Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Encore plus de lecture – décembre 2004
Nicolas Eymerich, Inquisiteur 2 – Angeline 1 – Que du bonheur, Tensions alimentaires – La fontaine aux fables 2 – Le loup, l’agneau et les chiens de guerre 1 – Millénaires 2 – Garage Isidore 10 – IAN 2 – L’auberge du bout du monde 1 – Chico Mandarine 1- Aster, 2
Nicolas Eymerich, Inquisiteur, Vol 2, La déesse, Zentner, Sala, Delcourt, 12,50 euros
L’inquisiteur Eymerich continue d’enquêter sur les mystérieux visages apparus dans le ciel du Saragosse de 1352. Dans un lointain futur, l’expédition sur la trace des dieux antiques se poursuit.
Adapter en Bd un romancier du calibre d’Evangelisti n’avait rien d’évident, notamment à cause d’un ancrage spatio-temporel à cheval sur deux époques reliées par une causalité subtile. Si l’essentiel du récit se situe en plein XIVe siècle aragonais (à une époque où l’Eglise accentue sa lutte contre la sorcellerie), il ne faut pas négliger, sur un plan parallèle, une expédition venue du futur chercher la preuve de l’existence des divinités païennes. Non seulement, le défi est incontestablement relevé avec brio, mais on peut même dire que le dessin apporte une dimension supplémentaire à ce récit complexe qui conjugue des modes propres à trois genres habituellement distincts : histoire, science-fiction et merveilleux religieux. Avec ses cadrages serrés, ses encrages denses et expressionnistes jouant sur les effets de lumières, et une torsion des corps rappelant Le Gréco, l’option graphique contribue intensément à orienter l’oeuvre dans un sens baroque et tourmenté. Enfin, ce tome apporte la clef à l’énigme puissamment posée dans le premier opus, confirmant la dimension ambitieuse et foisonnante d’une réalisation qui traduit une bonne connaissance des mécanismes inquisitoriaux et développe une thèse fascinante sur le rapport entre la foi et la raison.
Angeline, t.1, Fuckin’day, Eric Summer, Adeline Blondieau, Sébastien Goethals, Olivier Astier, Soleil, 12,50 euros.
Juliet est une tueuse à gages qui répond à des contrats passés sur internet par des femmes bafouées désirant se débarrasser de leur mari. Or, ce qui devait être une ultime mission se transforme en piège implacable.
Cette nouveauté lance une héroïne très en phase avec notre temps. A la fois femme d’action impitoyable à la Nikita et mère de famille aimante, cette créature fascinante porte en elle les fêlures d’un passé douloureux dont on ne connaît que l’impact dévastateur alimentant sa soif de vengeance. Exécutrice méthodique, elle incarne surtout une détestation très anglo-saxonne du mâle. Au demeurant, si les hommes ne sont pas absents de cet album, ils demeurent à peine esquissés : lâches, luxurieux, violents, ils offrent un contrechamp justificateur à l’action épuratrice de cette justicière rendant ses verdicts au nom d’une morale qui n’attend plus rien de la loi. Incarnation de la féminité violentée, Juliet conserve son humanité dans sa relation très forte à sa fille et son désir de rédemption libératrice. Mû par un scénario direct et haletant rappelant Tarantino, magnifié par un dessin lumineux et épuré, qui, malgré le parti pris d’un encrage manquant de relief et de naturel, rend une note allègre dans la noirceur générale de la narration, ce thriller mordant qui ne fait pas toujours l’économie de quelques clichés, soutient le pari optimiste d’une nature humaine amorale, contradictoire et cependant terriblement intelligible.
Que du bonheur, Tensions alimentaires, Jannin, Lombard, 12,60 E
Les jeunes communiquent par courriels pendant que leurs parents divorcés s’invectivent au téléphone ; ou comment une famille recomposée affronte les conflits relationnels et les incompréhensions générationnelles.
Les années 1970 ont eu Lauzier, les années 1980 Brétecher ; depuis Jannin a pris le relais d’un genre conjuguant réflexion psychosociale et satire doucereuse. Dans cet album drôle, caustique et pertinent, l’auteur dresse avec brio et efficacité, le bilan d’une certaine faillite familiale actuelle. De fait, dans un univers en recomposition où chacun peine à trouver sa juste place sans renoncer à chercher son bonheur, une norme originale s’est imposée de manière rampante, inavouée, à l’encontre de tous les discours amoureux et des attentes individuelles : les familles recomposées sont dorénavant la règle, ou, résumé à la façon de Jannin, quand l’enfant vivant avec ses vrais parents devient un marginal qui inspire la pitié. Avec son sens du raccourci hérité de la caricature, son style en « ligne grasse », un emploi quasiment fauviste de la couleur, le dessin se fait expressif pour servir le propos. Non sans finesse, et parce qu’il ne reste bien souvent que l’humour pour décrire une complexité moderne qui, en une ou deux générations, a mis à mal tous les modèles et trompé toutes les espérances, Jannin nous renvoie le reflet de notre condition de nouveau parent, de nouvel enfant, perdu dans les contradictions d’une liberté subie autant que choisie.
