Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Soupe froide de Charles Masson
Parce qu’on lui sert une soupe froide et qu’il juge ce fait comme une atteinte suprême à sa dignité humaine, un sans abri quitte son foyer, pieds nus et en pyjama, en plein hiver et erre dans le froid d’une campagne hostile.
On apprend, au fil du récit, que c’est un simple incident, petit problème technique ( le micro onde en panne) qui est à l’origine de ce qui s’annonce comme une terrible tragédie humaine. La goutte d’eau en quelque sorte pour cet homme dont la vie sociale s’est déjà arrêtée depuis quelques années et qui souhaite juste, pour poursuivre son existence, un minimum de reconnaissance.
Tout au long de son errance, le clochard humilié ressasse son passé et les tristes événements qui l’ont conduit à sa déchéance. En parallèle, le lecteur est invité à suivre les destins croisés des protagonistes de l’histoire, de l’infirmière, abattue, qui a servi cette fameuse soupe froide et qui recueille toute la haine engrangée depuis des années du SDF, au médecin, qui a diagnostiqué une douloureuse maladie pour laquelle le clochard refuse l’opération, en passant par la famille du marginal, ou plutôt son ancienne famille, sa femme, sa fille, qui l’ont oublié désormais.
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Charles Masson est ORL. Soupe froide est le fruit de ses diverses expériences vécues au contact des clochards alcooliques et fumeurs qu’il côtoie, car il s’occupe des cancers de la gorge. Bien que non professionnel du dessin, et il reconnaît lui-même que ses planches souffrent d’imperfections, il a voulu livrer son témoignage personnel et humain sur la réalité de la marginalité. Il nous livre le désespérant témoignage de ces exclus, à qui quelques hommes, individuellement, tentent d’apporter des solutions mais à qui la société, dans son ensemble, n’offre qu’indifférence. En disparaissant dans l’anonymat, comme le souligne Charles Masson, ces SDF démontrent à quel point il ne sont que des SIP : Sans Intérêt particulier ! Cet album poignant prouve une fois de plus à quel point le medium bande dessinée se révèle parfaitement adapté pour véhiculer au plus grand nombre des discours de société, même des plus délicats à aborder.
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Laurent Turpin
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Casterman – Collection Ecritures – 12,50€