Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 17 JANVIER 2005
Toujours aussi sélective, votre rubrique régulière du lundi vous propose, cette semaine, cinq nouveaux albums choisis parmi la déferlante des publications qui envahissent les rayons de nos librairies en ce premier mois de l’année : “ H.M.S. T.1 : Les naufragés de la Miranda ” par Johannes Roussel et Roger Seiter aux éditions Casterman, “ Enchaînés T.2 : Le corrupteur ” par Gihef et Joël Callède aux éditions Vents d’Ouest, “ Pandora Box T.1 et 2 : L’orgueil – La paresse ” par Didier Pagot, Vujadin Radovanovic et Alcante aux éditions Dupuis, “ Mémoires d’une vermine ” par Juan Sàenz Valiente et Carlos Trillo aux éditions Albin Michel et “ Tào Bàng T.2 : L’île aux sirènes ” par Didier Cassegrain, Fred Blanchard, Olivier Vatine et Daniel Pecqueur aux éditions Delcourt.
“ H.M.S. T.1 : Les naufragés de la Miranda ” par Johannes Roussel et Roger Seiter
Editions Casterman (9,50 Euros)
Le récit maritime semble revenir à la mode puisque voici encore une aventure qui navigue en pleine mer : c’est une sorte de roman policier qui utilise comme huis clos un navire où vivaient plus de 800 hommes dans des conditions difficiles, vers 1795, au temps où la marine royale britannique régnait sur les océans du monde entier. L’accent est mis sur les destins croisés des différents protagonistes, lesquels sont confrontés, dans ce premier tome, à l’assassinat de trois matelots à la suite d’une épuisante bataille contre les éléments marins déchaînés. Le scénariste alsacien Roger Seiter, historien de formation, excelle dans ce genre de récits bien noirs : pour vous en convaincre, jetez un coup d’œil sur son travail réalisé pour des séries aussi différentes que «Fog» ou «Dies Irae», toutes les deux également publiées par Casterman. Notons que son compatriote Johannès Roussel avait déjà collaboré avec Seiter, en 1991, sur l’album régional «Les Zurichois», pré-publié dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace : le trait débutant du dessinateur y était rehaussé par de somptueux décors réalisés par Claude Guth, devenu, depuis, le célèbre coloriste de «Lanfeust», et le scénariste y était épaulé par sa compagne Isabelle Mercier (laquelle officie aussi sur «Dies Irae»). Depuis, le trait réaliste de Roussel s’est simplifié pour devenir beaucoup plus lisible ; d’autant plus que les couleurs sombres et vives à la fois qu’il utilise ici mettent en valeur narration et graphisme. Enfin, sachez que cet artiste touche un peu à tout puisqu’il est aussi musicien et compositeur : d’ailleurs, une bande originale musicale est en développement sur le site consacré à ce diptyque, lequel pourrait bien être suivi par d’autres… si, bien entendu, les lecteurs plébiscitent ce séduisant premier volet.
“ Enchaînés T.2 : Le corrupteur ” par Gihef et Joël Callède
Editions Vents d’Ouest (8,99 Euros)
Voilà un scénario vraiment malin, basé sur cette simple question : seriez-vous prêt à tuer pour de l’argent ? Quatre personnes plutôt ordinaires mais désirant changer de vie, sont tentées : en échange d’un million de dollar, elles doivent tuer un inconnu représenté sur une photo. Tout est fourni, de l’arme nécessaire à un acompte très motivant et, derrière tout cela, un homme mystérieux sourit et contemple le jeu macabre qu’il a lancé. Dans ce deuxième opus, les évènements se précipitent et poussent nos quatre citoyens de la middle classe américaine à commettre l’irréparable. «Les scrupules tombent, l’égoïsme et la cupidité reprennent le dessus… Car large est le chemin qui mène à la perdition…». Joël Callède est déjà connu pour être le scénariste efficace des «Comptines d’Halloween» et de «Dans la nuit» (dessins de Denys, chez Delcourt) ; en mettant en relief des personnages au moment précis où ils sombrent dans le chaos, il nous propose encore un nouveau suspense aussi palpitant que troublant, grâce à un découpage efficace et sans faille. Le trait de Gihef, en net progrès car de plus en plus précis dans les décors et de moins en moins approximatif dans les visages et les corps, contribue également à l’ancrage réaliste de cette série prometteuse qui mérite vraiment d’être mieux connue.
