Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« FÉLIX LE CHAT »
Excellente réédition de Félix le Chat chez Horay. Trois albums sont présentés sous un très joli coffret réunissant des planches du célèbre chat de 1923 à 1928.
Felix the Cat
Etats-Unis
1923
Otto Messmer
Le chat noir Félix apparaît aux États-Unis dans le dessin animé Felline Follies sous la signature de Pat Sullivan en 1919. Le succès étant quasi immédiat, une centaine de courts métrages se succèdent jusqu’en 1928, année où la souris Mickey devient une concurrente sérieuse. La réussite des dessins animés attire l’attention de la presse de Hearst. Le King Features Syndicate publie Félix the Cat à partir d’août 1923 en une page du dimanche en couleurs, d’abord dans The Sketch, journal londonien, puis dans le Boston American. Bien que signées Pat Sullivan, les planches hebdomadaires, ainsi que, d’ailleurs, le strip quotidien qui débutera en mai 1927, sont l’œuvre d’Otto Messmer. Celui-ci sera assisté, dans les années trente, par Jack Bogle, puis par Bill Holman.
Astucieux, courageux, redresseur de torts à l’occasion, méfiant à l’égard des humains et des autres animaux, ce chat frondeur et vagabond passe une bonne partie de son temps à la recherche d’un foyer ou de nourriture. Rejeté, exclu, il se réfugie heureusement dans l’imaginaire des contes de fées ou des voyages dans le futur. Évoluant dans des paysages oniriques composés d’horizons rapprochés et de perspectives plongeantes, rehaussés d’un énorme soleil ou d’un croissant de lune omniprésents, Félix passe de la fantaisie et de l’insolite du comique de dérision au monde enchanté du surréalisme grâce, essentiellement, à Otto Messmer et Bill Holman (et non aux malheureux tâcherons qui reprendront la bande dans les années cinquante). Les pages du dimanche disparaissent en septembre 1943. La même année, un récit complet sort dans la collection « Four Color » à partir de bandes remontées. En 1946, un comic book avec des épisodes inédits est réalisé par Otto Messmer assisté de Jim Tyer et Joe Oriolo. Ce dernier reprend le strip en 1955. Il adjoint à Félix des neveux et une fiancée, Kitty.
Après une interruption à partir de 1967, Félix the Cat revient à nouveau en novembre 1984 dans un strip, Betty Boop and Felix, dessiné par les fils de Mort Walker. Puis notre chat se retrouve carrément expulsé de la bande en 1987. Une première tentative de renaissance se produit en 1989 avec un unique comic book en relief chez Malibu. Donald Oriolo, fils de Joe Oriolo et directeur de Felix Comics avec The New Adventures of Félix the Cat tente un nouveau retour avec un dessin bien médiocre qui se termine pour la couleur en 1994 et continue vaille que vaille en noir et blanc jusqu’en 1997.
En France, le strip quotidien de Messmer est prépublié dans La Petite Gironde (1929), Ciné-Miroir (1929-1930), L’Humanité (1937-1938), etc. Les pages du dimanche sortent dans Le Petit Illustré (1936-1937), Bravo ! (1940-1947), etc. Des albums paraissent chez Hachette de 1931 à  1940, affublés d’un texte maison, dessinés par Otto Messmer et Bill Holman et tous signés abusivement Pat Sullivan. Les bandes de Joe Oriolo seront éditées en recueils chez Azur en 1960-1961, sans aucun succès. Puis un dessinateur français médiocre, Fersen, reprendra la série chez M.C.L. sur neuf albums de 1971 à  1976. Un autre Français, Léon Mercier, « torchonnera » Félix dans France-Soir, puis dans Hurrah ! de 1956 à  1958. Heureusement, Messmer reviendra avec une réédition au Celeg de Francis Lacassin en 1967, dans trois albums chez Pierre Horay de 1979 à  1983 présentés par Édouard François et un début de réédition en recueil chez Vents d’Ouest à partir de 1996. Le petit format s’intéressera lui aussi à notre matou avec un bimestriel Miaou, voilà Félix le chat, réalisé avec des reprises de comic books américains, puis revu par des dessinateurs italiens : Dossi, Motta, Chierchini, Gatto, etc. En 1985, les éditions du Château lancent un nouveau petit format, le bimestriel Félix le Chat qui durera deux ans en reprenant les bandes de Messmer et Oriolo destinées aux comic books.
À signaler, outre les multiples dessins animés de l’entre-deux guerres, deux cent soixante épisodes de trois minutes destinés à la télévision et produits par Joe Oriolo en 1959 et 1960. Son fils, Donald, réalisera un long métrage en 1989, suivi d’une nouvelle série pour la télévision en 1994, année où Félix entrera dans des jeux vidéo. Enfin, signalons des produits dérivés dont la fabrication culmina à la fin des années vingt : porcelaines, jouets, boîtes de cigares, peluches en tous genres, épingles de cravate, broches, cuillères en argent, taies d’oreiller, poufs, coussins, partitions musicales, pendules, réveils, bouchons de radiateur…
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MESSMER, 0tto
Etats-Unis
16 aout 1892 Ã Union City (New Jersey)
28 octobre 1983 Ã Teaneck (New-Jersey)
Otto Messmer est injustement oublié par les spécialistes de bandes dessinées, car il est le créateur de Felix the Cat, crédité toujours sous la signature de Pat Sullivan.
Denis Gifford, dans sa préface publiée chez Horay à l’occasion de la réédition de Felix le Chat s’en tire par une pirouette, sur la paternité de Felix, en affirmant que le problème est identique à celui de Mickey : Disney ou Ub Iwerks ?
Messmer a débuté très jeune en réalisant des illustrations pour le N-Y World et Life magazine entre 1911 et 1913. Il entre aux studios Universal avec Motor Mat and his Fliv, lorsqu’il revient de la Première guerre mondiale (il avait été mobilisé dans les Transmissions de l’armée américaine),
Messmer se fait d’abord connaître dans le dessin animé où il réalise des courts métrages publicitaires pour Universal Film en 1914 avant de rentrer l’année suivante aux studios de Pat Sullivan. Il y transpose notamment Charlot en dessin animé, crée la série Boomer Bill et, en 1919, entreprend Feline Follies, le premier court métrage de Félix le Chat. En 1923, il réalise la version papier du célèbre matou laquelle sera distribuée à travers le monde par le King Features Syndicate. Messmer va y travailler jusqu’en 1955, mais ne sera autorisé à signer la bande qu’à partir des années 40. Ce qui explique pourquoi les albums de Félix le Chat, publiés par Hachette avant la guerre, portent abusivement la signature exclusive de Pat Sullivan.
Entre le merveilleux et l’onirisme, l’insolite et le burlesque, Otto Messmer a donné naissance à un félin amoral et subversif, plein de ressources, servi par un dessin tout en rondeurs où abondent les gags graphiques dans de surprenants paysages lunaires. MD. CM.
Horay. 45 euros