussin T.12 : Les jalousies ” par Frank Le Gall aux éditions Dupuis et “Retrouvailles à Cliff Island ” par Christian Barranger aux éditions Le Cycliste.
Qu’est ce qu’il y a de commun entre ces cinq références ? Peu de choses, seulement leurs évidentes qualités ! Elles nous prouvent une fois de plus l’éclectisme actuel de la BD, un art en pleine expansion et dont l’âge d’or ne fait que commencer : nous sommes en effet très éloigné des propos extrémistes, vulgaires, révisionnistes et agressifs de certains quadras alternatifs aigris, qui se prennent pour le nombril du 9ème art.

 


Le Stéréo Club T.2 : Chante avec moi ” par Hervé Bourhis et Rudy Spiessert


Editions Dargaud (9,80 Euros)


Contrairement à ce que proclament donc certains ayatollahs de l’édition alternative, opposés aux principes de pluralisme que nous défendons (ce serait leur donner trop d’honneur que de les citer et leur faire ainsi de la publicité), la BD n’a jamais été aussi novatrice et intéressante qu’aujourd’hui. Beaucoup d’albums publiés en 2005, aussi bien par les grands éditeurs que par les indépendants, sortent des standards et démontrent parfaitement cette vitalité du 9ème art. D’ailleurs, la plupart des représentants de la nouvelle BD sont loin du discours sectaire, stérile et violent de ces ayatollahs aigris qui ne supportent plus de n’être pas les seuls à intervenir sur le terrain de la narration graphique. Ces auteurs n’hésitent d’ailleurs pas à rejoindre des maisons d’édition plus grand public mais aux politiques très exigeantes. On en retrouve beaucoup dans l’excellente collection «Poisson Pilote» des éditions Dargaud, laquelle vient de publier un réjouissant second tome du «Stéréo Club» de Hervé Bourhis et Rudy Spiessert : «Chante avec moi». Cette histoire rafraîchissante de chanteur sans succès et sans talent, avec des dialogues tordants et des dessins attachants, elle, se donne vraiment les moyens de ses ambitions !


 


Nightbuzz : The Spell ” par Jean-Claude Denis et Charles Berberian


Editions Nocturne (21 Euros)


Musique et BD ont toujours fait bon ménage ! La preuve, la ville de La Souterraine, en Creuse, organise le premier festival «BD-Cibels», les 8et 9 avril. Cette manifestation sera parrainée par Frank Margerin, le créateur de «Lucien», qui fut membre de l’éphémère groupe «Les Dennis Twist», tout comme ses copains Charles Berberian (l’un des co-auteurs de «Monsieur Jean» dont un nouvel album est annoncé pour le mois de juin) et Jean-Claude Denis («Luc Leroi» ou le très beau «Quelques mois à l’Amélie»). Ces derniers continuent d’ailleurs à jouer de la guitare et à chanter au sein du duo «Nightbuzz». Leur nouveau CD («The Spell»), inclus dans un très beau livret de 32 pages en couleurs, illustré de dessins originaux des auteurs, vient de sortir chez Nocturne, le label qui allie avec réussite nos deux arts préférés, dans une nouvelle collection ouverte aux dessinateurs musiciens (et vice-versa). A l’écoute des très belles ballades qu’ils ont composé eux-mêmes, on ne peut contester l’aisance de ces deux auteurs dans le domaine musical : il y en a qui sont vraiment doués pour tout !


 


London T.1 : La fenêtre fantôme ” par Isaac Wens et Rodolphe


Editions Glénat (12 Euros)


Certes, c’est le genre de BD formatée qui doit faire vomir les punks intellos et révoltés dont nous parlions plus haut. Pourtant, la maîtrise du récit est bien présente, tout comme le sens du dialogue, l’érudition, la beauté des images… ! Le scénariste Rodolphe nous y parle de gestation créatrice sous la forme d’un récit plein de terreur qui rappelle à la fois les policiers fantastiques de Jean Ray et les romans anglais sophistiqués du XIXe siècle… Alors que le roman «Dracula» est en train de germer dans la tête de Bram Stocker, ce dernier trouve une place à son ami Mort London, chez l’un de ses riches actionnaires. Notre héros doit s’occuper de la propriété et tombe amoureux de la belle gouvernante… Le trait et les couleurs d’Isaac Wens («Robert le diable» chez Mosquito et «Carland Cross» chez Soleil) convient parfaitement à cette ambiance oppressante et mystérieuse où les mythes se succèdent : après Dracula nous entendrons aussi parler de Jack l’Eventreur… Légende ou réalité ? En tous cas, le résultat est fort agréable à la lecture et on attend la suite avec impatience !


 


Théodore Poussin T.12 : Les jalousies ” par Frank Le Gall


Editions Dupuis (9,80 Euros)


Théodore Poussin est un homme taciturne et lunaire ; ancien scribouilleur chez un armateur de Dunquerque, il vit désormais dans l’archipel indonésien. Ayant cédé à l’appel du grand large, ses aventures maritimes ont donc fini par le mener, en cette année 1933, sur une île où il possède une plantation de cocotiers. C’est alors que débarque la charmante Chouchou, une jeune femme qu’il a connue précédemment, en Malaisie. Cette dernière, qui a quitté son mari, lui propose de partager sa vie. Chouchou n’a rien perdu de son charme mais Théodore, désarçonné par cette déclaration, hésite avant de se laisser porter par ses sentiments. Pourtant, le doute s’installe de nouveau en lui lorsqu’il découvre une étrange correspondance et remarque l’intérêt de son aimée pour une photo ancienne. Album après album, le graphisme de Frank Le Gall s’affermit et son personnage devient de plus en plus complexe, l’auteur tentant, à travers son œuvre, une exploration des sentiments humains. Quatre ans séparent cet opus du précédent, mais, même si le propos se révèle de plus en plus ambitieux, la construction théâtrale du récit demeure: intimisme et action y cohabitent judicieusement pour notre plus grand plaisir. En une vingtaine d’années, «Théodore Poussin» (qui est pré-publié régulièrement dans l’hebdomadaire Spirou) est devenu un incontournable de la BD franco-belge !


 


Retrouvailles à Cliff Island ” par Christian Barranger


Editions Le Cycliste (12,50 Euros)


Même si cette nouvelle BD du talentueux Christian Barranger n’est pas aussi complexe et aussi enthousiasmante que son précédent «Le cas Girardon», elle mérite vraiment le détour et nous montre l’intérêt de l’auteur pour une narration hachée, nécessitant souvent une deuxième voire une troisième lecture. Notons cependant qu’aucun de ces récits, écrits jusque-là, ne comporte la même construction narrative. Ici, le riche propriétaire d’une île exotique invite les anciens élèves, qui étaient en classe de terminale avec lui, pour un séjour d’une semaine, tous frais payés, sur son bout de paradis situé entre ciel et mer : seuls six de ses camarades acceptent mais ils se posent des questions sur les buts réels de cette soudaine générosité. Tous les caractères des personnages sont très bien étudiés et le dessin, très ligne claire légèrement «crade», se bonifie et devient de plus en plus sympathique. C’est surtout au niveau des dialogues que Barranger est vraiment bon et on attend beaucoup de sa prochaine collaboration avec Bast, autre auteur emblématique du Cycliste : éditeur indépendant, intègre et qui, lui, ne se prend pas pour plus qu’il n’est ! Signalons enfin l’harmonie des couleurs réalisées par Denis Bernatets, un pro en la matière qui contribue largement à la qualité de l’ouvrage et qui mérite ainsi, pleinement, son nom sur la couverture.


 


Gilles RATIER


 

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