“ Pandora Box T.1 et 2 : L’orgueil – La paresse ” par Didier Pagot, Vujadin Radovanovic et Alcante
Editions Dupuis (12,94 Euros)
S’inspirant des concepts réussis du “Décalogue” de Frank Giroud et du “Triangle secret” de Didier Convard, cette saga en huit volets autonomes sollicite sept dessinateurs et un scénariste, afin que l’ensemble soit très vite présent en librairie. Son ambition est de revisiter le mythe de la boîte de Pandore et les sept péchés capitaux : Pandore, première femme de l’humanité (comme l’Eve de la Bible) fut responsable de la venue du mal sur la terre car elle fit ouvrir le vase où Zeus avait enfermé les misères humaines ; seule l’espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée… Le scénariste jongle à merveille entre morale judéo-chrétienne et mythes grecs, libérant, à son tour, les maux de notre époque : pour ce qui est des deux premiers albums, il s’agit du clonage (l’orgueil) et du dopage (la paresse). Alcante a été découvert avec quelques courts récits complets dans le magazine Spirou et s’impose d’emblée comme l’un de nos meilleurs raconteurs d’histoires : sa narration est fluide et efficace et son propos s’éloigne de la facilité manichéenne. Les prouesses technologiques sont légèrement amplifiées pour donner un aspect science-fictionnesque : cela rajoute de l’intérêt à l’intensité dramatique provoquée par le destin de ses personnages (un président des Etats-Unis en pleine campagne électorale et un sportif de haut niveau qui a du mal à revenir au premier plan) piégés par les travers de nos sociétés modernes. Enfin, le style réaliste des différents dessinateurs, s’il peut surprendre, est bien adapté à l’atmosphère générée par cette palpitante série.
“ Mémoires d’une vermine ” par Juan Sàenz Valiente et Carlos Trillo
Editions Albin Michel (15 Euros)
La BD venue d’Argentine est surprenante ! Comme si elle voulait se libérer des censures et contraintes du régime politique en place, elle exporte des BD parodiques et délurées qui ne s’encombrent guère de tabous. Carlos Trillo, qui est le scénariste le plus célèbre et le plus prolifique de ce pays d’Amérique Latine, accumule les créations dans ce genre où il est particulièrement à l’aise ; et les éditions Albin Michel se ruent sur sa production afin de la traduire au public francophone…, comblé ! Bien entendu, tout n’est pas du niveau de l’excellent «La grande arnaque» avec Mandrafina, mais toutes ses BD sans prétentions se laissent lire avec plaisir. Ces «Mémoires d’une vermine» est d’ailleurs une bonne surprise : le dessin caricatural est mis en valeur par des chaudes couleurs directes (il est dû à un jeune argentin de 22 ans dont c’est le premier album) et le scénario est d’un cynisme rare et d’une efficacité narrative étonnante. Crapuleries et perversités en tous genres sont au sommaire de cette curieuse histoire d’un lieutenant de police qui exploite le bas peuple et qui profite, dans tous les sens du terme, des avantages de son réseau de prostituées. Pourri à tout point de vue, il va se lancer dans une entreprise de démolition démoniaque pour salir la réputation d’un avocat qui veut faire éclater au grand jour les travers de ce personnage entièrement corrompu. Il n’y a aucune morale dans cet album jouissif car le méchant policier parviendra à ses fins et réconfortera la veuve de l’avocat déchu : à ne pas mettre dans les mains de nos petits enfants innocents !
“ Tào Bàng T.2 : L’île aux sirènes ” par Didier Cassegrain, Fred Blanchard, Olivier Vatine et Daniel Pecqueur
Editions Delcourt (12,50 Euros)
Le premier tome de cette sympathique série d’aventure était paru en février 1999 : il a donc fallu patienter 6 ans pour avoir la suite et la fin de cette première aventure. Espérons qu’il ne faille pas attendre aussi longtemps le troisième opus… Du coup, l’éditeur a réédité le premier volet avec une nouvelle couverture (un peu plus grivoise) afin que les deux tomes soient présents de concert sur les rayons de nos librairies. C’est une BD qui correspond parfaitement au concept de la «Série B» voulu par Olivier Vatine et Fred Blanchard, les directeurs de ce label et également co-auteurs de «Tào Bàng» (Vatine au story-board et Blanchard au design) : de l’action, du rêve, une histoire claire et bien construite, des personnages attachants, des belles filles et des gros bras. En mêlant habilement fantastique et univers des pirates, les auteurs ont été bien inspirés. Sillonnant les océans à bord d’un vaisseau dont l’équipage est essentiellement féminin, les héros de cette fantaisie héroïque partent à la recherche de l’île aux sirènes (lesquelles sont superbes mais dévorent les hommes…) et vont vaincre de belliqueux attaquants ailés, grâce à une pierre magique. Issu du dessin animé (encore un transfuge des studios Disney de Montreuil !), Didier Cassegrain affirme son trait élaboré mais très lisible et l’illumine avec un choix de couleurs pastel du meilleur goût. Bref, cette BD qui ne se prend pas la tête vous fera passer un agréable moment de lecture !
Gilles RATIER