La fontaine aux fables, t.2, Bodin, Cagniat, Debon, Dethan, Guilloteau, Hausman, Loyer, Masbou, Mazan, Nesme, Revel, Turf, Delcourt, 12,50 euros.
On ne présentera pas les héros de La Fontaine qui, en couples célèbres, ont bercé notre enfance. Le second opus d’une série à succès de nos écoles primaires, présente 12 fables, certaines fort célèbres, d’autres (Le cheval et le loup, L’éléphant et le singe de Jupiter), moins connues.
Puisant avec inspiration dans un patrimoine indémodable, cette oeuvre offre un nouvel exemple de la quintessence du cheminement créatif, liant inextricablement innovation et réécriture. Tout l’intérêt artistique de l’affaire tient en effet dans le choix de maintenir le texte initial dans son intégralité littéraire, et de l’incorporer, selon les codes classiques de la BD, en bulle ou texte off. Au plan pédagogique, l’enfant, surtout les plus jeunes, trouveront une occasion remarquablement accessible de découvrir ces poésies subtiles (qui n’a souffert sur certains vers mêlant le phoenix à l’hôte de nos bois ?), grâce à un traitement tantôt humoristiques et résolument actualisé (Le lièvre et la tortue), tantôt raffiné (La cigale et la fourmi), tendre (Les deux coqs), ou délicat (La colombe et la fourmi). Cet album offre ainsi une excellent manière d’illustrer la traditionnelle dialectique du fond et la forme, et, tout en initiant les enfants aux différents styles du genre, de comprendre comment le dessin peut servir le texte, amplifiant, nuançant ou au contraire réinterprétant le verbe. Une réalisation exemplaire.
Le loup, l’agneau et les chiens de guerre, t.1, Mercenaires, Hautière, Hardoc, Paquet,
à partir de 12 ans
Arrêtés pour divers larcins, sept individualités, six hommes et une femme aux personnalités bien trempées, bientôt rejoint par un elfe, se voient proposer un marché : se rendre sur une île servant de bagne et y accomplir une mission ou périr. Leur choix ne fait aucun doute.
Un titre à la Jean de La Fontaine, une couverture façon Les 7 vies de l’épervier, certains personnages (le nain, l’elfe) inspirés du Seigneur des anneaux, une introduction dans la veine des romans populaires de la fin du XIXe siècle, une équipe rappelant les sept samouraïs, un cadre à dominantes médiévales évoquant de loin en loin l’oeuvre de Jack Vance, les auteurs posent d’emblée leur boulimie de références avant de développer une tonalité propre finalement assez originale. Malgré quelques maladresses (des temps morts ou digressions à l’utilité peu évidente, un dessin parfois inégal, quelques invraisemblances dans le scénario comme aux pages 26-27), l’ensemble se lit agréablement, entre un texte dense, un crayonné plutôt rétro compensé par la couleur luxuriante ou par les audaces d’un cadrage tout à fait contemporain, et un scénario proche de l’heroïc fantasy. Au final, il s’agit donc pour l’instant d’une oeuvre en devenir, et d’ores et déjà d’une bonne série B qui gagnera à camoufler ses sources d’inspiration et à fouiller plus profondément la psychologie de chacun de protagonistes.
Millénaires, t.2, Le squelette des anges, Nolane, Miville-Deschênes, Perez, Les Humanoïdes Associés, 12,60 euros.
Rome, fin du Xe siècle. Raewald le saxon, trafiquant de reliques sous le coup d’une menace d’excommunication, accepte la mission que lui confie le Pape : retrouver un coffre contenant les crânes de deux anges. Mais en chemin, les obstacles se multiplient à l?initiative des moines de Cluny.
En ces âges obscurs et décadents, marqués par le souvenir de la Rome antique et dominés par les manoeuvres de la Rome papale, envahisseurs vikings, religieux et émissaires royaux s’affrontent sur la trace des divines reliques. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce Moyen-Age recomposé, peuplé de créatures mystérieuses, changelins, sylphes et autres entités maléfiques, n’a rien d’historique au sens propre. L’audacieuse et anachronique reconstitution du clocher de Cluny suffit pour s’en convaincre. C’est un monde barbare, glacé et tourmenté que décrivent les auteurs, dont même la lumière semble absente. Le dessin réaliste, tour à tour violent ou sensuel, varie à dessein les cadrages mais excelle dans les plans rapprochés créateurs d’oppression, effet encore renforcé par un encrage soigné, privilégiant les ambiances intérieures et sombres en gris et orangés. Le tout constitue une oeuvre forte, rythmée et parfaitement maîtrisée, mariant habilement et inextricablement aventures, fantastiques et évocation historique, pour donner une série à l’imaginaire bien contemporain qui surfe sur la vague lancée par Le chant des stryges.
Garage Isidore, T.10, Un petit réglage, Stédo, Gilson, Dupuis, 8,20 euros.
Le garage Isidore accueille les véhicules les plus divers, de la voiture surchargée en instance de départ jusqu’à la coccinelle en ruine, et des clients par toujours commodes. Quant au personnel, entre l’idiot et le nerveux, il doit affronter bien des péripéties. Des gags poussifs, parfois indéchiffrables, qui trop souvent traînent en longueur, et un dessin agréable mais manquant de personnalité, ne parviennent pas à faire décoller cet album gentillet mais finalement décevant.
IAN, t.2, Leçon de ténèbres, Meyer, Velhmann, Dargaud, 9,45 euros
En 2044, les hommes posent pour la première fois le pied sur mars. A Los Angeles, la population se soulève, et, pour sa première sortie, IAN, l’androïde, se trouve pris dans des troubles de grande ampleur. Appelés à la rescousse avec les forces de police, il fait montre d’une autonomie de plus en plus grande adossée à son sens du devoir.
Avec un sens remarquable de l’anticipation douce, cet album décrit un L.A. du milieu du XXIe siècle tout à fait crédible. Alors que le progrès technologique se trouve mis au service du contrôle des populations par des dirigeants issus d’une droite dure flirtant avec le fascisme, le fossé entre les nantis et les laissés pour compte s’amplifie, jusqu’à ce que l’exclusion sociale se transforme en émeutes urbaines (lointainement inspirées de celles de South Central en 1992 ou de Watts en 1966). Au coeur de cette explosion sociale, une créature forgée par l’homme s’élève à la conscience morale et religieuse. Le scénario limpide mais riche, comme le trait net et délicat, remarquablement efficace dans les expressions corporelles et faciales, confèrent à l’ensemble une fluidité particulière en phase avec l’image faussement aseptisée de ce monde trop parfait qui n’est pas sans rappeler les contre-utopies à la Huxley. Une fiction sur les possibles dérives scientifiques et morales d’une société qui ne fait que prolonger certaines évolutions bien actuelles.
L’auberge du bout du monde, t.1, La fille sur la falaise, Prugne, Oger, Casterman, 9,50 euros
Un écrivain en mal d’inspiration arrive par une nuit de tempête dans une auberge perdue de la côte bretonne, en un lieu où des événements tragiques se sont produits soixante ans auparavant. L’aubergiste commence alors à lui narrer l’étrange histoire d’Iréna.
Cette nouvelle série, à classer dans la catégorie des récits historique matinée de merveilleux, trouve visiblement son inspiration dans les romans fantastiques du début du XIXe siècle. Tout nous ramène à cette grande tradition des Nodier et autres Barbey D’Aurevilly, héritée des récits de veillée : depuis les procédés narratifs, notamment la mise en ambiance dans une région mystérieusement vidée de ses habitants, jusqu’à la trame romanesque emboîtée, propre aux contes, en passant par le cadre âpre et désolé d’une auberge battue par le vent du large. Mais le parti pris fantastique penche assez rapidement vers l’intrusion avérée d’un surnaturel qui puise ses références dans le bestiaire celte et le folklore d’une Bretagne superstitieuse. Le dessin semi réaliste, qui joue ici le rôle dévolu dans les romans aux détails sociologiques destinés à fonder la véracité du récit, manifeste toute sa force grâce à sa précision ethnologique et à son univers chromatique de couleurs en lavis à dominante de gris bleu, particulièrement adaptée aux représentations des nuits de tempête. Une oeuvre prenante qui sonne juste.
Chico Mandarine, Seul contre tous, Azam, Milan, 9,50 euros
Tout public, humour, à partir de 8 ans
Chico, déjà encombré d’une mère scientifique à domicile, d’un Papa téléphonique et d’une petite soeur obsédée de ménage, provoque une série de bouleversements domestiques en échangeant sa tortue contre une charolaise qui aime le jus d’orange. L’ensemble tarde à trouver son unité autour de gags assez faibles, au traitement dilué, et s’essouffle entre un humour au 1er degré et une thématique tournant autour des dérives de la sciences ou de la communication moderne, et ce malgré un trait inspiré des dessins de presse qui semble appeler un scénario plus percutant.
Aster, t. 2, Aryana, Clavery, Cauuet, Delcourt, 12,50 euros
Toujours poursuivis par les agents du culte, les élus trouvent refuge dans le désert mais sont capturés par une tribu de pillards. Cette série, qui n’est pas sans rappeler Dune d’Herbert, offre plusieurs moments forts et possède de réelles qualités, en partie compromises par un certain manque d’ampleur dans le traitement tant narratif que graphique et une trop grande complexité. Malgré ses rebondissements et son univers riche, la lecture se trouve quelque peu gênée par un excès d’ellipses et une narration assez erratique. L’ensemble donne malgré tout une série B attrayante.
Joël DUBOS